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Débat sur l’immigration : le gouffre d’une société moralement désarmée
©LUCAS BARIOULET / AFP

Immigration

Le débat sur l'immigration débute ce lundi 7 octobre à l'Assemblée nationale. Le gouvernement a décidé de s'impliquer sur le dossier de l'immigration et de l'intégration. Les agents de l'Etat sur le terrain suivent-ils la même politique ?

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Atlantico.fr : Aujourd'hui, lundi 7 octobre, s'ouvre le débat sur l’Immigration à l'Assemblée nationale. Il fait écho aux déclarations du Président de la République lors du 70ème anniversaire du Conseil de l'Europe, où il a notamment déclaré que le droit d'asile disparaîtra si on ne lutte pas contre ses détournements. Mais si le sommet de l'Etat choisit de s'atteler au lourd dossier de l'immigration et de l'intégration, encore faut-il que les agents de l'Etat sur le terrain suivent la même politique... A l'origine des relais de la politique nationale, les acteurs locaux sur le terrain, particulièrement les collectivités territoriales, appliquent aujourd'hui leurs propres choix politiques. Ce relais vous semble-t-il assuré aujourd'hui, même si à la tête de l'Etat le discours change ?

Guylain Chevrier : Le discours change, le ton et les mots, mais cela se traduira-t-il par une véritable politique d’immigration s’installant dans la cohérence, pour permettre de mieux contrôler les flux migratoires ? Pour Emmanuel Macron. « On doit traiter et protéger tous ceux qui sont sur notre territoire pour eux-mêmes et pour nous, mais là aussi il faut le faire avec raison garder, bon sens, et analyser s'il n'y a pas des excès qui existent, et je crois qu'ils existent dans certaines catégories » On a à l’esprit la « forte augmentation de la demande d’asile », portée à 123.625 personnes en 2018, soit une croissance de 22 % en un an. Le nombre de migrants a été divisé par cinq en Europe depuis 2015, mais dans le même temps les demandes d’asile ont augmenté de 50 % dans notre pays, confie un ministre. Dans les pistes évoquées, on trouve « la recherche d’harmonisation des conditions d’accueil en Europe », s’agissant notamment des prestations offertes aux demandeurs d’asile en France. « Pour un demandeur majeur hébergé par l’Etat et isolé, le montant versé en France » au titre de l’aide au demandeur d’asile (ADA) « est supérieur de 50 % à celui versé en Allemagne », par exemple. La question de couverture santé au titre de l’Aide médicale d’Etat (AME) semble devoir être questionnés, qui concerne "300.000 personnes étrangères, sans papier ou en situation précaire de séjour", au regard de du panier de soin offert, et peut-être l’introduction d’une période de carence pour les demandeurs d’asile avant de bénéficier de la Protection universelle maladie (PUMa, ex-CMU). Il souhaite "reconduire beaucoup plus efficacement les personnes qui n'ont pas vocation à rester sur le territoire parce qu'elles y sont entrées illégalement et qu'elles ont parfois demandé l'asile et qu'elles n'y avaient pas droit". 

Le Président souhaite ainsi, par des éléments nouveaux de dissuasion, freiner l’immigration et particulièrement, même si cela n’est pas cité, pas seulement l’immigration qui profiterait trop du système de façon illégitime au regard du motif affiché pour rejoindre notre territoire, mais l’immigration illégale qui est aussi un véritable fléau. "La France ne peut pas accueillir tout le monde si elle veut accueillir bien" explique aujourd’hui Emmanuel Macron. Effectivement, il devient impossible d’accueillir matériellement, économiquement et socialement les migrants. Mais on peut encore moins aujourd’hui intégrer, au sens républicain du terme, plusieurs centaines de milliers d’immigrés par an, au regard des équilibres internes à notre société. On le voit à travers la montée d’affirmation identitaires qui télescopent nos mœurs, modes de vie, nos lois républicaines et nourrissent les thèses de l’extrême droite.

Il existe effectivement face à cette volonté affiché une inconnue, la volonté nationale, c’est-à-dire à tous les niveaux celle de mettre en œuvre, l’esprit de ce qui serait voulu, ici. L’Etat-unitaire est de ce point de vue en grande difficulté sur le sujet de l’immigration alors que chaque collectivité territoriale selon sa couleur politique, si elle se doit de respecter un cadre commun de règles, fait aussi ce qu’elle veut voire de la résistance, pour favoriser ou pas l’accueil sur son territoire en donnant une image attractive de la France pour les migrants, sinon faisant passer ses frontières pour fictives. 

