Coup de maître... ou suicide ? Fillon a-t-il trouvé le moyen de couper l'herbe sous le pied de Copé et de Sarkozy ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La polémique Fillon concernant le positionnement de l'UMP face au Front national a occupé l'espace médiatique depuis 10 jours.
La polémique Fillon concernant le positionnement de l'UMP face au Front national a occupé l'espace médiatique depuis 10 jours.
©Reuters

Gambit

Les propos de François Fillon quant à la position de l'UMP par rapport au Front national a remis au goût du jour une question ancienne au sein de la droite. Ainsi, François Fillon a pris un risque qui pourrait s'avérer payant... ou détruire l'UMP.

Atlantico : La polémique Fillon concernant le positionnement de l'UMP face au Front national a occupé l'espace médiatique depuis 10 jours. D'aucuns s'inquiètent d'une déclaration suicidaire de l'ancien Premier ministre. S'agit-il pour vous d'une simple erreur de communication ou bien d'une réelle stratégie politique ?

Christophe De Voogd : Je note que le conseil qu'a tenu l'UMP hier matin va plutôt dans la voie de l'apaisement, ce que démontrent d'ailleurs assez bien les récentes déclarations de M. Copé et de M. Fillon. Il faut garder à l'esprit que la plupart des médias font leurs choux gras des divisions à l'UMP, et se précipitent avec gourmandise sur la moindre petite phrase. L'effet médiatique est ainsi loin d'être proportionnel à la réalité politique. Mais justement le paradoxe est là : ce contexte ne fait que rendre encore plus maladroite la position de M. Fillon qui est bien au fait, comme ancien Premier ministre, de l'hypersensibilité médiatique à toute manifestation de divisions à droite. Etant capable de très bien contrôler son discours, on doute qu'il ait commis une "gaffe" avec cette déclaration (qu'il a d'ailleurs validé peu avant la conférence d'hier) mais on peut néanmoins rester sceptique sur l'efficacité de cette stratégie. Il s'agit selon moi d'une mauvaise analyse du paysage politique et d'une réponse inefficace face à la montée du FN. 

Geoffroy Lejeune : C’est à l’origine, une erreur de communication, mais François Fillon a su la retourner en sa faveur. Il n’avait pas prévu, en se rendant sur le plateau du Grand rendez-vous, le 8 septembre, de prononcer cette phrase. Il avait encore moins prévu le tsunami qu’elle allait provoquer. Mais en voyant les retombées, notamment le premier sondage paru après ses propos (Ifop-Paris-Match), où il prenait 6 points, et progressait fortement dans l’électorat UMP et chez les électeurs sarkozystes – son point faible -, mais aussi chez ceux du Front national - + 11 points ! -, il a vu les profits politiques qu’il pouvait tirer de l’opération.

Edouard Fillias : Errare humanum est, perseverare diabolicumont dit certains, prêtant à François Fillon une maladresse dans laquelle il se serait débattu, tentant de s’auto-justifier rétrospectivement. Mais quand l’homme que tous surveillent en raison de sa popularité, tellement soucieux par ailleurs de son image publique, prend le risque de s’aliéner ses alliés directs, les média et une partie de l’opinion, il sait ce qu’il fait.

En marketing, on appelle cette approche une disruption : un changement de la règle du jeu voulu par celui considéré comme un de ses gardiens. Si jamais cette percée est couronnée de succès, elle aura deux conséquences immédiates :

  • La victoire de François Fillon aux primaires à droite puis son recentrage, après les primaires, pour gagner l'électorat du centre au second tour des élections présidentielles. Au passage, François Fillon prend, par ce geste osé, le leadership naturel de la droite jusqu'à alors disputé avec Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé.

  • La dévitalisation du Front national, aujourd'hui en pleine ascension, mais dont le principal moteur : la "rupture avec le système" nourrie par le mépris dudit système, sera en partie vidé de son contenu.

François Fillon, par sa déclaration, casse le huis clos dans lequel le FN enferme ses électeurs. Ces derniers se perçoivent eux-mêmes comme exclus du système. Jusqu'alors persona non grata, perdus pour la vie politique classique, ils retrouvent subitement voix au chapitre par l'expression d'une forme de respect d'un des plus éminents représentants du "système". Au détriment du pouvoir personnel et des intérêts politiques de leurs dirigeants et c'est là une bonne nouvelle.

Peut-on considérer qu'en provoquant cette situation, Fillon parvient à mettre en difficulté à la fois Jean-François Copé et Nicolas Sarkozy ?

Geoffroy Lejeune : Oui, parce qu’il les attaque sur leur terrain. Sa posture centriste, adoptée dès qu’il est sorti de Matignon, et le dégoût dont il a longtemps fait preuve vis-à-vis des électeurs du FN, lui permettent d’aller plus loin que Sarkozy et Copé qui, eux, ont toujours dit qu’ils voulaient leur parler. Comme le disent la plupart des « sarkopéistes », une telle prise de position de la part de l’ancien président ou du patron de l’UMP les aurait immédiatement marginalisés. Fillon, lui, pouvait se le permettre.

