De Mélenchon à Berlusconi et de Marine Le Pen à Beppe Grillo : les populismes européens seront-ils les fossoyeurs ou les sauveurs de la démocratie ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les populismes européens seront-ils les sauveurs, ou au contraire les fossoyeurs de la démocratie ?
Les populismes européens seront-ils les sauveurs, ou au contraire les fossoyeurs de la démocratie ?
©Flickr/Jolisoleil

Vox populi

A l’issue des élections législatives, marquées par le spectaculaire résultat du mouvement populiste de l’humoriste Beppe Grillo, aucune majorité nette ne s'est dégagée hier soir à Rome. La coalition de gauche, regroupée autour du Parti démocrate, était très légèrement en tête à la Chambre des députés.

Guillaume  Bernard,Bruno Bertez et Laurent Pinsolle

Guillaume Bernard,Bruno Bertez et Laurent Pinsolle

Guillaume Bernard est docteur en droit, maître de conférence à Sciences Po Paris et à l'Institut Catholique d'Etudes Supérieures. Il est spécialisé en histoire des institutions publiques et des idées politiques. Il a notamment codirigé Les forces politiques françaises (PUF, 2007) et le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011).

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber. Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance

Laurent Pinsolle tient le blog gaulliste libre depuis 2007. Il est également Délégué National à l'économie et au budget de Debout la République, le parti de Nicolas Dupont-Aignan.

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Ce papier a initialement été mis en ligne le 11 décembre 2012 et mis à jour le 26 février 2013

Atlantico : A l'issue de législatives au résultat problématique, Beppe Grillo, considéré comme le "Coluche italien", a obtenu environ 25% des votes à la fois au Sénat et à la Chambre des députés. Confrontées à une crise qui bouleverse leurs repères économiques et politiques, les démocraties européennes sont-elles en train de perdre pied et de faire ainsi le jeu des populismes ? 

Laurent Pinsolle : Il est parfaitement normal que les électeurs remettent en question les partis qui les ont menés dans une impasse économique. Cela est démocratiquement très sain, même si cela peut occasionner l’émergence de personnalités jugées farfelues ou radicales. Les grands partis qui ne parviennent pas à sortir le continent européen de la crise dans laquelle il s’enfonce n’ont pas un droit éternel à gouverner. Bien au contraire, je crois que l’émergence de ces nouveaux mouvements, dans les pays les plus durement frappés par la crise (Islande, Grèce, Italie), est un signe de vitalité de nos démocraties.

Le terme de "populisme" est un faux ami dans le débat public, comme l’a bien montré Vincent Coussedière dans son livre L’éloge du populisme. S’il ne désigne que la démagogie et les démagogues, alors il est impropre. En effet, dans ce cas là, mieux vaut qualifier du terme originel – démagogues – les personnalités que l’on désigne du terme populistes. En outre, on peut contester l’application seule de ce terme aux nouveaux mouvements contestataires. Les partis au pouvoir en Europe devraient balayer devant leur porte. C’est le cas de tous les dirigeants européens quand ils ont conçu le second plan grec début 2012, sur des hypothèses totalement irréalistes, imposant un nouveau plan moins d’un an après. Que penser également de Nicolas Sarkozy, qui se pose en grand moralisateur du capitalisme puis ne fait pas grand chose ou au gouvernement actuel qui promet d’agir pour l’usine PSA d’Aulnay avant de laisser tomber tout en laissant son administration acheter des Ford et des Volkswagen ?

Mais il y a une autre interprétation du terme "populisme" qui pose un grave problème démocratique. Une partie des élites utilise ce terme en sous-entendant que la nature profonde du peuple est de répondre à un discours démagogique. Ce faisant, il est difficile de ne pas y voir une remise en cause du principe même de démocratie, qui s’illustre alors dans la volonté de rendre indépendant de l’influence démocratique une part grandissante des pouvoirs politiques (indépendance des banques centrales, Commission Européenne). Assez logiquement, les partis qualifiés de "populistes" sont généralement hostiles à ces transferts de souveraineté. Mais dans ce cas, il s’agit d’une réaction logique des peuples qui ne veulent pas être dépossédés de leur capacité à se gouverner par des technocrates irresponsables.