Paris s’illustre régulièrement dans la volonté d’accueillir et d’imposer à l’Etat par les débordements qu’on laisse se mettre en place, avec des campements sauvages en toute illégalité dans la capitale, soutenus par des associations, une situation impossible et sans fin. C’est devenu un système bien connu des migrants qui se regroupent sous ces auspices sachant que cela a toutes les chances de se terminer par des prises en charge. On voit aussi, phénomène qui se développe, dans des villages, élus, associations et bénévoles main dans la main pour accueillir les réfugiés, les guider et les soutenir dans leurs démarches administratives et pour déjouer les risques de reconduite qui pèsent parfois sur eux, loin des grandes métropoles ou c’est devenu une sorte de sport local. On rapporte par voie de presse, que plusieurs villages d’Auvergne ont fait ainsi de l’accueil de réfugiés « une deuxième nature », contre ce qu’ils jugent être une hostilité du gouvernement ou même de l’exécutif régional.

Arnaud Lachaize : Les fonctionnaires chargés de la mise en œuvre de la politique migratoire sont principalement de deux ordres : la police aux frontières et les agents des préfectures. C’est un contre-sens absolu que d’imaginer qu’ils puissent saboter la politique de maîtrise des flux. Ils ont un travail extrêmement difficile, ingrat et complexe. On leur demande de concilier fermeté et prise en compte de cas humanitaires. Ils le font au mieux en se heurtant à des obstacles considérables. Ainsi, un cinquième (20%) seulement des OQTF, obligations de quitter le territoire français prises par les préfets sont effectivement mises en œuvre. Pourquoi ? libérations anticipées par les juges des libertés, impossibilité d’obtenir les laisser-passer consulaires, délivrés par les consulats des pays d’origine pour autoriser le retour de leurs ressortissants. Les fonctionnaires se débattent dans un dédale de procédures inextricables. La responsabilité incombe avant tout au pouvoir politique. Il est facile d’opérer des choix politiques laxistes pour plaire aux idéologues sans-frontiéristes, puis de donner des coups de menton virils pour flatter l’opinion publique. C’est bien le gouvernement Valls par la loi du 7 mars 2016 qui a encore aggravé les difficultés de la mise en œuvre des OQTF en réduisant la dure de la rétention administrative (par décision du préfet) de 5 jours à 48 heures et en renforçant considérablement le pouvoir des juges des libertés dans cette procédure. L’actuelle majorité En Marche n’est pas du tout revenue sur cette réforme. Après, il est facile de faire porter le chapeau aux fonctionnaires. 

Edouard Husson : Je ne crois pas qu’il faille incriminer le niveau local. Les agents de l’Etat sur le terrain sont au contact de la réalité. Ils appliquent des ordres. C’est au sommet de l’Etat qu’il faut changer les choses. Pour autant, je ne pense pas que le nouveau discours de M. Macron représente un véritable changement. Le candidat Macron avait expliqué dans une tribune datée du 2 janvier 2017 que la France devrait prendre exemple sur Angela Merkel et son ouverture totale des frontières à l’immigration entre septembre et décembre 2015. En pleine crise des Gilets Jaunes, il expliquait que pour lui les véritables exclus n’étaient pas les Gilets Jaunes mais les immigrés. Aujourd’hui, le président est dans un calcul politicien. Il a pensé pouvoir neutraliser le Rassemblement National en s’emparant du sujet, un peu pour reproduire la manoeuvre de Nicolas Sarkozy lors de la cmapagne de 2007. Cependant, le réel se charge de neutraliser la manoeuvre: l’attentat djihadiste à la préfecture de police - et surtout la gaffe de Christophe Castaner et de ses services cherchant à dissimuler l’appartenance religieuse du tueur pendant une journée et demi - sont venus soudainement relégitimer un discours de lucidité, tel qu’on l’entend depuis des années dans une partie de la droite. Le tueur de la préfecture était un Français d’outre-mer qui s’est converti à l’Islam: cela montre bien l’impact de l’immigration massive depuis des décennies: l’Islam ne serait pas en mesure d’obtenir des conversions chez des personnes issues de familles françaises depuis des générations s’il n’était pas devenu, grâce à l’immigration, nombreux en effectifs, capable d’exercer une attraction sociale et culturelle. Je suis donc très sceptique sur l’impact d’un changement du discours présidentiel. Et sur celui d’un débat. 

