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Covid-19 : la carte qui prouve la saisonnalité du virus
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Propagation

Des chercheurs sont parvenus à créer une carte dynamique prouvant le caractère saisonnier du coronavirus. Ils seraient donc capables d'aider à anticiper sa propagation.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Des chercheurs sont parvenus à créer une carte dynamique prouvant le caractère saisonnier du virus. Par voie de conséquence, ils seraient donc capables d'aider à anticiper la propagation du virus. Quels éléments d'observation et outils analytiques ont-ils été employés pour constituer cette carte ?

Stéphane Gayet : Ce travail de recherche a été mené par des spécialistes en santé publique de l’université du Maryland à Baltimore. Le Maryland est un petit État de la côte est des États-Unis d’Amérique, proche de Washington. Une possible saisonnalité de la CoVid-19 a maintes fois été supposée, depuis le début de la pandémie. Le professeur Marc Lipsitch de l’université Harvard à Boston (État du Massachusetts, sur la côte est, au nord de New York), spécialiste en épidémiologie des maladies infectieuses, l’avait même supposé très tôt, avançant l’idée selon laquelle le SARS-CoV-2 deviendrait dans quelque temps – une fois la pandémie dissipée – une infection respiratoire virale saisonnière, au même titre que la grippe et les infections respiratoires virales bénignes des voies aériennes supérieures (rhumes et rhinopharyngites de la saison froide et d’origine virale). Mark Lipsitch ne savait probablement pas encore, en mars, qu’une grande partie de la population était en réalité prémunie contre la CoVid-19, du fait d’une immunité croisée avec plusieurs coronavirus respiratoires bénins, agents de rhumes et de rhinopharyngites (alpha coronavirus, et bêta coronavirus comme les SARS-CoV-1, SARS-CoV-2 et MERS-CoV).

Si l’on observe la courbe des hospitalisations pour CoVid-19 en France, c’est édifiant. C’est l’une des courbes les plus pertinentes et intéressantes, car il s’agit des personnes hospitalisées et confirmées biologiquement. Elle commence lors de la première quinzaine de mars, connaît un pic vers le 15 avril, puis s’infléchit lentement. Elle est générée en temps réel par Santé publique France et disponible (en cherchant bien) sur leur site : cliquer sur « synthèse » pour faire apparaître la courbe. On peut s’étonner que personne ne parle de cette courbe qui est pourtant l’indicateur clef de l’épidémie en France. Le 12 juin y figure (avant-hier). On voit parfaitement que le début du déconfinement le 11 mai n’a strictement rien modifié à l’allure de cette courbe. Manifestement, la situation est contrôlée et la (première) vague va s’achever tout doucement.

L’allure de cette courbe française peut faire penser à une saisonnalité de la CoVid-19. Cette évolution n’est bien sûr pas propre à la France ; elle a pu être observée dans les pays à climat tempéré qui ont pris des mesures préventives du même type que nous.

On peut faire le même constat avec une courbe proche, mais en dents de scie : il s’agit de la courbe des nouvelles hospitalisations qui présente l’intérêt de ne pas être influencée par la durée des hospitalisations.

Cette deuxième courbe provient bien sûr du même site ; elle est accessible à cette adresse URL (cliquer sur « synthèse » pour faire apparaître la courbe).

Les chercheurs de Baltimore ont examiné les données climatiques de 50 villes du monde entier avec ou sans propagation importante de la CoVid-19. C’est ainsi que huit grandes villes avec une forte densité de population et une propagation importante de la CoVid-19 (d’Ouest en Est : Seattle, États-Unis ; Madrid, Espagne ; Paris, France ; Milan, Italie ; Qom, Iran ; Wuhan, Chine ; Daegu, Corée du Sud ; Tokyo, Japon) ont été comparées à 42 villes qui n'ont pas ou que peu été touchées par la pandémie. Les données ont été recueillies de début janvier au 10 mars 2020.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces chercheurs américains ont utilisé une base de données européenne. En effet, un an après l'Accord de Paris, le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT) a lancé ERA-5, l'outil de surveillance du changement climatique à l'échelle mondiale le plus puissant à ce jour. Ils ont donc utilisé les données ERA-5, en les réanalysant.