Bruno Bertez : Les peuples sont les grands absents de l'Europe dans tous les domaines. Il n'y a aucune démocratie dans le fonctionnement des institutions européennes. Par conséquent, il ne faut pas s'étonner si les peuples se réintroduisent dans le jeu politique par le biais du populisme.

Monti est le prototype de pantin de l’establishment. Berlusconi est un modèle dans le genre populiste.Ce n’est pas un hasard s'il triomphe en Italie. Il y a quelque chose de "hot", de chaud, chez les Italiens. Et puis, Berlusconi a des télés, cela lui permet de travailler son image et surtout cela contrecarre, cela fait obstacle à la prégnance des images cool de l’establishment. Mais, l’establishment, tout en jouant perpétuellement la comédie, n’aime pas les personnages de films hauts en couleurs comme Berlusconi. L’establishment est cool, il n’est pas "hot". Il vit dans un monde aseptisé  (en apparence). Il vit dans un monde d’alternances où l’on va du pareil au même, il vit dans le monde froid du mensonge. Il vit dans l’opacité. Berlusconi n’est pas le seul populiste qui réussit en Italie, il y a aussi le nouveau rassemblement spontex de Bepe Grillo. Rassemblement spontex qui monte, qui monte....

Guillaume Bernard : Les partis politiques de gouvernement sont confrontés à une double crise. D’une part, il peut y avoir une distorsion entre leur discours électoral et la politique qu’ils mènent une fois arrivés au pouvoir : les électeurs peuvent se sentir floués et se tourner vers des partis plus extrêmes. D’autre part, l’Europe et le monde connaissent depuis plusieurs années des bouleversements profonds : effondrement du régime soviétique, attentats du 11-septembre, crise financière, etc. Cela a provoqué une transformation (une perte pour certains) des repères partisans. Pendant longtemps, c’est de la gauche que venait la poussée idéologique. Désormais, c’est par la droite qu’apparaissent les nouvelles idées et organisations. C’est ce que j’appelle le « mouvement dextrogyre ».

L'Union européenne (UE), qui est parfois jugée trop technocratique a-t-elle sa part de responsabilité dans la situation ?

Laurent Pinsolle : L’UE porte une lourde part de responsabilités dans cette évolution puisqu’elle s’est organisée pour justement priver les gouvernements démocratiquement élus de marges de manœuvres, que ce soit sur la monnaie (en imposant l’indépendance de la BCE, dont le seul mandat est la lutte contre l’inflation, contrairement à la Fed étasunienne, qui a un mandat plus large), le commerce (où la Commission négocie pour les Etats) et de nombreux sujets sur lesquels elle cherche à imposer son point de vue, parfois contre l’avis des gouvernements (OGM par exemple). Trop souvent, le pouvoir est confié à des technocrates indépendants de tout contrôle démocratique.

Pire, l’UE méprise parfois ouvertement le suffrage universel et la démocratie, comme on a pu le voir après le "non" de la France et des Pays au TCE en 2005 ou le "non" de l’Irlande au traité de Lisbonne, comme cela est décrit dans le livre Circus Politicus. On consulte les peuples, mais à la condition qu’ils répondent dans le sens souhaité. Les évènements de l’automne 2011 (où le Premier ministre grec s’est vu refuser la tenue d’un référendum sur les plans européens et où les gouvernements italiens et grecs ont été remplacés par des gouvernements menés par des technocrates) expliquent très logiquement le bon score des partis anti-systèmes dans ces pays.

Bruno Bertez : Ce n'est pas l'Union européenne qui est technocratique, mais l'ensemble de l'élite européenne qui se veut technocratique pour sauver un projet intellectuel qui a vu le jour il y a très très longtemps. L'ensemble de ces gens essaient d’étouffer ce que ressentent les peuples au profit d'idées fumeuses et désincarnées. Il ne faut pas viser spécifiquement la Commission européenne ou telle ou telle institution. Encore une fois, c'est l'ensemble des gens qui défendent la construction européenne qui sont complices et connivents pour vivre dans un monde déconnecté de la vie réelle des citoyens. Le populisme, c'est précisément la manifestation par les citoyens du fait qu'ils ont compris et qu'ils refusent d'aller plus loin dans ce sens là.

