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Covid-19 : comment la France s’est cassée les dents sur le défi de l’isolement des cas positifs
Covid-19 : comment la France s’est cassée les dents sur le défi de l’isolement des cas positifs
©DENIS CHARLET / AFP

Stratégie

La France est confrontée à un tabou doctrinal et à une incapacité de s'organiser efficacement sur le plan sanitaire concernant l'isolement des cas positifs.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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L'épidémie du Sars-CoV-2 en France est assez mal maîtrisée, comme ailleurs en Europe mais pas partout. Les conséquences sont proportionnelles, mortalité élevée et conséquences économiques sérieuses. Dans cette situation trois questions se posent:

  • avons-nous utilisé toutes les stratégies de maîtrise de l’épidémie?
  • avons-nous coordonné les stratégies pour les rendre synergiques?
  • L’implémentation des actions a-t-elle été plutôt anticipatrice, synchrone de la progression de l’épidémie ou bien en réaction ou parfois tardive?

Pour répondre à ces questions il convient d’envisager l’histoire des pandémies, la culture des dirigeants actuels de la France et l’organisation sanitaire qui rend l’isolement possible.

Figure N°1: les pays où la vaccination a été massive voient leur taux d’incidence de nouveaux cas chuter. L’UE est en difficulté.

LE TABOU DOCTRINAL

Le scénario est toujours le même, le gouvernement se laisse déborder par la transmission. La phase sporadique en Mars 2020 n’a pas servi de leçon. En effet les mesures de protection personnelle ne sont pas suivies et respectées par un pourcentage suffisant de Français, de commerces, d’entreprises et d’administrations pour suffire. Il faut empêcher au moins partiellement la transmission par d’autres moyens. Les confinements sont des mesures bien trop tardives. L’isolement aux frontières et à l'intérieur agit très en amont dès que la transmission s’est produite. Depuis Mai 2020 nous avons des tests pour dépister les cas positifs et nous pouvons détecter les cas contacts. Les résultats arrivent plus vite. Mais voilà l’exécutif et de nombreux groupes d'influence sont opposés à l’isolement, par principe  au nom de la liberté individuelle brandie comme une banderole.

Qu’en est il en réalité?

C’est un fait une épidémie en l’absence de traitement antiviral et/ou de vaccination connaît des résurgences. Je l’ai souligné dans cet article du 22 Mars 2020 alors que des oracles délirants annonçaient la fin de l'histoire à l’été. L'histoire des pandémies et l'histoire de la Covid-19 permettent de ne pas en douter. L’ignorer ou faire comme si tout allait revenir comme avant (un discours trompeur et récurrent chez les politiques adeptes du “rassurisme” ) c’est accepter plus de mortalité et plus de malades. Et une fois la phase endémique exponentielle déclenchée par la dynamique spontanée de l’épidémie, ce laxisme aboutit à plus de privation de liberté. Les confinements ou fermetures d’activité sont des atteintes bien plus graves à nos libertés fondamentales que l’isolement de deux semaines. Les conséquences humaines, économiques et sociétales des confinements, fermetures et autres diminution forcée des interactions sociales sont très importantes. Curieusement une fois la catastrophe arrivée, ce sont parfois les mêmes libéraux de papier qui exigent de confiner durement…

Les formes cliniques du tabou doctrinal

La classe politique au pouvoir autour d'Emmanuel Macron est hétérogène, c’est pourquoi ce tabou doctrinal de l’isolement n’a pas les mêmes sources idéologiques. Pour le Président c’est indéniablement une forme de déni qui a prévalu en Février-Mars 2020. Ce fut l’épisode du théâtre et du mode de vie à la française alors que l’Italie du Nord était ravagée par la Covid-19. Mauvaise intuition. Depuis il a changé d’approche en particulier parce qu’il se rend compte du coût économique du Confinement Indifférencié Généralisé (CIG). Il a même évoqué l’isolement contraint, sans suite. Car dans cet attelage tous ne tirent pas dans le même sens, loin s’en faut. Le jeu des pouvoirs en Janvier 2021 en est un exemple. E. Macron sur la base de prédictions des modèles choisi de ne pas recourir au CIG au lendemain des fêtes. Cette stratégie ne peut fonctionner que si on s'attaque aux foyers partout où ils se déclarent en isolant les cas positifs et en fermant sélectivement les activités impliquées y compris des écoles . Ce ne fut pas fait et la France a été abandonnée à la dynamique spontanée d’une épidémie dopée par les variants et surtout l'abandon des protections personnelles. Les fêtes, mariages, soirées, matchs, manifs et autres évènements d'accélération de la transmission se sont multipliés en toute impunité.

