De Bercy au FMI, le vrai bilan de l’économiste DSK <!-- --> | Atlantico.fr
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Jack Lang expliquait il y a 10 jours que Dominique Strauss-Kahn était "un homme brillant, intelligent".
Jack Lang expliquait il y a 10 jours que Dominique Strauss-Kahn était "un homme brillant, intelligent".
©Reuters

Les bons comptes

Alors que Jack Lang expliquait il y a 10 jours que Dominique Strauss-Kahn était "un homme brillant, intelligent" avec "une connaissance en particulier de l'économie mondiale", envisageant même le retour en politique de son ancien collègue, l'ancien président du FMI et ministre de l'Economie a fait un retour remarqué sur Twitter.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : En tant que ministre du Commerce extérieur entre 1991 et 1993, puis de ministre de l'Economie et des Finances entre 1997 et 1999, quel est le bilan économique "national" de Dominique Strauss-Kahn ?

Nicolas Grotzmann : Dominique Strauss Kahn entre pour la première fois au gouvernement en 1991, sous l’autorité d’Edith Cresson, puis de Pierre Bérégovoy, mais il ne fait pas encore partie des poids lourds du gouvernement, et ne peut donc pas être crédité d’un véritable bilan personnel. Cependant, les résultats économiques de ces deux gouvernements successifs ont été largement défavorables, avec la plongée de l’économie française en récession en 1993, après deux années de faible croissance. Mais la période est charnière, car il s’agit du moment précis de la signature du traité de Maastricht, de la mise en place d’une réelle rigueur budgétaire et de la validation d’une politique monétaire stricte. DSK s’inscrit ici dans la logique du tournant de la rigueur de 1983, et de son institutionnalisation au niveau européen.  

Puis, à la fin des années 90, et plus exactement entre 97 et 99, Dominique Strauss-Kahn ministre des finances, est devenue la caution sociale-libérale du gouvernement de Lionel Jospin. Il suffit de se rappeler les propos du patron du patron de l’époque; Ernest Antoine Sellière, pour s’en rendre compte : « Nous avons un très bon ministre des Finances, peut-être pas le meilleur de l'univers (…) mais il fait de son mieux pour ne pas ajouter aux handicaps des entrepreneurs.»  Ce qui ne peut que rappeler la position actuelle d’Emmanuel Macron au sein du gouvernement de Manuel Valls.

Mais au final, son passage au ministère des finances a été très court, deux années, qui peuvent se résumer à une grande vague de privatisations, à un budget contenu, et au retour de la croissance. Son départ du gouvernement, à la fin de l’année 99 et sur fonds du scandale de la MNEF, coïncide avec le début de la fin de la croissance et l’explosion de la bulle internet au cours de l’année 2000. Peu importe finalement de constater que le ministre n’y était pour rien en ce qui concerne le retour de la croissance puisqu’il s’agissait d’un phénomène mondial, l’important est qu’il ait été en place à ce moment précis. Il en a conservé le crédit, la chance fait partie du jeu. Concernant la réforme des 35 heures, la position du ministre était bien plus nuancée que celle de Martine Aubry. Ses déclarations en témoignent; il lui semblait absurde d’imposer ce système par le haut à l’ensemble de l’économie, mais revendiquait l’idée d’une réduction du temps de travail dans une perspective de compensation versée aux salariés, comme une récompense donnée aux gains de productivité.

Mais encore une fois, la période joue un rôle, car 1999 est l’année de la naissance de l’euro, dont il peut revendiquer une certaine paternité. Après l’épisode de 1992, Dominique Strauss-Kahn fait désormais partie des figures de la naissance de la monnaie unique. 

De 2007 à 2011, Dominique Strauss-Kahn a pris une dimension internationale en prenant la direction du FMI. Qu’a-t-il apporté à l’institution ?

D’un point de vue politique, la mission de DSK était délicate, puisque le FMI sortait d’une période difficile, notamment en raison du traitement de la crise argentine du début des années 2000. L’objectif était donc de réhabiliter le crédit de l’institution, et ce, au moment même où la crise de 2008 intervenait. En ce sens-là, DSK est parvenu à remettre le FMI au centre des débats économiques mondiaux. Son talent politique a été réel dans cette mission.