Guillaume Bernard : C’est toute l’ambiguïté de la nature juridique de l’Europe qui se révèle encore ici. D’un côté, l’Union européenne est une organisation internationale reposant sur de l’interétatique, de l’autre, elle fonctionne, en interne, comme un État fédéral (étant  d’ailleurs entendu qu’il existe plusieurs formes de fédéralisme). Or, si l’exécutif européen (la Commission) domine (par exemple dans l’initiative normative), il ne faudrait pas oublier que la décision finale est laissée au pouvoir législatif, c’est-à-dire, essentiellement, au Conseil de l’Union. Si l’Europe a du pouvoir, c’est parce que les États le lui ont confié (ou abandonné). En outre, il est certain que cette procédure décisionnelle où ce sont les exécutifs nationaux qui sont le législatif européen (pouvoir qu’il partage avec le Parlement) est peu lisible pour les opinions publiques et contribue, notamment, à l’abstention lors des élections européennes.

Dans le rapport direct qu'ils instaurent avec les peuples et dans leur capacité à médiatiser des problématiques complexes et délaissées par les partis traditionnels, les partis populistes n'ont-ils pas un rôle ambigu : à la fois sauveurs et fossoyeurs de la démocratie ?

Laurent Pinsolle :Les partis "populistes" ne seraient des fossoyeurs de la démocratie que si, arrivés au pouvoir, ils la supprimaient totalement. Or cela n’est généralement pas le cas. En Amérique du Sud, beaucoup de personnes qualifiées de "populistes" ont accédé au pouvoir sans remettre en cause la démocratie. Il s’agissait simplement d’une alternance démocratique. Bien sûr, il y a le cas d’Hugo Chavez, dont certaines pratiques, notamment vis-à-vis des médias, sont autoritaires et peu démocratiques, mais même dans son cas, les Vénézuéliens votent librement et il a même perdu (et accepté d’avoir perdu) des élections, signe qu’il n’a pas été un fossoyeur de la démocratie.

En un sens, ces partis sont des sauveurs de la démocratie car ils renouvellent l’offre démocratique, chose totalement nécessaire quand les principaux partis au pouvoir finissent par mener des politiques trop proches pour représenter une véritable alternative aux électeurs. En ce sens, il est sain que Syriza ait émergé en Grèce sachant que la coalition au pouvoir comprenait le PASOK et Nouvelle Démocratie. Idem en Italie ou le centre-gauche et le centre-droit sont temporairement alliés : il est logique que les Italiens se tournent vers de nouvelles propositions politiques. Et il est parfaitement logique qu’ils se tournent vers ceux qui écoutent leur demande, même s’ils sont qualifiés de "populistes".

Bruno Bertez : Il est évident que le peuple ne peut s'exprimer que de façon primaire, c'est-à-dire de façon émotionnelle et excessive. On ne va pas demander à tous les gens d'avoir fait polytechnique ou d'être capable de lire les rapports imbéciles de la Commission européenne ! Le peuple s'exprime au travers des gens dans lesquels il se reconnait. Les populistes se sont des gens qui ont compris les ressorts profonds du peuple. Ce sont des gens qui parlent simplement, des gens en chaire et en os et non des ectoplasmes du style Monti.

Le fait que les gens puissent s'exprimer, fut-ce maladroitement au travers du populisme, est quelque chose d'extraordinairement positif pour l'Europe. Si cela était escamoté, le mécontentement deviendrait de plus un plus insupportable et le couvercle de la marmite finirait par éclater. La fonction d'expression chez les populistes doit être à tout prix préservée et même glorifiée et encouragée. C'est une très grave erreur que de dénigrer les populismes : il faut les intégrer au jeu politique. Il faut faire en sorte que ce qu'ils exigent de façon primaire soit pris en compte chez les technocrates.

Guillaume Bernard : Tout dépend de la manière dont la démocratie est appréhendée. Elle peut l’être sous deux angles. Le premier oppose les démocraties classique (gréco-romaine) et moderne. Selon la première conception, la démocratie est un procédé de prise de décision. Parmi les différents régimes (monarchie, aristocratie, démocratie), elle est une option parmi d’autres ; ce qui compte est son adéquation à la réalisation du bien commun. A l’inverse, selon la seconde conception, celle qui s’est développée à partir du XVIIe siècle, elle est profondément connotée, la démocratie étant porteuse de valeurs qui lui sont intrinsèques, celles qui sont au fondement de l’ordre social. Ce régime est considéré comme le plus logique dans le cadre d’une société qui est conçue comme le fruit de la sociabilité artificielle : il n’y a pas de société s’il n’y a pas de contrat social et, par conséquent, le régime le plus légitime semble être celui qui donne la souveraineté à ceux qui sont à l’origine de l’existence de la société.

