Covid : les six leçons à retenir pour la prochaine pandémie <!-- --> | Atlantico.fr
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La pandémie liée au Covid a créé un précédent pour les différents pays du monde.
La pandémie liée au Covid a créé un précédent pour les différents pays du monde.
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

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Antoine Flahault revient sur les erreurs commises pendant la crise du Covid, et donne des pistes de réflexion pour éviter d'être au pied du mur lors de la prochaine pandémie.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : Face à une prochaine pandémie, faudrait-il, comme le préconise Eric Topol, tester plus efficacement et rapidement, aux débuts de la pandémie ?

Antoine Flahault : Les cafouillages qu’évoque Éric Topol sont certes particuliers aux États-Unis. Au début de la pandémie, le gouvernement fédéral américain avait confié aux seuls US-CDC la responsabilité de la réalisation et du déploiement des tests PCR pour tout le territoire national. L’agence fédérale américaine a cependant été dans l’incapacité totale de répondre à cette commande. Elle ne parvenait dans les premiers mois de la pandémie à ne réaliser qu’une centaine de tests par jour contre plusieurs dizaines de milliers en Allemagne où cette opération était d’emblée décentralisée en incluant des laboratoires d’analyses publics et privés. La France non plus n’a pas été très brillante durant ces premiers mois de la pandémie. Les Allemands ont ainsi pu détecter leurs premiers cas lors de prélèvements de personnes peu symptomatiques ou asymptomatiques, alors que les Français et les Américains, qui réservaient leurs rares tests aux cas graves, n’ont commencé par ne voir que les cas hospitalisés en insuffisance respiratoire aux soins intensifs. On comprend que l’épidémie ait davantage flambé dans les pays plus mal organisés que dans ceux qui s’étaient mieux préparés.

Faudrait-il améliorer la collecte et l’utilisation des données en vue d’une meilleure utilisation de ces dernières ?

Ce serait vraiment une très bonne leçon à tirer que de se demander à l’échelle du pays, voire de l’Europe, de quelle veille sanitaire on aurait besoin de disposer en cas de pareille crise. En matière de veille sanitaire pour une telle pandémie, le modèle qui me semble s’imposer aujourd’hui serait en réalité la combinaison de tout ou partie de ceux des Britanniques, des Néerlandais et des Français. Ainsi, le Royaume-Uni a mis en place des sondages représentatifs de la population chez qui l’on pratique des tests PCR hebdomadaires suivis du séquençage des virus identifiés ainsi qu’une biobanque très performante. Les Pays-Bas ont, quant à eux, déployé des analyses quotidiennes des eaux usées de 350 stations d’épuration avec séquençage des virus détectés. Et la France a su utiliser, par son programme EPIPHARE, les données de prescription de vaccins et médicaments de 67 millions d’assurés sociaux en les couplant à leurs tests PCR et leurs éventuelles hospitalisations.

La stratégie consistant à miser sur des vaccins nouveaux, en faisant des « paris » scientifiques comme nous l’avons fait avec les vaccins ARN messager, est-elle la bonne ? Faut-il avant la prochaine pandémie améliorer notre recherche vaccinale ?

Ici on entre dans la plus sévère leçon que les Européens devraient tenter de retenir de cette pandémie. Et cette leçon nous est malheureusement infligée par les Nord-américains de l’administration Trump, les Britanniques de Boris Johnson, les Russes de Poutine, et également les Chinois de Xi Jinping. Ce n’est pas gai n’est-ce pas ? Seuls ces quatre pays, aux pouvoirs politiques populistes et anti-science, ont réussi à produire la plus grande partie des vaccins déployés en 2021 et 2022. Même la start-up allemande BioNTech a dû aller se chercher un partenaire aux Etsts-Unis pour pouvoir développer et produire son vaccin. L’Europe qui disposait de tout le savoir faire, de tout l’équipement industriel à l’échelle et de toutes les compétences requises n’a pas su, mis à part le Royaume-Uni, prendre les risques financiers et industriels nécessaires pour parvenir à apporter des solutions biotechnologiques et répondre aux enjeux de cette pandémie. Pas un vaccin, pas un traitement efficace contre cette pandémie n’est sorti des fabricants européens durant les deux premières années de cette pandémie. A un moment ou à un autre, il va bien falloir mettre cette question qui fâche sur la table, non ? Ne faudrait-il  pas finir par en tirer quelques leçons pour une prochaine pandémie ? Si l’on met à part les modèles étatiques russes et chinois très particuliers et non transposables à nos systèmes économiques occidentaux, on pourrait quand-même regarder de plus près le modèle nord-américain, en particulier l’initiative BARDA et l’Opération Warp Speed.

La lutte contre la fausse information scientifique est-elle, également, une leçon importante de la pandémie pour l’efficacité de l’action sanitaire publique ?