Chez le premier ministre l’explication de son opposition est arrivée pendant une conférence de presse où la question lui a été posée et où il a écarté l’isolement au motif qu’il serait contraire à notre état de droit. Il a affirmé cela avec une forme d’arrogance mais sans explications même minimales. Cette position laconique est au contraire dénuée de fondement juridique. Pourquoi? Parce que durant cet état d’urgence sanitaire des privations de liberté bien plus graves ont été décidées. Parce que fermer une activité commerciale au motif qu’elle est potentiellement source de transmission est autrement plus attentatoire aux libertés que de proposer et faire effectuer un isolement à une personne qui porte réellement le virus. Cette hostilité à débattre de la part d’un premier ministre qui connaît très bien l’administration sanitaire a en fait une autre cause, structurelle sur laquelle je reviens plus loin.

RECURRENT DANS LE DISCOURS, ABANDONNE POUR DE MAUVAISES RAISONS, L'ISOLEMENT EST LE CHAINON MANQUANT

L’isolement aux frontières et à l'intérieur est la clé de la maîtrise de la pandémie dans un pays. C’est la condition nécessaire à la diminution de la transmission. Si cet isolement est poursuivi surtout quand le taux d'incidence est faible il peut conduire (combiné aux autres stratégies) à isoler le virus dans de petits foyers contrôlables. Les autres stratégies (nous ne sommes pas dans une guerre donc le mot arme est totalement inapproprié) pour maîtriser la pandémie et possiblement éradiquer le virus sont la protection personnelle, les médicaments bloquant la réplication du micro-organisme, l’immunothérapie adoptive et la vaccination.

L’isolement a de solides bases scientifiques et en particulier le contact-tracing

Dès qu’un cas positif est connu il faut compléter le travail par la recherche des contacts. Pourquoi est-ce si important dans cette pandémie? Tout simplement parce que les cas asymptomatiques représentent selon l’âge entre 50 et 80% des contaminations. Ces cas contacts transmettent autant que les autres mais probablement moins longtemps. C’est pourquoi sans une recherche assidue et performante des cas contacts et leur isolement il ne peut y avoir de maîtrise de la transmission. Dans un article percutant de Nature, l’auteur se demande pourquoi de nombreux pays ont échoué dans la recherche des contacts Covid-19 alors que certains l'ont bien compris. Il en conclut que de nombreux pays riches ont des difficultés avec l'une des méthodes les plus fondamentales et les plus importantes pour lutter contre les maladies infectieuses, le tracing, le tracking et l’isolement. Selon lui, presque partout dans le monde occidental, les pays ont échoué avec cette procédure de santé publique la plus élémentaire.

Des résultats médiocres dans des pays très développés

En Angleterre, les traceurs ne parviennent pas à entrer en contact avec une personne sur huit dont le test est positif à la Covid-19; 18% des personnes contactées ne fournissent aucun détail sur les contacts étroits qu’ils ont eu. Dans certaines régions des États-Unis, plus de la moitié des personnes dont le test est positif ne fournissent aucun détail de leurs contacts lorsqu'on le leur demande. Ces statistiques ne proviennent pas de la première vague de Covid-19, mais de novembre 2020, longtemps après que les premiers confinements et les connaissances du virus ont donné aux pays le temps de développer de meilleurs systèmes de recherche des contacts. En France il n’existe aucune statistique sur les résultats du tracing, du tracking et de l’isolement. Le conseil scientifique nommé par le président le reconnaît en Octobre 2020 dans une lettre au Lancet. Cette opinion dans laquelle il n’y a aucune évaluation métrologique de l’isolement prône un auto-isolement. C’est un peu court comme le démontrera la dynamique de l’épidémie. Les recommandations de ce conseil, à savoir réduire la durée de la période d’isolement pour en augmenter "l'acceptabilité" et accorder des droits à ceux qui s’isolent (en clair une indemnisation) ont été un échec total. La principale raison est le décalage de ce discours avec la réalité. Nous ne sommes pas dans une négociation syndicale ou bien dans une scène virtuelle de “démocratie sanitaire” mais dans une pandémie aux conséquences déjà très graves.

Figure N°2: en Angleterre l'efficacité du système de tracing/tracking a été évaluée de Mai à Septembre 2020. Les agents responsables de cette mission ont retrouvé moins de la moitié des contacts.

L’ISOLEMENT RENDU STRUCTURELLEMENT IMPOSSIBLE PAR L'INCURIE SANITAIRE

Organisé autour des data du contact tracing et d’équipes sanitaires mobiles qui vont au contact de la population l’isolement est parfaitement opérationnel dans de nombreux pays y compris non asiatiques. Les faiblesses structurelles de notre organisation sanitaire sont apparues au grand jour lors de cette pandémie. Plusieurs réformes sédimentées depuis longtemps ont abouti à cet état d’incurie.