Mais concernant la ligne économique elle-même, le problème est manifeste puisque DSK peut être  directement mis en cause avec le dossier grec. Il porte en effet une responsabilité centrale dans la mise en place des mesures d’austérité dans le pays, et dans l’échec total de cette politique. Le 10 avril 2010, il déclare à l’hebdomadaire autrichien « profil » : "le seul remède efficace qui reste à la Grèce c’est la déflation. Cela sera douloureux. Cela signifie des salaires en baisse et des prix en baisse. Il n’y a pas d’autre chemin pour que la Grèce redevienne compétitive." Ces quelques phrases résument à elles seules la faillite intellectuelle de la ligne économique alors défendue par DSK à travers le FMI. Lorsque les premières mesures ont été appliquées, les premières prévisions du FMI envisageaient un retour à la croissance dès 2012 pour le pays, avant une accélération pour les années suivantes. Les effets de l’austérité ont été complètement sous-estimés, pour en arriver à la chute de plus de 25% du PIB du pays, puis la victoire de Syriza, et aboutir enfin à la mise en danger de la zone euro elle-même. A cet instant, DSK était en parfait accord avec la ligne économique portée par la Commission et la Banque centrale européenne. Rien ne permet d’envisager une position différente. Ce qui caractérise Dominique Strauss-Kahn dans le courant de cette période, c’est donc un conformisme total, et l’incapacité d’établir un diagnostic permettant une sortie de crise.  

Dans son premier Tweet, "Jack is back", DSK revient sous un profil d'expert économique "Successively France Finance minister - International Monetary Fund managing director - Global Strategy advisor". Dominique Strauss-Kahn est-il davantage un expert économique qu'un politique ?

Dominique Strauss-Kahn bénéficie d’une image très forte sur le plan économique, mais celle-ci paraît assez largement exagérée. Après l’épisode grec au FMI, DSK s’est lancé dans une aventure financière avec le fonds d’investissement LSK, aventure qui s’est achevée dans des circonstances dramatiques. Sur le plan financier, l’ardoise laissée par l’associé de DSK dans cette affaire est très lourde, avec un passif de 100 millions d’euros. Il ne peut en être jugé responsable, mais sa clairvoyance pose question. Car Il ne s’agit même pas de remettre en cause les compétences économiques de la personne, mais simplement de constater froidement que ses choix, ses prises de positons, ou même ses décisions ne méritent pas le crédit dont ils bénéficient. Il semble, de façon plus réaliste, que c’est le décalage général entre le discours commun de la politique économique française et la compétence de DSK qui crée cette impression. Le résultat est un fort effet de contraste. C’est là ou l’aspect politique prend le dessus, parce qu’il a su gérer cette image d’expert à son profit. Mais cette dimension de visionnaire économique génial semble tout à fait hors de propos au regard de ses actes. 

En se liant aux comptes twitter de Joseph Stiglitz ou de Paul Krugman, DSK opère-t-il un revirement à posteriori de sa ligne économique historique ? 

C’est l’aspect le plus intéressant du Tweet de Dominique Strauss Kahn. Car Joseph Stiglitz et Paul Krugman sont deux Prix Nobels d’économie totalement opposés aux politiques d’austérités, celles la même auxquelles DSK a participé. En manifestant un tel intérêt pour ces deux personnalités, il semble donc se revendiquer d’une position nouvelle. Ainsi, Paul Krugman ne cesse de fustiger les positions rigoristes allemandes, rejette toute problématique relative à la dette pour l’Europe, et soutien une large relance budgétaire pour lutter contre la crise. Et Joseph Stiglitz est sur la même ligne. Encore une fois, il ne s’agit pas de se méprendre ; les décisions prises par DSK ne coïncident en rien avec les positions défendues par ces deux Prix Nobels. Deux possibilités existent alors, soit il s’agit d’une évolution de la pensée économique de DSK, et qui devrait donc s’accompagner d’un assouplissement de ses positions précédentes, soit de pur opportunisme. intérêt pour ces deux personnalités, il semble donc se revendiquer d’une position nouvelle.

En quoi la ligne économique de Dominique Strauss-Kahn diffère-t-elle de celle de François Hollande ou de celle du Parti socialiste ?

Historiquement, en rien. Bien que Dominique Strauss-Kahn ait pu critiquer François Hollande de façon plutôt virulente pour les premières années de son mandat, l’orientation « politique de l’offre » donnée à ce quinquennat en janvier 2014 est en adéquation avec la ligne « historique » de l’ancien Président du FMI. Nous sommes sur le terrain habituel de la social-démocratie, ou du social libéralisme. La nouveauté, avec l’intérêt porté à Stiglitz et Krugman, c’est la « gauchisation » de la position. Parce que c’est plutôt Arnaud Montebourg qui a eu l’occasion, à plusieurs reprises, de citer les idées de Paul Krugman en exemple, notamment sur les questions de la résolution de la crise grecque, ou sur les moyens de relancer la croissance en Europe. Il est donc tout à fait possible d’imaginer DSK venir attaquer les décisions de ses anciens amis socialistes, sur leur gauche. Ou, plus ironiquement encore, de pointer les erreurs de Christine Lagarde à la tête du FMI, ou des instances européennes.

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