Crise du logement : la taxe foncière cet outil sous-utilisé, malgré l’efficacité maximale<!-- --> | Atlantico.fr
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Comment mettre en place une taxation de manière intelligente pour en maximiser les effets bénéfiques ?
Comment mettre en place une taxation de manière intelligente pour en maximiser les effets bénéfiques ?
©DR / Adobe Stock / Capture d'écran

Mobilité du parc immobilier

Les maires pourraient être tentés d’utiliser en 2023 le levier fiscal de la taxe foncière. Taxer plus la valeur des terrains est-il aujourd'hui la seule taxation véritablement pertinente ?

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Atlantico : Dans une tribune pour le Financial Times, Martin Wolf estime que "les arguments en faveur d'une taxe sur la valeur des terrains sont accablants" (The case for a land value tax is overwhelming). Quels sont ces arguments ? Les partagez-vous ?

Marc de Basquiat : Beaucoup d’économistes de renom – dont Henry George, Adam Smith, David Ricardo ou Maurice Allais, premier prix Nobel français – ont préconisé de taxer la détention immobilière plutôt que les revenus de ceux qui tentent de s’en sortir par leur travail. Encore tout récemment en France, Alain Trannoy et Etienne Wasmer ont publié Le grand retour de la terre dans les patrimoines (Odile Jacob, 2022), où ils argumentent avec force en faveur d’un impôt sur la détention foncière, qui laisserait de côté la valeur du bâti.

Martin Wolf leur emboîte le pas et met en avant un argument « moral » : il est légitime de taxer la rente des ressources naturelles plutôt que celle des autres actifs, car elles préexistent aux efforts humains. Il pose avec pertinence que cette imposition est à la fois efficace économiquement (un produit fiscal élevé sans freiner le dynamisme des activités humaines) et équitable (ciblant davantage les héritiers que ceux qui endurent leurs journées de labeur).

Cette idée me parait vraiment très intéressante, mais se heurte à mon sens à deux limites.

D’abord, il faut bien comprendre que nos systèmes économiques fonctionnent en transformant peu à peu toute la population en rentiers, ce que Pierre-Yves Gomez décrit de façon limpide. En cotisant pour sa retraite, en constituant son assurance-vie, en achetant son appartement ou sa maison, chacun de nous se constitue une rente pour aborder l’avenir avec sérénité. Taxer ce rare outil de certitude est forcément mal perçu, pas que par les riches propriétaires terriens anglais qu’évoque Martin Wolf. Nous tous avons besoin du protéger le peu de sécurité que nous avons pu constituer au cours de notre vie active. Obtenir un soutien public à une taxe renforcée sur le patrimoine – même si pleinement légitime et remarquablement efficace au plan économique – est une gageure.

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La deuxième limite tient à la fragilité de la distinction entre un patrimoine créé par l’activité humaine et celui qualifié de « naturel ». La valeur du mètre carré au centre de Londres ou de Paris a tout à voir avec la valeur de l’activité humaine qui l’entoure. De même, une vieille maison dont les premiers propriétaires et bâtisseurs mangent depuis longtemps les pissenlits par la racine n’est-elle pas de facto une extension de la nature ? Même si mes amis Trannoy et Wasmer tiennent à la distinction entre la valeur du terrain – qu’il s’agit de taxer – et celle de la construction, je m’interroge sur sa légitimité philosophique.

Taxer plus la valeur des terrains est-il aujourd'hui la seule taxation véritablement pertinente ? Pourquoi ?

J’aurais tendance à élargir la proposition à la fiscalité de tout le patrimoine immobilier, voire l’ensemble du patrimoine physique.

Le patrimoine financier est d’une nature toute autre : il est uniquement fondé sur la symétrie entre un agent économique qui détient l’actif financier (par exemple une somme qu’il a empruntée à la banque) et un autre agent qui équilibre le passif (dans cet exemple, avec la reconnaissance de dette signée par l’emprunteur). Si j’écris sur un bout de papier que je dois 100 euros à mon voisin, ce papier est conservé par ce dernier comme un élément de son patrimoine financier. C’est exactement la même chose si je détiens des actions d’entreprises ou des obligations du trésor.

Ce n’est pas le cas du patrimoine physique : lorsque je possède un champ, une maison, une voiture ou des bijoux, personne ne possède de créance en contrepartie. Si le champ est saccagé, si la maison brûle, la voiture se casse ou le bijou tombe par mégarde au fond de l’Atlantique, personne d’autre ne s’enrichit ni ne s’appauvrit en contrepartie.