Il faut réfléchir aux raisons pour lesquelles Nicolas Sarkozy a échoué dans sa volonté de juguler l’immigration, alors que c’était une des promesses majeures de sa campagne: il y a eu le refus d’une partie de sa majorité de mettre en oeuvre, les limites imposées par la zone Schengen, les traités signés par la France, le pouvoir des juges, qui ont le moyen de bloquer une politique antiimmigrationniste, la pression des associations, des pouvoirs culturel et intellectuel etc.... Emmanuel Macron est-il prêt à affronter l’ensemble de ces facteurs, qui n’ont pas changé? En n’ayant pas, à la différence de Nicolas Sarkozy, une majorité au moins ouverte au sujet. 

Si la position de l'Etat au regard de la question de l'immigration évolue, celles des intellectuels semble avoir peu bougé. Ils paraissent encore peu favorables à  la limitation de l'immigration et sont peu enclins à encadrer plus fermement l'intégration. Ceci ne risque-t-il pas de gêner l'Etat dans sa mise-en-place d'une nouveau politique sur les question d'immigration et d'intégration ? Le rôle des associations sur place (qui parfois appliquent une politique différente de celle de l'Etat) ne peut-il pas aussi être problématique ? Dans quel sens ? Quelles sont les résistances ?

Guylain Chevrier : On a remplacé les idées politiques par les bons sentiments avec l’humanitaire, ce qui se traduit par l’impossibilité de dialogue sur certains sujets où les niveaux de communication se sont déconnectés. Toute approche politique de cette question qui prend en compte l’intérêt de la nation, entend entreprendre les choses avec rationalité est immédiatement taxée à tout le moins de sans cœur, d’égoïste, sinon de raciste et d’extrême droite. Les médias se font le reflet de cette situation. 

Dans un article publié le 4 octobre dans le journal le Monde intitulé « Migrants : A Bruxelles, un débat miné par l’égoïsme des Etats » On peut lire : « Manque de solidarité, division Est-Ouest, échec de la politique des « quotas » de relocalisations obligatoires, blocage des décisions qui permettraient d’élaborer une vraie stratégie migratoire : le bilan des années écoulées est inquiétant. » « Au bout du compte, il restera surtout l’image d’une Europe bloquée, divisée et aveugle, où le thème de la « protection » (des frontières, d’un « mode de vie », voire d’un territoire « ethniquement pur », comme l’a affirmé en son temps la Pologne) a pris le pas sur tous les autres. » Voilà le signe sous lequel ce journal qui ne compte pas pour rien entend apporter sa contribution au contexte du débat sur l’immigration à l’Assemblée nationale. Il assimile dans la même phrase, la « protection » entre guillemet, et donc avec péjoration, « des frontières »,  d’un « mode de vie », à l’idée d’un territoire « ethniquement pur », en citant la Pologne. Cet amalgame qui frise l’accusation de rejet ethnique des migrants par des Etats comme la France, est significative des confusions et des malentendus qui dominent entretenus par les grands médias derrière l’image de malheur du migrant qui se noie. Des raccourcis qui font mal, car il pose un jugement moral, moralisateur, qui loin de résoudre quoi que ce soit, constituent uniquement un cran d’arrêt à la pensée politique.

Les médias prennent fréquemment le parti des migrants, à la façon d’une élite qui manifeste en leur faveur mais vit bien loin de la réalité de cette situation et de ceux qui la côtoient. Les  migrants eux-mêmes n’ont pas intérêt à cet accueil sans compter qui risque de nuire le plus à ceux qui en ont le plus besoin, et sont de plus en plus perdus dans le flot des autres. Un sondage Ipsos publié le 13 septembre, montre que 60% des Français voient les migrants comme une menace. Voilà le résultat de ce tour de force des médias.