Les équipes sanitaires mobiles, l’action au contact des populations

Au niveau locorégional aucune organisation n’existe pour faire face à une urgence sanitaire de quelque ordre que ce soit. Il existe bien des plans gradués mais dans le cadre d’une pandémie la question de l’isolement nécessite l’activation d’équipes sanitaires mobiles pour assister les personnes positives pendant la durée de leur contagiosité. Le ministre en est à remercier des associations de faire le travail des brigades créées par E. Philippe et qui n’ont jamais vu le jour. Ces associations ont fait et continuent à faire un travail pionnier remarquable alors qu’elles étaient privées de beaucoup de leviers d’action. Par ailleurs elles sont sous staffées en particulier parce que l’isolement et sa logistique c’est un métier, que chaque urgence sanitaire a ses spécificités qui commandent d'intégrer des corps de métier et enfin parce que ces associations n’ont ni légitimité ni autorité définie. C’est une lacune dommageable et si il ne s’agit pas de constituer des équipes comme une structure permanente il faut que la mise en place soit rapide et adaptée.Plusieurs possibilités de recrutement permettent de réaliser la mission. Du détachement de fonctionnaires au volontariat et à la réserve sanitaire et militaire notre pays ne manque pas de ressources. En revanche ces équipes ne peuvent fonctionner sans un chef aguerri à ces situations c'est-à-dire un militaire de réserve. Elles doivent aussi prendre en compte les spécificités locorégionales, c’est pourquoi elles dépendent, une fois activées, de l'exécutif régional.  

Les ARS, un obstacle coûteux à la santé des populations

Sans revenir en détail sur l’origine des ARS créées par les ordonnances Juppé () de 1996 (sous le nom d’ARH), il faut comprendre que si le système de soins est particulièrement bureaucratisé les moyens de l’état régalien concernant la santé des populations sont indigents. A. Juppé a bureaucratisé à l’extrême la planification du système de soins et laissé en jachère le rôle régalien en particulier dans les situations d’urgence. Le résultat a été une perte d’efficience majeure du système de soins en général et en particulier des hôpitaux. Dans le même temps les préfets sanitaires des ARS ont simplement eu l’étiquette santé mais aucun contenu ni programmatique ni interventionnel. Ces préfectures sanitaires augmentent la mainmise de l'État là où il est nuisible: planifier et contrôler des activités qui ne nécessitent aucun interventionnisme et ne rien prévoir quand l'État régalien est vital pour protéger les populations. Les ARS ont échoué par nature et aucune “réforme” ne changera leur nature, il est important de confier aux exécutifs régionaux des missions de santé publique en lien avec le ministère et de supprimer ces administrations. Le maillage territorial de la santé publique s’est effondré, il convient de le restaurer. L’échelon régional est fondamental et en cas de pandémie doit être capable de faire un tracing efficace et ensuite de terminer l’intervention au contact même des populations.

Le ministère de la santé doit être profondément réformé

Au lieu d’un ministère qui consacre l'essentiel de ses forces à des activités administratives et externalise les tâches opérationnelles à des agences l’action de l'État doit être recentrée. Il faut renverser cette logique. Santé Publique France est un exemple emblématique de ce fonctionnement délétère. La conception de flyers n’est pas une politique de santé publique. Dans un premier temps, il faut rebâtir la métrologie en matière d’épidémiologie et de connaissance des moyens disponibles. Par exemple, pendant des mois nous avons eu des données plus pertinentes et plus accessibles sur des sites universitaires des USA plutôt que sur SPF! Ensuite la transmission de la politique sanitaire ne peut se faire de manière hyper centralisée comme aujourd’hui. C’est pourquoi les régions doivent jouer un rôle majeur dans la santé des populations. Cette articulation nécessite que l'État fasse confiance et délègue dans la loi des missions précises. L’isolement en cas de pandémie en est une.

Pour faire un isolement efficace, nous devons assister en priorité ceux qui habitent dans des petits espaces et qui ont peu de moyens. L'isolement est avant tout une assistance basée sur l’information des avantages pour la population et pour l’isolé lui-même. Il a été démontré depuis des mois que ce n’est pas le consentement qui pose problème mais l’absence d’organisation logistique au contact des populations. Ni l'isolement assisté ni l’isolement contraint pour la minorité opposée ne sont effectués en France. Après la phase actuelle d’accélération très préoccupante de la transmission, il sera crucial d’isoler les foyers de résurgence et donc les individus positifs. Car la vaccination mettra des mois à être pleinement efficace.

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