Le problème de la désinformation, du populisme, des mouvements anti-science est extrêmement préoccupant. Il représente un danger majeur pour nos sociétés d’aujourd’hui et pour la démocratie. Il est lié à des mouvements politiques, au départ minoritaire, puis qui influencent ou terrorisent nos concitoyens. Ces mouvements sont financés ou aidés par des puissances étrangères, notamment russes et chinoises, qui n’ont pas la même conception que la nôtre de la démocratie, du respect de la personne et de la liberté d’expression. Le problème avec ces mouvements qui nourrissent la désinformation c’est qu’ils tuent. Une étude conduite par l’école de santé publique de Yale aux USA a montré qu’en l’espace de 18 mois, entre 2021 et 2022, la désinformation avait fauché plus de 60 000 vies aux Etats-Unis. On a pu montrer que les téléspectateurs de la chaîne de désinformation FoxNews, pro-Trump, étaient moins souvent vaccinés, appliquaient moins souvent les gestes barrières et mourraient trois fois plus souvent du Covid-19 que ceux regardant CNN ou d’autres chaînes moins partisanes. On a observé dans les districts des Etats-Unis que ceux ayant voté plus souvent pour les Républicains pro-Trump étaient aussi moins vaccinés et plus à risque de décéder du Covid-19 que les districts démocrates pro-Biden. Les scientifiques brésiliens ont fait des constatations voisines avec les populistes pro-Bolsonaro.

La communication en santé publique doit-elle à l’avenir être plus humble et moins péremptoire pour éviter d’être prise en défaut et décrédibilisée ?

Les experts de santé publique ont sans doute manqué d’humilité et probablement été trop péremptoires, mais ils n’ont jamais menacé de mort leurs adversaires. Ils n’ont jamais eu recours aux insultes et aux vindictes avec la même intensité et la même violence que ces complotistes et désinformateurs qui sévissent impunément sur les réseaux sociaux. Il me semble important que les spécialistes de santé publique apprennent dès leur cursus de formation les techniques de communication pour le grand public. Lors de ma formation française de santé publique, le professeur Jean-François Lacronique, médecin et ancien journaliste au Monde, nous avait donné des cours de média-training. C’était à la fin des années 1980. Je m’en souviens encore très bien. Ces cours ont été très utile aux jeunes internes de notre génération, dont plusieurs se sont retrouvés comme moi mobilisés par différents médias durant cette pandémie. Car cette présence dans les médias est, me semble-t-il, une partie intégrante de notre job et une forme de lutte contre la désinformation. Dans santé publique, il y a le mot « public ».

Avoir une pluralité de voix, pour une forme de « brainstorming », est-il le meilleur moyen de mettre au point une stratégie efficace pour lutter contre une pandémie future ?

La santé publique et la santé globale sont des « transdisciplines ». La transdisciplinarité va au-delà de l’interdisciplinarité. L’interdisciplinarité s’entend comme la constitution d’une réflexion associant plusieurs disciplines scientifiques pour tenter d’apporter ensemble des réponses à des problèmes complexes. Mais dans le cadre d’une pandémie, on a parfois besoin de dépasser le strict cadre académique et universitaire. On se pose des questions concernant les outils diagnostiques, les vaccins, les médicaments, il faut donc mettre autour de la table des fabricants avec des spécialistes. Il faut aussi écouter les citoyens, les parents d’élèves, des activistes, la société civile, et donc les associer au travers d’ONG. Il faut aussi consulter des responsables politiques, des experts d’organisations internationales, tous ceux qui peuvent contribuer au débat, apporter leurs idées, leurs compétences, leurs innovations, et parfois leurs ressources.

Avons-nous suffisamment retenu ces leçons jusqu’à présent ?

On n’a pas encore véritablement fait ce retour d’expérience qui s’imposera un jour si l’on veut progresser pour une prochaine crise qui ne manquera pas de survenir dans un, dans dix ou dans vingt ans. Les pouvoirs publics ont été le nez dans le guidon et on peut comprendre qu’ils n’ont pas pu encore vraiment prendre le temps de ce retour d’expérience. L’idée ne sera pas de lancer des anathèmes, ni de chercher des coupables aux éventuels manquements, mais plutôt de tirer toutes les leçons de cette pandémie. L’objectif doit être de tenter de faire mieux la prochaine fois et d’être un peu mieux préparés collectivement. Le danger serait de préférer fuir en avant, de ne jamais se retourner et prendre le temps de regarder en arrière. Le pire ne serait-il pas de finir par se dire « tant pis, on improvisera à nouveau la prochaine fois comme on a bien dû improviser en 2020 ». Mais ce danger existe, car les politiques sont beaucoup plus enclins et peut-être même plus habiles à gérer les crises qu’à chercher à mieux les anticiper ou les prévenir. 

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