Arnaud Lachaize : Les intellectuels ? Je ne sais pas si le mot est approprié… Ce qui est certain, c’est que le microcosme médiatique, composé d’artistes, cinéastes, journalistes, animateurs de télévision, experts attitrés des plateaux de télévision, responsables associatifs, bref, la France visible, apparente, médiatique, qui détient le monopole de l’expression publique, est globalement acquis au culte de l’immigration radieuse. Les mêmes étaient jadis marxistes. Aujourd’hui, le migrant a remplacé le prolétaire dans l’idéologie progressiste et la grande migration s’est substituée à la lutte des classes comme moteur de l’histoire. Cette idéologie est renforcée par une connivence avec une partie du grand patronat qui voit dans la migration un apport de main d’œuvre bon marché et un outil de pression à la baisse sur les salaires. Oui, bien sûr, la force de cette idéologie sans frontière contraint le pouvoir politique à faire de l’acrobatie. Il a besoin du soutien de la parole médiatique et du star system. Mais il lui faut aussi donner des gages au peuple, beaucoup plus réservé sur les migrations – tous les sondages montrent que 60% des Français pensent qu’il y a trop d’immigration. C’est pourquoi le pouvoir applique un double langage permanent : affichage de fermeté, coups de menton à l’adresse du peuple, et pratique d’une politique laxiste pour plaire à la fois au microcosme médiatique et au grand patronat. Ceci explique l’explosion des statistiques de l’asile et de l’immigration depuis quelques années. 

Edouard Husson : Encore une fois, la position de l’Etat n’a pas vraiment commencé à évoluer ! Quel président, quelle assemblée sont prêts à affronter le Conseil d’Etat sur la question de la politique d’immigration? Qui est prêt à remettre en cause la Cour Européenne des Droits de l’Homme? Le président est-il prêt à mettre absolument fin à l’immigration? A menacer nos partenaires de Schengen d’une remise en cause des Accords s’il n’y avait pas une modification fondamentale de la politique d’immigration européenne. Est-il prêt à faire, au moins implicitement, amende honorable vis-à-vis de la Hongrie ou de l’Italie, dont il a mis en cause la sévérité des politiques de contrôle de l’immigration? A côté de cela, la question du pouvoir intellectuel est très relative. Oui, le monde intellectuel a, depuis les années 1970, construit un discours intellectuel de légitimation de l’immigration massive. De manière honteuse, on a instrumentalisé l’histoire de la Shoah, en assimilant au fascisme et même au nazisme toute volonté de limiter l’immigration, de garantir des frontières.

C’était non seulement honteux mais un contresens: si l’histoire des Juifs nous apprend quelque chose de primordial, c’est la capacité de résistance et de résilience d’une identité religieuse, culturelle, nationale, sur au moins trente siècles. L’Etat d’Israël aujourd’hui est l’un des plus beaux exemples de défense de la souveraineté et de l’identité. La réalité historique et contemporaine n’a cependant pas empêché de nombreux intellectuels et universitaires de développer un discours abstrait, désincarné, instrumentalisant le malheur des victimes du nazisme, en premier lieu le génocide des Juifs, pour intimider des adversaires politiques. Mais je pense que les idées peuvent évoluer assez rapidement; cependant, dans les faits, ce sera beaucoup plus difficile de bouger. Il est beaucoup plus facile de changer d’idées que de transformer la réalité d’une politique immigrationniste pour lui substituer une politique réaliste. Quel président aura le courage de mettre fin au regroupement familial, aux exploitations abusives de la protection sociale française? Il faut courage et persévérance. 

L'Education nationale, creuset de la construction identitaire, est désormais en proie aux volontés des professeurs de glorifier des cultures étrangères, bien loin de la conception unitaire de Jules Ferry. Quels sont les maux profonds de la transmission nationale ?

Guylain Chevrier : L’école est le second vecteur de socialisation primaire, c’est-à-dire qui a en charge, l’intégration des normes et des valeurs communes, leur intériorisation. Mais parallèlement à la volonté affiché d’intégration républicaine, l’encouragement à l’enseignement du fait religieux que l’on entend encourager encore, pousse à une intégration par le biais des différences, alors que nous n’avons jamais eu autant besoin peut-être de nous rassembler autour des biens qui nous permettent de faire société ensemble. Les programmes de littérature et d’histoire s’en trouvent affectés. Il y a toujours eu une approche des faits historiques intégrant la dimension religieuse mais parmi d’autres, alors qu’ici, on entend l’enseigner en tant que telle, en référence aux dogmes religieux, comme si il en allait avec la connaissance de l’égalité du traitement des religions. On a créé cela dans l’esprit de lutter contre la déshérence morale de notre époque, comme le rapport Debray commandé par Jack Lang sur ce sujet le défendait, en 2002. Quelle erreur !

