Crise de l’agriculture : la potion toxique d’Emmanuel Macron <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron au Salon de l'agriculture 2024.
Emmanuel Macron au Salon de l'agriculture 2024.
©Lewis Joly / POOL / AFP

Urgence

Le chef de l’État a annoncé lors de l’ouverture du Salon de l’agriculture réfléchir pour fixer des prix plancher pour les produits agricoles, ainsi qu’une poursuite des efforts pour mettre en place un Egalim européen pour améliorer le revenu des agriculteurs.

Jean-Luc Demarty

Jean-Luc Demarty est ancien Directeur Général du Commerce Extérieur de la Commission Européenne (2011-2019), ancien Directeur Général Adjoint et Directeur Général de l'Agriculture de la Commission Européenne (2000-2010) et ancien Conseiller au cabinet de Jacques Delors (1981-1984; 1988-1995).

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Atlantico : Le chef de l’État a annoncé lors de l’ouverture du Salon de l’agriculture réfléchir pour fixer des prix plancher pour les produits agricoles, ainsi qu’une poursuite des efforts pour mettre en place un Egalim européen pour améliorer le revenu des agriculteurs. Cela va-t-il améliorer la situation des agriculteurs ? Qu’en est-il de la loi Egalim en France ?

Jean-Luc Demarty : Les lois Egalim ont des objectifs louables de préservation du revenu des agriculteurs avec la contractualisation obligatoire entre les agriculteurs et leurs acheteurs, généralement des transformateurs, et la sanctuarisation du prix de la matière première agricole au niveau des distributeurs. Par contre la plupart de leurs autres modalités vont à l’exact opposé de l’objectif recherché.

L’annonce par le Président de la République de la fixation de prix planchers va créer beaucoup de problèmes et n’en régler aucun. Les lois Egalim se rapprochaient déjà dangereusement de ce concept avec la fixation nationale d’indicateurs de coûts de production par les interprofessions sectorielles, en vue d’utiliser ces chiffres dans les contrats entre agriculteurs et transformateurs. Tout ceci est grossièrement illégal en droit européen sur la base des dispositions même du Traité sur le Fonctionnement de l’UE. En outre les coûts de production sont par nature très différents selon les régions et même selon les agriculteurs. Ainsi le coût de production du lait est beaucoup plus bas en Bretagne que dans le Massif Central, le Jura et les Alpes. Fixer un prix plancher bas n’aura aucun effet, fixer un prix plancher élevé va ruiner la compétitivité prix des meilleures zones françaises qui vont continuer de perdre des parts de marché dans l’UE.

Sur le plan juridique la seule obligation contractuelle des lois Egalim est individuelle entre les agriculteurs et leurs transformateurs, ce qui place les agriculteurs en situation d’infériorité. C’est le contraire de ce qu’il faudrait faire en favorisant la négociation collective des prix et des volumes entre les organisations de producteurs reconnues et les transformateurs entreprise par entreprise. Pendant longtemps le droit européen de la concurrence l’a interdit comme une entente prohibée. A la suite des recommandations d’un groupe à haut niveau que j’ai présidé pendant la grande crise du lait de 2009, composé de représentants de tous les Etats Membres, la législation européenne a été modifiée pour l’autoriser comme le permet le Traité sur le Fonctionnement de l’UE pour le seul secteur agricole, tout en continuant à l’interdire au niveau national.

Une négociation par entreprise entre l’organisation de producteurs de cette entreprise et le transformateur conduira à un résultat équilibré. Actuellement on arrive à un résultat opposé où les agriculteurs et les transformateurs se battent, compte tenu des incertitudes juridiques d’Egalim, aboutissant chez un médiateur créé par Egalim puis chez le juge. Cela affaiblit la compétitivité des agriculteurs et des transformateurs français dans l’UE, déjà sur le déclin depuis 25 ans.

