Coupures d’électricité : y a-t-il un risque que la situation soit pire que celle à laquelle nous prépare le gouvernement ?<!-- --> | Atlantico.fr
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En cas de coupures de courant, les feux de signalisation seraient touchés.
En cas de coupures de courant, les feux de signalisation seraient touchés.
©STEPHANE DANNA / AFP

Crise énergétique

Le gouvernement prépare les esprits aux coupures de courant, même si le chef de l'Etat a appelé les Français à ne pas céder à "la panique".

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Atlantico : Le gouvernement commence à préparer les esprits aux coupures d’électricité tout en temporisant la situation. Y-a-t-il un risque qu’elle soit pire que celle à laquelle nous prépare le gouvernement ?

Philippe Charlez : Par la voix de sa ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, l’exécutif avait assuré cet été que toutes les centrales nucléaires seraient remises en service en décembre et qu’il n’y aurait donc pas de blackout électrique hivernal. Fidèle à une communication aussi lénifiante qu’hypocrite, le gouvernement d’Elisabeth Borne parle maintenant de « délestage tournant » et de « sobriété énergétique » pour préparer les français à l’ inexorable : il y aura de nombreuses et longues coupures d’électricité cet hiver. Elles coûteront très cher en termes économique mais aussi probablement en termes de santé. Quant aux erreurs stratégiques historiques (laisser le nucléaire en jachère) et aux décisions idéologiques (150 milliards d’euros engloutis depuis 20 ans dans des renouvelables qui ne fourniront pratiquement aucun kilowattheure cet hiver aux heures de pointe), elles ont été relookées en « effort de solidarité vis-à-vis du peuple ukrainien ».

En filigrane du discours moralisateur de l’exécutif se cachent 20 ans de renoncements politiques et d’errements énergétiques, 20 ans au cours desquels il n’y a jamais eu le moindre mea culpa des exécutifs successifs. « Il n’y a de réussite qu’à partir de la vérité », disait le général de Gaulle. Sans un minimum de repentance, les explications du gouvernement seront inaudibles pour l’opinion publique. Le conflit russo-ukrainien a mis en lumière la fragilité énergétique européenne. L’Europe doit reconnaître ses erreurs et redéfinir en profondeur son « green deal ».

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Et si la France venait de découvrir qu’elle pouvait facilement faire autant avec moins d’énergie (mais à quel prix…) ?

Mais finalement, la question n’est plus aujourd’hui de distribuer les bons ou les mauvais points, mais de savoir ce qui nous attend cet hiver. Y-a-t-il un risque que la situation soit pire que celle à laquelle nous prépare le gouvernement ? Pour répondre à cette question, il faut regarder succinctement l’équilibre offre/demande de l’électricité française. 

Damien Ernst : La France peut générer entre 75 et 80 gigawatts d’électricité dans des conditions météorologiques défavorables, c'est-à-dire sans pouvoir compter sur le solaire et l'éolien. En cas d’hiver doux, le pic de consommation de la France est de 80 gigawatts, lors d’un hiver normal il monte à 90 gigawatts mais lors d’un hiver froid il peut atteindre 100 à 110  gigawatts. En cas d’hiver froid, avec par exemple du gel à Marseille et une vague de froid qui concernerait l’ensemble du pays, il pourrait manquer jusqu’à 25 gigawatts de puissance.

Des solutions existent comme le fait d’importer cette électricité (10 gigawatts). Mais ces importations ne sont jamais garanties surtout que lorsque la situation est tendue en France, elle l'est également souvent dans les pays voisins. Et même avec des importations, il risque de manquer entre 10 à 15 gigawatts en France cet hiver. Ces 10 à 15 gigawatts représentent environ le record de consommation historique de la Belgique. Cela démontre que ces coupures pourraient concerner 11 millions de personnes en France, la population de la Belgique.

La situation est donc extrêmement sérieuse. L’espoir du gouvernement ne tient maintenant qu’à l’espérance d’avoir un hiver fort doux. Comment expliquer cette consommation très élevée de la France lorsqu’il fait froid ? Cela est lié en réalité à la charge du chauffage. Il y a beaucoup de radiateurs électriques en France. Dans ces derniers, l’énergie électrique est directement transformée en énergie thermique grâce à  des résistances. Lorsque vous perdez en moyenne un degré à travers le pays, il y a une augmentation de 2,6 gigawatts de puissance, un peu moins que la puissance électrique maximale qui peut être générée par la centrale de Chooz. 

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Qu’est-ce qui pourrait échapper aux scénarios du gouvernement ?

Philippe Charlez : A la suite d’une vague de froid intense, un pic historique de demande de puissance à 102 GW a été observé en France le 8 février 2012. En moyenne, les derniers hivers ont été plus cléments avec des pics de demande oscillant en janvier/février en moyenne autour de 80 GW mais n’excédant pratiquement jamais 90 GW. Retenons donc ce chiffre de 80 GW comme demande de puissance maximum au-dessus de laquelle des blackouts ponctuels et ciblés seront inévitables et 90 GW comme valeur seuil au-dessus de laquelle la France serait régulièrement plongée dans le noir et le froid durant plusieurs semaines.

La puissance électrique totale installée en France est de 136 GW dont 61 GW de nucléaire, 25 GW d’hydroélectricité, 32 GW de renouvelables (éolien et solaire) et 18 GW de thermique (principalement du gaz plus un peu de fioul et de charbon). 