On en voit les dégâts aujourd’hui avec de plus en plus de situations où on refuse le contenu de certains enseignements, jugés non-conformes à la pensée religieuse d’un tel, ou encore le refus de petit garçons de prendre la main d’une fille...  L’histoire commune s’en trouve contestée, celle qui est enseignée, mais celle aussi qui est à écrire comme corps politique de citoyens. Pour reprendre une des pensées majeure du grand philosophe, trop oublié aujourd’hui, le défunt François Châtelet : « Si l’homme s’est fait historien c’est parce qu’il est devenu citoyen ». Autrement dit, c’est parce qu’il s’est rendu maître de son destin qu’il s’est mis à écrire, que l’homme a eu besoin de tirer les enseignements de l’expérience de son histoire, comme histoire commune, universelle, pour définir collectivement, par les moyens de la démocratie et de la participation du citoyen à la vie et aux enjeux politiques de la cité, son chemin. Est-ce bien le message transmis par l’école aujourd’hui ? Un message inévitablement brouillé. L’introduction de l’Arabe au même titre que d’autres langues optionnelles dès l’école primaire, supposée lutter contre l’islamisme, va avecl’encouragement à penser que parler à la maison uniquement la langue d’origine est une bonne chose. A l’entrée en 6e, on voit croitre le nombre de jeunes des quartiers qui ne maitrisent pas la langue française à l’oral ni à l’écrit, base de l’unicité de la nation, article 2 de notre Constitution, et pas pour rien. On pourrait citer les ELCO, ces enseignements des langues et cultures d’origine hérités d’une époque où l’on entendait maintenir le lien avec le pays d’origine en pensant que les immigrés allaient repartir dans leur pays, donnés dans les écoles par des enseignants désignés par les ambassades de référence des nationalités d’origine des enfants qu’ils accueillent.Des enseignements souvent mis au service d’un apprentissage différentialiste et fréquemment fondé sur des références religieuses. Des ELCO qui dénotent, que l’on avait promis de fermer, et posent pour le moins problème. 

Arnaud Lachaize : Est-ce vraiment la volonté des professeurs, ou bien celle des politiques et des hauts fonctionnaires de l’Education nationale qui conçoivent les programmes ? C’est en tout cas une affaire d’idéologie dominante qui déteint sur l’éducation nationale. Jusqu’aux années 1990, la Nation restait une valeur importante, bien qu’en déclin, à droite comme à gauche. D’ailleurs le slogan, la « France unie » triomphait encore aux présidentielles de 1988. La fin de l’ennemi soviétique, la suppression du service national, l’allégeance au culte de l’ouverture des frontières et à la société multiculturelle, à compter de ces années 1990, a pris possession des esprits de la France visible, médiatique, la classe dirigeante et influente. La crise des migrants  de 2015 a encore accru cette tendance, « l’accueil » devenant une sorte d’impératif moral. Alors bien sûr, cette idéologie se retrouve au cœur de l’Education nationale. D’où l’abandon de l’histoire événementielle, nationale et axée sur le récit de la vie des héros du pays. Il paraît qu’on y revient. C’est à voir, en tout cas, pour l’instant, personne ne le sent vraiment, ni au niveau des manuels, ni celui des enseignements. 

Edouard Husson : Encore une fois, je ne m’en prendrais pas à ceux qui sont sur le terrain, les professeurs. D’abord parce que beaucoup d’entre eux constatent sur le terrain la détérioration de la situation, qu’il s’agisse des atteintes à la laïcité, de l’anarchie qui règne dans un certain nombre de territoires perdus de la République ou des écarts grandissants de niveaux entre élèves - qui expliquent le recul de la France dans les études PISA d'édition en édition du classement. Le recrutement des professeurs se tarit parce qu’on a peu envie d’aller sur certains terrains.  Non, encore une fois, le problème se trouve plus haut: Je n’ai jamais oublié la déclaration d’un inspecteur général lors d’un colloque sur l’enseignement de l’histoire au début des années 1990: il s’était donné pour mission, expliquait-il, de veiller à ce que les programmes ne soient pas trop « gallocentrés »: entendez qu’on avait trop parlé jusque-là de la France. La responsabilité de ceux qui ont formulé de telles directives est lourde quand on voit ces individus, à qui on n’a pas appris à aimer la France à l’Ecole et qui, des années plus tard, se convertissent à l’Islam pour aller se battre en Syrie ou mener le djihad en France. 