Les mouvements populistes sont idéologiquement hybrides, mais il est certain qu’ils considèrent la défense du corps social comme plus importante que l’attention à porter à des idées considérées comme abstraites. De ce point de vue, ils partagent, avec les Classiques, le principe selon lequel la démocratie est un moyen pour permettre à la décision politique d’émerger et non un système de concepts idéologiques indiscutables.

Diriez-vous que les partis traditionnels ont oublié de faire de la pédagogie ? La conception élitiste de la démocratie qui semble y prévaloir doit-elle évoluer ? Dans quel sens ? 

Laurent Pinsolle : Non, je ne crois pas qu’ils aient manqué de pédagogie. Je crois que les partis traditionnels sont responsables de cette évolution pour une double raison :

  • Tout d’abord, quand ils sont si proches qu’ils en finissent par gouverner ensemble (Allemagne, Italie, Grèce) ou voter ensemble sur des sujets importants (France, Espagne), il est logique que de nouveaux partis émergent, avec des opinions forcément différentes des leurs. C’est un réflexe démocratique sain et le mépris à l’égard de ces nouveaux partis montre au contraire un réflexe bien peu démocratique de ces partis traditionnels qui semblent vouloir se voir réserver le pouvoir.

  • Ensuite, ils ne contribuent plus à la réflexion politique. Il suffit de penser aux débats Aubry-Hollande ou Copé-Fillon, où les différences portaient principalement sur le style des protagonistes et pas vraiment sur les idées ou les propositions. Ils ne se posent pas vraiment de questions sur tellement de sujets pourtant importants dans cette crise (Europe, libre-échange, système monétaire et financier…) qu’il est bien normal qu’ils soient remis en question par de nouveaux partis et par les électeurs.

Les partis traditionnels devraient redécouvrir ce qu’est le débat démocratique et cesser d’excommunier toute personne qui sort de leur prétendu cercle de la raison (qui nous a mené dans la crise où nous sommes aujourd’hui) et débattre sereinement mais véritablement de tous les sujets, en s’ouvrant aux opinions venues d’ailleurs. Mais on peut douter qu’ils y parviennent tant ils semblent incapables de toute remise en question.

Bruno Bertez : Les partis politiques ne représentent qu'eux-même et quelques militants qui ont envie d'aller à la soupe et de profiter d'une organisation partisane qui leur donnerait un petit pouvoir et peut-être quelques avantages financiers. Les partis politiques sont tout simplement coupés des peuples depuis longtemps. Le pourcentage d'abstention et de bulletins blancs extrêmement important à chaque élection, montre bien que leur légitimité est finalement très faible. Cela signifie que les gens qui prétendent représenter le peuple sont absolument incompétents. Il ne faut donc pas s'étonner que celui-ci cherche d'autres voies.

Guillaume Bernard : Vous soulevez, ici, la question de la seconde approche de la démocratie qui distingue la souveraineté populaire (qui se réalise, généralement, dans le cadre de la démocratie directe : le référendum) de la souveraineté nationale (qui s’incarne dans la démocratie représentative). Il est certain que les mouvements populistes, dans leur démarche de dénonciation des élites « corrompues », se font le parangon de la démocratie directe.Plusieurs éléments démontrent que les élites politiques se coupent dangereusement des citoyens : il n’a pas vraiment été tenu compte du rejet (en France et aux Pays-Bas) du traité établissement une constitution pour l’Europe, il a été demandé aux Irlandais de revoter, à propos du traité de Lisbonne, lorsqu’ils l’avaient d’abord rejeté, etc. De manière plus générale, alors que les nouvelles technologies permettraient de consulter régulièrement les électeurs, le mandat représentatif des élus (qui aboutit au principe selon lequel les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient) risque de devenir le symbole d’une fracture idéologique et sociale.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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