Les grands pics de demande hivernaux (>80 GW) sont généralement associés à des conditions anticycloniques polaires se caractérisant par l’absence de soleil (puisque le soir et le matin) mais aussi par l’absence de vent. On peut donc d’ores et déjà considérer que lors de ces pics de demande, les 32 GW de renouvelables ne seront pratiquement pas au rendez-vous. Accroitre les puissances éolienne et solaire comme le prévoit à terme le gouvernement (objectif de 40 GW d’éolien terrestre, de 40 GW d’éolien marin et de 100 GW de solaire à l’horizon 2050) n’y changerait rien puisque le problème ne réside pas dans un manque de puissance mais en une absence récurrente de vent et de soleil.

On ne pourra pas non plus compter sur la totalité des 25 GW d’hydroélectricité sous peine de vider rapidement les lacs de retenue et de manquer d’eau en cas de seconde vague de froid. L’historique montre que l’on ne peut raisonnablement dépasser 16 GW. En première approximation, le parc est dimensionné pour répondre à une demande maximum de 95 GW. Cette valeur a permis à la France d’être systématiquement exportatrice au cours des dernières années.

Malheureusement la conjoncture actuelle est fort différente et ce pour deux raisons. D’une part, l’embargo sur le gaz russe ampute fortement notre capacité gazière. Comme pour l’hydroélectricité, on ne prendra pas le risque de vider en un clic le stock hivernal de gaz chèrement acquis cet été. Par ailleurs, trop accroitre la part du gaz impacterait le prix du MWh qui a déjà atteint des niveaux stratosphériques.

Enfin, pour les raisons de corrosion sous contrainte, de nombreux réacteurs nucléaires arrêtés ne pourront être redémarrés début 2023 comme initialement promis par l’exécutif.

En misant respectivement sur 13 GW de thermique et 40 GW de nucléaire, la France pourrait alors au mieux mobiliser 70 GW, une valeur nettement insuffisante pour répondre à une vague polaire intense mais même à un froid plus classique. Pour éviter toute coupure, le gouvernement sera donc dans l’obligation d’importer en continu une dizaine de GW voire davantage en cas de froid polaire intense. Notre destin n’est donc plus entre nos mains mais dans celles de Dame Nature et de nos voisins européens.

Un test national aura lieu le vendredi 9 décembre face aux coupures d'électricité en janvier. Est-il encore temps d'agir pour se préparer au pire, et à des scénarios plus pessimistes que ceux du gouvernement ?

Philippe Charlez : Le test prévu le 9 décembre ne cherche qu’à valider une procédure existante destinée à répartir la pénurie le mieux possible mais ne résoudra pas le problème sur le fond. Agir aujourd’hui c’est « courir contre la montre » pour qu’un maximum de réacteurs nucléaires soit opérationnels en janvier et gérer le mieux possible la pénurie qui s’annonce en coordination avec nos partenaires européens. Dame nature sera-t-elle suffisamment généreuse pour détourner de notre territoire les anticyclones polaires tout en nous créditant d’un peu de soleil et de vent ? Pas certain que les prières journalières de Madame Borne soient suffisantes pour convaincre les dieux Ra et Eole.

Quant à nos voisins allemands, italiens ou belges, leur situation n’est pas plus enviable. L’Allemagne a bradé toutes ses centrales nucléaires contre des « moulins à vent » qui, en cas d’anticyclone polaire, ne fourniront pas davantage d’électricité que les éoliennes françaises. Et sa situation gazières (plus de 50% d’importations russes) est bien pire que la nôtre. Une partie de notre salut électrique reposera donc en grande partie sur la lignite Allemande.  La France n’est pas en reste puisqu’elle vient de rouvrir contre toute logique climatique la centrale à charbon de Saint Avold.

Un véritable pied de nez historique à ceux considérant encore aujourd’hui que notre avenir énergétique repose principalement sur les énergies renouvelables.

Damien Ernst : Il ne devrait pas y avoir de coupures de zones volontairement dans le test national. Des signaux d’alerte devraient être lancés en demandant aux citoyens de réduire leur consommation énergétique notamment et ainsi mesurer les économies d’énergie.

Ce genre de test national permet en réalité au gouvernement de démontrer qu’il s’est mobilisé face à la crise et qu’il a été en mesure d’anticiper les aléas. Il s’agit plus d’un airbag politique que d'une réelle préparation technique à ce type de scénario.

Si RTE doit piloter son réseau avec une charge de 100 gigawatts et commencer à délester, la tâche ne sera pas aisée dans les centres de conduite du réseau.  Lorsque vous travaillez aussi près des limites d’un réseau, il  est possible que le moindre incident, comme la perte d'une ligne ou d'une centrale nucléaire puisse conduire à des problèmes généralisés. Il ne faut surtout pas sous-estimer la difficulté technique de piloter un réseau aussi proche de ses limites. Cela serait une grave erreur.  

Est-il encore temps d'agir pour se préparer au pire, et à des scénarios plus pessimistes que ceux du gouvernement ?

Damien Ernst : D’un point de vue macro, le gouvernement ne sait pas faire grand-chose. Les citoyens, en revanche, peuvent se procurer un générateur diesel. Lorsque les coupures d’électricité interviennent et que tout le monde est plongé dans le noir, il est possible de brancher le générateur sur le réseau électrique de son habitation. Il est alors possible d’alimenter en électricité un certain nombre d’appareils comme le chauffage, la machine à laver, les ordinateurs. Ce type de solutions n’est pas accessible à tous et notamment pour les personnes vivant dans des appartements. Il faut avoir une maison pour le faire. 

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