Les associations sur le terrain œuvrent aussi et modifient la politique migratoire française. Dans quel sens ? 

Guylain Chevrier : Il y a une volonté de plus en plus affichée par un large milieu associatif d’ouvrir les frontières, sans bien que l’on se rende compte des conséquences à court, moyen et long terme. De France Terre d’Asile à la Cimad en passant par le Réseau Education Sans Frontières (RESF), on fait comme s’il en allait,pour l’accueil des migrants, de la bonne volonté, taxant toute résistance implicitement de rejet de l’autre voire de racisme. Certaines associations qui soutiennent les campements sauvages sont prêtes à tout pour forcer les pouvoirs publics à un accueil inconditionnel, en créant des désordres. Jusqu’à d’ailleurs aller l’affrontement avec les forces de l‘ordre. Ces militants se présentant comme de gauche, entendent faire appliquer finalement à marche forcée la règle de la libre entrée et du séjour d’étrangers dans notre pays, en s’inscrivant dans une logique de la mondialisation qui est celle de la mise en concurrence des peuples par la libre circulation des capitaux et des hommes. Les deux tiers de ceux qui se présentent comme réfugiés sont déboutés, dont 90% restent ensuite en France, régulièrement avec le soutien d’associations qui en ont fait leur profession de foi. Ils viennent grossir les rangs des SDF, plus de 2000.00 personnes, dont ils représentent plus de la moitié. Rien de bien reluisant, humanitairement parlant. On doit avoir à l’esprit que les étrangers représentent environ 20% des écroués, c’est-à-dire deux fois et demi plus que ce qu’ils ne représentent au regard de la population en France. Ce qui souligne le sérieux avec lequel on doit envisager la question de l’immigration pour la France comme pour les étrangers.

Le 5 octobre dernier, Le conseil de la Fédération protestante de France (FPF) dans un communiqué,  met en garde contre toute « instrumentalisation le débat sur l’immigration. Elle « s’alarme des « mesures régressives » qui pourraient être prises à l’encontre des migrants » parle d’une « cohésion de notre société menacée par des discours incitant à la peur, à la méfiance et à la haine de l’autre ». Elle dit craindre « des mesures régressives, réduisant de fait, de plus en plus et de façon sournoise, l’accès aux droits fondamentaux pour les plus vulnérables (par exemple, le droit pour toute personne de vivre en famille, la protection des mineurs, l’accès à une protection de santé pour les plus pauvres (AME)…) ». Pour dire que « catholiques et protestants dénoncent les mesures d’Emmanuel Macron ». On voit bien là les résistances, qui se fondent encore ici sur des sentiments, teintés de religion, envisageant la question migratoire hors toute réflexion sur des frontières que la religion ignore. Un discours uniquement fondée sur la charité, qui, si elle peut apparaître comme généreuse, ne saurait constituer les fondements de la moindre politique d’un Etat. 

Les attributions de logements sociaux par les agents administratifs peuvent contribuer à recréer des zones communautaires. La politique locale n'empêche-t-elle pas de relayer la politique nationale ?

Guylain Chevrier : Sur l'année 2015, le ministère du Logement a enregistré 1,3 million de demandes de logement social. Sur cet ensemble, les trois quarts viennent de ménages français, une demande sur 5 d'étrangers hors Union Européenne et le reste par des Européens. 340 000 ménages demandeurs ont été logés dans un logement social en France sur la même période, dont 60 000 pour des étrangers. Ces derniers représentent donc 16 % des logements sociaux attribués cette année-là. C’est-à-dire environ deux fois plus que ce qu’ils représentent dans la population française. Ces chiffres ne disent rien des conditions de regroupement ou non des uns ou des autres dans des ensembles sociaux. Il est certain que la tendance a été celle d’attribuer progressivement des logements sociaux, mécaniquement à des familles immigrées pour des raisons de conditions de ressources et d’urgence sociale. Ils peuvent avoir la nationalité française obtenue après leur arrivée en France, que l’on ne voit plus derrière le partage entre Français et étrangers dans les statistiques d’attribution. Aussi, l’aspect communautaire se renforce avec ce phénomène de regroupement sur le parc social. Les collectivités locales n’ont pas toujours le choix de la mixité sociale, car la politique des surloyers a fait fuir ces dernières années les classes moyennes, même du bas du tableau. La politique qui consiste ainsi à favoriser l’accueil de migrants dans certaines villes pour des raisons idéologiques, où s’allient élus et militants associatifs, aboutit inévitablement à un moment à des attributions de logement qui convergent dans ce sens. Ce qui n’est pas favorable à une politique nationale bien maîtrisée sur ce sujet de première importance.   