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Ceci nous permet de comprendre pourquoi la taxation des patrimoines physiques est si efficace : lorsqu’on en a la jouissance, c’est exclusif. Personne ne peut contester de bonne foi la légitimité d’une taxation sur quelque chose dont l’ensemble de la population accorde la jouissance à son heureux propriétaire. Il faut raisonner par l’absurde : si je contestais ce prélèvement, n’importe qui pourrait me contester la légitimité de cette propriété ! En effet, ce n’est pas parce que mes ancêtres m’ont transmis une propriété – ou que j’ai payé un vendeur pour l’acquérir, ce qui revient au même à cet égard – que mes contemporains se sentent engagés à la respecter. C’est bien parce que je l’occupe en respectant leurs droits à eux, ce qui ne peut mieux se réaliser qu’en acquittant une forme de taxe sur la détention de ce patrimoine.

Le philosophe Pierre Crétois a décrit tout ceci de façon limpide dans La part commune (Editions Amsterdam, 2020), clarifiant un concept de propriété privée particulièrement brumeux en France du fait de la formulation malheureuse (en 1789) de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La propriété étant un droit inviolable et sacré… ».

Donc, oui, économistes et philosophes s’accordent souvent pour reconnaître légitimité et efficacité à la taxation de la détention du patrimoine physique. Il n’y a guère que les néolibéraux pour s’opposer à toute taxation du patrimoine, au prétexte que l’Etat n’aurait pas à s’immiscer dans la propriété privée. Si on y réfléchit un peu, leur raisonnement ne prend juste pas en compte le fait que l’homme est mortel et que beaucoup d’éléments de son patrimoine lui survivront, donnant lieu à des querelles d’héritage sur lesquels la communauté nationale (l’Etat, donc) doit bien se prononcer !

Tout ceci peut sembler très théorique, mais si nous analysons la structure de la fiscalité actuelle, en particulier celle liée à l’immobilier, on est frappé par son inefficacité et la faible légitimité d’un fisc qui taxe tout ce qui bouge. Dressons un inventaire rapide.

  • Les droits de mutation à titre onéreux (DMTG), plus couramment appelés « frais de notaire », freinent notablement la mobilité du parc immobilier. Chaque propriétaire préfère conserver un logement trop grand plutôt que de déménager en « cramant » pas loin de 10% au passage.
  • Les frais de succession, souvent appelés « impôt sur la mort », sont les plus iniques qui soient, privant de nombreux propriétaires – petits ou grands – de la satisfaction de transmettre à leurs enfants.
  • L’imposition des loyers versés par les locataires introduit un biais financier décourageant la mise sur le marché locatifs des biens inoccupés. C’est une hérésie économique.
  • L’IFI, acquitté par les quelques propriétaires qui ne sont pas en mesure de réaliser le montage permettant de les éviter, avec une recette faible, est un impôt plus idéologique que productif.
  • L’assiette des impôts fonciers actuels et la variété des taux pratiqués posent un sérieux problème d’iniquité sur le territoire national. En calculant le rapport entre l’impôt foncier acquitté et la valeur économique réelle (valeur vénale) du logement, on repère une variabilité de 1 à 12, certaines villes nouvelles d’Ile-de-France étant beaucoup plus chères à ce titre que la ville de Paris.

Bilan de ces observations : il serait très pertinent de remplacer le bric-à-brac fiscal actuel par un seul impôt sur le patrimoine, simple, légitime et efficace.

Comment mettre en place cette taxation de manière intelligente pour en maximiser les effets bénéfiques ?

Dans une première version, en 2019, j’ai proposé un Impôt sur le capital immobilier (ICI), au taux mensuel de 0,1 % de la valeur vénale du bien immobilier. L’ICI remplacerait avantageusement les droits de mutation et de succession, la fiscalité sur les loyers perçus, les taxes foncières actuelles et l’IFI.

En 2021, j’ai étendu ce principe à l’ensemble des patrimoine, avec une Redevance unique sur le patrimoine (RUP), au même taux. Bien entendu, une révolution fiscale de cette ampleur ne pourrait pas se réaliser en un claquement de doigts, sauf à imaginer qu’un futur président de la République décide de remettre en ordre l’ensemble de l’édifice fiscal français. Ce n’est pas pour tout de suite.

En attendant, il est toujours utile de s’interroger sur la légitimité et l’efficacité de nos outils actuels, afin d’identifier collectivement des voies de progrès.

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