Une autre version de l’annonce du Président de la République pourrait être la fixation d’un prix plancher au niveau de l’UE, ce qui serait tout aussi illégal en droit de l’UE. La seule possibilité serait de rétablir l’intervention par stockage public à ce niveau de prix. Le résultat serait immédiatement un retour à la vieille PAC d’avant 1992 qui avait abouti à des millions de tonnes de stocks publics invendables, politique dont l’UE a réussi à sortir depuis 30 ans. Quant à un Egalim européen, il est à la fois juridiquement et politiquement impossible.

Au lieu d’améliorer le revenu des agriculteurs, malgré leurs louables intentions, les lois Egalim dans leurs modalités actuelles vont créer la confusion, générer des conflits entre les différents acteurs économiques, frustrer un peu plus les agriculteurs et dégrader encore davantage la compétitivité de l’agriculture française.

À quel point la bureaucratisation et l’étatisation de l’agriculture ont-elles miné le secteur agricole français ?

L’agriculture française a d’abord un problème de compétitivité avec le reste de l’UE. Les raisons en sont bien connues depuis 25 ans : excès de normes, surtransposition des normes européennes, multiplication des services et agences de contrôle, harcèlement par certaines ONG environnementales, exploitations de trop petite taille, coût du travail, fiscalité, délais excessifs d’autorisation des investissements. L’industrie agroalimentaire de première transformation n’est guère mieux lotie, comme la situation catastrophique du secteur de l’abattage, essentiel pour la compétitivité de l’élevage, en témoigne.

Il faut d’abord restaurer la compétitivité de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire française dans le cadre d’un plan à long terme et non dans de fausses solutions étatiques qui prétendent se substituer au fonctionnement normal de l’économie de marché, ce qui n’exclut pas de renforcer la main des agriculteurs au travers du pouvoir de négociation de leurs organisations de producteurs.

Le président de la République veut en outre reconnaître dans la loi l'agriculture et l'alimentation « comme un intérêt général majeur » de la France. Est-ce un simple effet d’annonce ?

Ce serait une avancée majeure pour l’agriculture française. Cela lui donnerait la plupart du temps la préférence en cas de choix entre plusieurs intérêts publics divergents. 

Le président de la République a également annoncé un plan de trésorerie d’urgence pour financer l’agriculture, avec un recensement des agriculteurs qui sont le plus dans le besoin, pour obtenir notamment des facilités auprès des banques. Est-ce une mesure d’urgence indispensable pour les agriculteurs ?

Un plan de trésorerie constitue une mesure de soutien classique pour les secteurs ou les exploitations en difficulté conjoncturelle. C’est bienvenu mais ne va pas traiter les problèmes de compétitivité structurelle de ces secteurs et exploitations.

Sur quels dossiers devrait plancher le président de la République pour redresser l’agriculture française ? Quels sont les métiers de l’agriculture qui sont véritablement dans le dur ? 

Il convient d’aborder de face le problème de compétitivité de l’agriculture française par rapport au reste de l’UE. Sa nature est essentiellement franco-française. Au lieu de cela on a l’impression que les pouvoirs publics contournent le problème en cherchant des boucs émissaires comme les accords de libre-échange ou la PAC. De ce point de vue les lois Egalim, qui auraient pu être une opportunité en renforçant le pouvoir de négociation des agriculteurs par l’intermédiaire de leurs organisations de producteurs, risquent d’aboutir à un résultat opposé et à une usine à gaz bureaucratique inefficace et génératrice de conflits inutiles.

Les secteurs en plus grande difficulté sont la viande bovine, la viande ovine et la viticulture courante. Le lait pourrait aller mieux si on ne continuait pas d’appliquer de manière occulte les quotas laitiers pourtant supprimés depuis longtemps et si on ne dissuadait pas de facto la négociation collective des prix et des volumes par les organisations de producteurs. Même les zones de force traditionnelle, comme les céréales, le sucre, la viticulture de qualité et la viande porcine sont en train de s’affaiblir.

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