N’oublions pas non plus que nous sommes en France en matière de logement relatif à des situations d’urgence sociale, sous la loi du 5 mars 2007 du droit à un logement opposable (DALO).

Il existe un ressenti d'une justice laxiste de la part de la population. Peut-on y voir une politisation des magistrats ?

Guylain Chevrier : On connait la tendance actuelle à une politisation des magistrats, quoi qu’il ne s’agisse pas réellement d’une nouveauté, mais avec cette nouvelle influence des questions sociétales qui entendent se régler devant les tribunaux. Ce qui fait parfois des juges des décideurs politiques. 

Un exemple éloquent d’orientation en matière d’accueil et d’hébergement. Ancien directeur de Forum Réfugiés, élu lyonnais en charge de la politique du logement au sein du Grand Lyon entre 2008 et 2015, date à laquelle il démissionne en désaccord avec Gérard Collomb, Olivier Brachet est aujourd’hui juge assesseur nommé par le Haut-Commissariat aux Réfugiés à la Cour nationale du droit d'asile. Voilà son opinion concernant le rôle politique d’accueil des migrants : « les collectivités ont un rôle à jouer pour faire bouger les lignes » selon lui, pour prendre le relais de l’Etat. Préconisant que les mouvements migratoires vont aller en s’amplifiant,il explique que « la France a besoin sur une longue durée, d’avoir une organisation d’accueil capable de pouvoir lever 100 000 lits en permanence. Et il lui faut aussi un plan B de 50 000 à 100 000 lits supplémentaires pouvant être activés pour faire face aux variations conjoncturelles. Autrement dit, l’hébergement d’urgence doit devenir une sous composante de la politique du logement. Pour y parvenir, les premiers impliqués doivent être les collectivités. (…) Pour moi, ce point n’est pas discutable, il faut donc légiférer dans ce sens … » Voilà comment on s’arrange avec la réalité au nom de répondre aux besoins des migrants,selon un accueil inconditionnel, à l’échelle des territoires. Tout cela constitue bien des arguments en faveur d’un appel d’air qui ne fera pas mentir le Juge. 

On ne peut que constater que les décisions de justice à l’encontre des pratiques des préfectures se multiplient. Dans les Alpes-Maritimes, le préfet a été condamné en 2017 (le 31 mars et le 4 septembre) pour avoir interdit l’entrée en France à des demandeurs d’asile adultes, puis le 23 février pour avoir refoulé 19 mineurs. La préfecture de Seine-Saint-Denis, de son côté, a perdu au tribunal administratif le 20 février, parce que la dématérialisation de ses procédures empêche de nombreux étrangers d’accéder à leurs droits. L’année précédente, le préfet de Paris avait cumulé 135 condamnations en deux semaines pour non-respect de l’enregistrement des demandes d’asile dans le délai imposé par la loi de 2015. Des actions en justice menées par des associations de soutien aux migrants ou accompagnées par elles. 
On dénonce que l’on érigerait du côté de l’Etat l’abus en droit contre les migrants, mais on oublie d’évoquer, que toute une communauté de soutiens militants aux migrants érige le droit des étranger au-dessus de la loi, en justifiant les situations irrégulières qu’ils défendent jusqu’au bout du bout contre le cadre réglementaire. Le problème vient, on le sait avant tout, d’une impossibilité de lecture de cette politique de l’Etat depuis de nombreuses années, entre un discours ferme politiquement circonstancié, voire opportuniste, et un laxisme certain. Il faudrait, pour justifier une politique de maîtrise de l’immigration, loin des jugements moraux, de son instrumentalisation politicienne et des bons sentiments, revenir aux fondamentaux de notre République. Si nous voulons pouvoir accueillir il faut que les critères en soient mieux définis sur les fondements de l’intérêt de la France comme nation, et comme membre de l’Union européenne, en se liant  à l’intérêt des pays de départ, et des peuples. 