Résultats de l’étude

Les huit villes énumérées ci-dessus sont situées sur une bande étroite de latitudes, à peu près entre le 30e degré de latitude nord et le 50e degré de latitude nord.

Ces huit grandes villes présentent des conditions climatiques toujours similaires, avec des températures moyennes au 10 mars 2020 comprises entre 5 et 11 °C, combinées à une faible humiditéspécifique (3 à 6 g/kg) et une faible humidité absolue (4 à 7 g/m3).
L’humidité spécifique est la vraie teneur intrinsèque en eau de l'air ; elle est indépendante de la température et de la pression de l’air. L’humidité absolue est la concentration en eau de l’air ; elle varie avec la température et la pression, car ces deux grandeurs ont une influence sur la densité de l’air. En fait, l’expression d’humidité absolue se distingue surtout de celle d’humidité relative qui, elle, s’exprime en taux (pourcentage).

Par exemple, alors que Wuhan, en Chine (30,8 degrés de latitude nord) a enregistré 3136 décès et 80 757 cas, Moscou, en Russie (56,0 degrés de latitude nord), a enregistré 0 décès et 10 cas, tandis que Hanoi, au Vietnam (21,2 degrés de latitude nord), a enregistré 0 décès et 31 cas.

Voici donc la carte que ces chercheurs ont produite. La bande de latitudes isothermes (5 à 11 °C) se situe entre les deux lignes rouges ; elle est colorée en vert ; on voit que la latitude de cette bande est fluctuante, en raison des facteurs climatiques propres à chaque région du Monde ; mais elle reste assez bien définie.

Les huit grandes villes en question sont indiquées par un cercle blanc (d’Ouest en Est : Seattle, Madrid, Paris, Milan, Qom, Wuhan, Daegu, Tokyo).

Quel comportement du virus en déduit-on ?

Étant donné que d’autres maladies infectieuses virales respiratoires sont déjà connues pour être saisonnières (grippe, infections para grippales, rhumes et rhinopharyngites), on a eu le temps de se pencher sur les raisons de cette saisonnalité.

En voici les trois explications que l’on avance actuellement.

1. Plus il fait froid et plus l’air est sec, c’est-à-dire pauvre en vapeur d’eau (la vapeur d’eau est invisible, c’est un gaz ; à la différence des microgouttelettes qui sont liquides). Or, l’air sec – mais pas trop – favorise la circulation des microgouttelettes et des particules aéroportées dans l’air ; alors que l’air humide la contrarie au contraire.

2. Quand il fait froid, nos muqueuses respiratoires sont agressées par le froid et desséchées (c’est en hiver qu’il y a le plus de saignements de nez ou épistaxis), ce qui favorise l’infection virale.

3. Pendant la saison froide, on se rassemble et l’on se concentre beaucoup plus dans des locaux peu ventilés (transports en commun, bars, salles de spectacle, salles de sport…), que pendant les autres saisons, ce qui favorise la contamination interhumaine.

La courbe ci-après, provenant de la même étude, confirme que ce sont des conditions particulières de température et d’humidité qui favorisent la contamination interhumaine et l’infection par le virus SARS-CoV-2, en un mot l’épidémie. Les huit villes déjà citées sont représentées en couleur orange. Ce graphique est lui aussi démonstratif.

Cette carte va-t-elle réellement permettre d'anticiper la propagation du virus ?

Si cette caractéristique de l’infection CoVid-19 se confirmait, cela voudrait dire que l’on pourrait en effet anticiper les vagues épidémiques d’infection à SARS-CoV-2.

Ce sera particulièrement important quand on disposera tant d’un vaccin que d’un traitement curatif reconnu comme efficace et sûr.

Cela permettra aux autorités de santé de préparer la vague épidémique sur tous les plans, notamment celui de la communication (qui n’a pas été exemplaire). On pourra ainsi constituer des réserves de masques et les commerçants pourront s’équiper de tout le matériel nécessaire (marquage au sol, cloisons de plexiglas …).

Quant à la population, elle sera plus sereine et moins prise au dépourvu, moins bousculée et déstabilisée. Elle aura le temps de s’organiser en amont de la vague épidémique.

Mais cette saisonnalité devra tout de même être étudiée davantage. Il n’en reste pas moins vrai qu’il s’agit ici d’une publication pleine d’intérêt à tous points de vue.

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