D-Day, 70 ans de mythes ? Tout ce qu'on oublie souvent de dire sur la réalité du débarquement <!-- --> | Atlantico.fr
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Opération Overlord 6 juin 1944
Opération Overlord 6 juin 1944
©Reuters/ Herman Wall/US National Archives

L'Histoire en vrai

Entre les exagérations d'Hollywood et le chauvinisme résistant, le Jour J comporte son lot d'approximations historiques. L'occasion d'en corriger quelques-unes en ce jour de célébrations mémorielles.

Jean-Luc  Leleu

Jean-Luc Leleu

Jean-Luc Leleu est historien. Il est l'auteur de La Waffen-SS : Soldats politiques en guerre (Perrin).

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Le débarquement du 6 juin est souvent présenté des deux côtés de l'Atlantique comme un élément fondateur de la victoire des démocraties occidentales sur le nazisme. Une opération d'autant plus éclatante qu'elle aurait été le fruit d'une déterminante coopération des forces alliées et de la "French Resistance". Deux interprétations des faits, parmi d'autres, que l'on peut pourtant être amené à modérer au regard de ce que l'Histoire nous apprend réellement de cette bataille haussée au rang de mythe mémoriel.

L'opération Overlord n'a pas eu de rôle décisif dans la défaite du IIIe Reich alors que les 8/10e de l'appareil de guerre allemand se trouvait occupé à l'Est

Jean-Luc Leleu : Dire qu'un événement militaire a été décisif revient stricto sensu à signifier qu'il a permis de manière déterminante de faire basculer la victoire dans l'un ou l'autre camp. Or on ne peut s'empêcher de constater que si le débarquement du 6 juin avait tourné à l'échec au lieu d'aboutir à la victoire que l'on sait, la défaite déjà prévisible de l'Allemagne nazie n'en aurait probablement pas été moins inéluctable. Dès la fin 1941, l’incapacité de l’Allemagne à vaincre l’URSS comme l’entrée en guerre des Etats-Unis conduisaient le Reich dans une situation stratégique très difficile. L'événement du 6 juin n'en a pas moins été évidemment décisif sur un tout autre plan, à savoir celui de l'anticipation de l'après-guerre. La vraie portée de l'offensive de Normandie concernera ainsi l'établissement des rapports de force de la future Guerre Froide.

Le débarquement anglo-américain était en réalité ardemment souhaité par Staline qui en obtint la promesse par Churchill et Roosevelt lors de la rencontre de Téhéran le 1er décembre 1943

Il est très clair que Staline n'a cessé de réclamer depuis 1941 une intervention qui serait à même de limiter le potentiel de guerre allemand à l'Est. En dépit d'un renversement progressif des rapports de forces en faveur de Moscou, les troupes soviétiques devront ainsi supporter pendant longtemps l'essentiel de l'effort de guerre allié, au prix de sacrifices considérables. L'ouverture réelle d'un second front arrive en fait relativement tard dans le conflit, les différents débarquements alliés en Afrique du Nord, en Sicile puis en Italie n'ayant jusqu'ici constitué que des opérations mineures en comparaison de l'intensité des combats qui avaient lieu sur le front russe.

Overlord représente certes une opération de guerre majeure, mais son statut de "plus grande opération militaire du XXe siècle" est ambigu

L'objectivité des critères étant toujours difficile à établir, il est souvent préférable de se méfier des superlatifs en ce qui concerne l'Histoire. Ce constat n'est déjà pas tout à fait exact si l'on retient le nombre d'hommes débarqués sur les plages puisque le nombre d'hommes débarqués à terre était plus important en Sicile, et le débarquement de Provence (opération Dragoon débutée le 15 août 1944, NDLR) ne se situerait du reste pas loin derrière. Ce "titre" reviendrait néanmoins à l'opération Market Garden en Hollande (septembre 1944) si l'on retient le nombre de troupes aéroportées. 

Le rôle de la résistance française dans les opérations militaires du 6 juin a été enjolivé dans l'après-guerre

Une grande partie du public assimile le débarquement de Normandie à l'image qu'en a produite Hollywood, tout particulièrement avec le classique "Le jour le plus long" sorti en 1962. La participation française au débarquement a été particulièrement valorisée dans le film, au regard du livre éponyme de Cornelius Ryan. Cette exagération historique peut en réalité s'expliquer pour des raisons commerciales, puisque le film sera projeté en avant-première à Paris et fera l'objet d'une intense campagne de promotion. Cette super-production a par ailleurs été dépendante de la contribution de différentes forces militaires (dont celles de la France) capables de prêter matériels et figurants pour la réalisation. 

Au final, on trouve là une illustration très concrète de la confusion entre  l’histoire et la mémoire, le souvenir du 6 juin étant d’abord devenu pour beaucoup celui d'un film.

Le succès du débarquement sera déterminant dans l'établissement de la puissance militaire américaine

Overlord est sur le plan de l'organisation et de la logistique une opération brillante quant on sait qu'elle engage des milliers de navires et plusieurs centaines de milliers d'hommes en intégrant les marins et les aviateurs). Ce succès est toutefois le fruit d'échecs passés, les débarquements de Dieppe (1942) et de Sicile (1943) ayant connu plusieurs difficultés. Il n'en reste pas moins que l'organisation du débarquement du 6 juin, et plus encore celle des jours de combats qui ont suivi dans le bocage normand se fera avec relativement peu d'accrocs au regard des volumes engagés. Cette efficacité de l'armée anglo-américaine de 1944 est d'autant plus étonnante quand on la compare à la petite armée de métier qui opérait en 1941, l'écart s'expliquant entre-temps par le développement d'un potentiel militaro-industriel démesuré. Dans les dernières années de la seconde Guerre Mondiale, les armées anglo-americano-canadiennes sont ainsi les seules à être entièrement motorisées, contrairement à l'armée russe qui ne le restera que partiellement et l'armée allemande qui ne le sera jamais vraiment

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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