Pour Tahar ben Jelloun, qui a fait une tribune dans le journal Le Point le 23 septembre dernier, « il faut que les États européens luttent ensemble contre le fléau de l'immigration clandestine. Nul n'a intérêt à ce que la situation perdure. » Il plaide en faveur d’une mobilisation de l’Europe dont il dit que, « quelle que soit sa croissance économique, (L’Europe) ne peut pas accueillir tous les exclus de la vie par la faute de dirigeants corrompus et sans état d'âme. » qui « sont avant tout des victimes (…) de la mauvaise gouvernance de leurs pays, victimes, ensuite, des bandes de la mafia locale qui s'enrichit honteusement sur le trafic et l'esclavage (on avance le chiffre de 5 000 dollars la traversée).La solution ne se trouve pas en Europe » mais « en grande partie dans ces pays où des citoyens sont réduits à la misère. Il invite ainsi les pays européens à une grande politique de soutien au développement concertée et contrôlée. C’est sans doute là, manifester de la considération à ces populations non comme assistés, mais comme peuples en recherche de dignité. Voilà sans doute une piste très importante à considérer, sur laquelledit entendre se pencher le gouvernement. Elle implique une condition majeure, sortir d’une dérive idéologique de l’accueil fondée sur l’illusion des bons sentiments en lieu et place d’une grande politique de l’immigration. 

Arnaud Lachaize : C’est plus compliqué. D’abord, les interprétations de la loi varient sensiblement d’un magistrat à l’autre. Les juges des libertés, en matière de rétention administrative (qui permet d’organiser le retour des migrants en situation irrégulière dans leur pays), ont des positions extrêmement variables souvent difficiles à comprendre pour les agents des préfectures. Certains, minoritaires, font intervenir un critère politique dans leurs décisions. Le syndicat de la magistrature n’a jamais fait mystère de son hostilité aux mesures de lutte contre l’immigration illégale. Plus généralement, c’est l’air du temps, l’idéologie dominante qui imprègne leur pratique, la mauvaise conscience de laisser faire une OQTF, alors même que les conditions juridiques sont satisfaites. Mais là encore, la vraie responsabilité incombe au pouvoir politique. C’est lui qui a donné l’essentiel de la compétence en matière de reconduite à la frontière au juge des libertés qui peut à tout moment faire libérer un étranger en voie de raccompagnement dans son pays. Or les juges des libertés sont mal à l’aise avec cette mission qui consiste à maintenir en captivité des personnes pour des raisons administratives et non de nature pénale. Les tribunaux administratifs sont plus adaptés à cette mission et tout autant protecteurs des droits individuels. Le choix ainsi effectué sur une base idéologique, est de la responsabilité des politiques, pas de la magistrature. 

Edouard Husson : Je ne sais pas si le terme laxiste est approprié. Le laxisme est dans le résultat mais l’intention est militante, et non simplement du « laisser-aller ». On a affaire à des juges très idéologisés depuis longtemps. On ne parle pas seulement des juges des libertés ou des juges au pénal. Il faut remonter jusqu’aux plus hautes juridictions de l’Etat et regarder aussi le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel. A la fin de son septennat, Valéry Giscard d’Estaing avait voulu limiter l’immigration. Mais le Conseil constitutionnel se chargea de limiter, par exemple, l’effet de la loi Bonnet, en 1979, qui avait pour objectif de pouvoir lutter efficacement contre l’immigration clandestine. Un peu plus tôt, en décembre 1978, le Conseil d’Etat avait rendu difficile de revenir sur le regroupement familial (mis en place par VGE) en mettant sur le même plan les étrangers et les nationaux en ce qui concernait le « droit de mener une vie de famille normale ». 

En fait, il faut bien voir que l’immigrationnisme a suivi la lente sortie de l’état de droit national en direction d’un ordre judiciaire supranational, abstrait mais redoutable, tant il est vrai qu’il peut permettre de faire pression sur n’importe quel pays. Les souverainistes ont souvent évité le sujet de l’immigration, politiquement incorrect, sans se rendre compte que ce qui se jouait dans ce domaine n’était pas moins essentiel que la question de l’euro ou celle de la dissuasion nucléaire. D’ailleurs de Gaulle avait les idées très claires sur l’immigration: elle devait pour lui être limitée à de la main d’oeuvre et réversible. Je ne connais pas beaucoup de gaullistes qui aient le courage de défendre cette part du gaullisme - malgré les témoignages très clairs sur le sujet d’Alain Peyrefitte ou de Michel Massenet.

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