Edouard Fillias : C’est un gambit politique audacieux. Ne faisons pas insulte à l’intelligence du candidat Fillon. Sa sortie est payée chère, comptant, et peut-être lui sera-t-elle politiquement fatale. Elle permet cependant d’acheter deux bienfaits politiques inestimables, pour lui-même et pour le pays. 

Premier bénéfice, personnel, il sauve sa candidature aux primaires à droite, partie perdante alors qu’il est le candidat naturel de la droite et du centre dans l’opinion. Le jeu est désormais ouvert entre lui, Jean-François Copé et Nicolas Sarkozy. Incapable de rassembler la droite avant sa déclaration, François Fillon devient désormais grâce au signal envoyé à un tiers de la droite, une option possible.

Comme au jeu de go, en occupant le terrain privilégié de ses adversaires, il les vide de leur substance. Cette audace pourrait enfin asseoir ce qui lui manquait jusqu’alors : un leadership naturel à droite face à l’ombre de l’ex et aux ambitions du challenger.

Second bénéfice, la mise à distance du « Front national » de ses électeurs. En leur parlant directement, François Fillon neutralise l'influence des dirigeants du FN, à commencer par Marine Le Pen. Il ouvre la porte à la réintégration de cadres et d’électeurs égarés et enfermés dans ce « huis clos » de l’extrême droite où l’on s'isole par fierté et parfois, par renoncement. Il la prive de son pouvoir de parasitage des primaires à droite : elle ne fera pas le prochain Président.

Quelles contre-stratégies peuvent développer Copé et Sarkozy ?

Geoffroy Lejeune : S’ils se lancent sur le terrain filloniste de la posture, ils ne peuvent en sortir que perdants. On ne manquera d’épingler leur calcul politicien, et la presse les accusera de casser les digues avec le Front national. Il ne peuvent que répondre sur le terrain des idées, ce que la Droite forte fait pour Sarkozy, contraint au silence, et que Copé fait depuis sa campagne pour la présidence de l’UMP. Je pense qu’ils essaieront de commenter le moins possible la stratégie de Fillon – ce qu’ils ont commencé à faire avec la déclaration commune du bureau politique – et de le coincer sur le plan programmatique, en proposant des mesures simples et populaires, au sens où elles satisferont cette « France des invisibles » qui décidera qui du candidat de la droite ou de Marine Le Pen sera face à Hollande au second tour en 2017. Pas sûr que Fillon les suive sur ce terrain…

Christophe De Voogd : Je serais tenté de dire qu'aucun des trois n'arrive à développer une stratégie vraiment efficace du point de vue de l’ensemble de la droite, centre compris. Dans le cas Sarkozy, il est important de rappeler qu'il n'est "officiellement" plus dans le jeu politique, donc qu'il n'a pas pu préciser sa position sur les rapports UMP/FN depuis la présidentielle. Si l'on part de l'hypothèse qu'il se repositionnera sur ce que l'on a appelé la « ligne Buisson », il ne s'agit pas, à mon avis, de la bonne tactique pour les raisons que j'ai déjà évoquées plus haut. Pour ce qui est de Jean-François Copé, la position du "ni-ni" me semble assez astucieuse dans le sens où elle semble consensuelle en interne à l’UMP. Et ce d'autant plus qu'il faut prendre conscience que les cas de triangulaires défavorables à l'UMP seront probablement minoritaires en 2014. C’est ce que j’appelle la « troisième hypothèse » du paysage politique français qui est en train de se dessiner depuis 2011 : après le duel « classique » PS/UMP, puis les triangulaires mortifères pour cette dernière PS/UMP/FN, voici venir le temps des triangulaires défavorables à la gauche : situation patente dans le Sud Est aux élections de 2012 et aux législatives partielles depuis.

Ceci dit, je suis personnellement, en tant que libéral, davantage sur la ligne de NKM : le PS ce n’est pas le FN. Plus exactement, je me situe sur un « ni Front de gauche, ni Front national ». Car un libéral ne peut que refuser le choix entre socialisme national et nationalisme social !

Edouard Fillias : Jean-François Copé et Nicolas Sarkozy ont, de longue date, pris acte de ce changement et choisi de plaire à cette frange rebelle de la droite. Pris de vitesse, ils devront se positionner.

Deux directions possibles : la surenchère, pour rattraper Fillon sur sa droite ou le contre-pied, posture choisie par défaut semble-t-il, pour en rajouter sur l’appel vertueux au cordon sanitaire. C’est peu crédible, au vu leur historique respectif. Le coût politique de la surenchère risque toutefois d’être inabordable : elle exclurait d’emblée le rassemblement des électeurs au second tour. Le piège tendu par Fillon à ses rivaux est efficace. Echec et mat ?

François Fillon force-t-il ainsi ses deux principaux rivaux à l'UMP à sortir de l’ambiguïté sur la question du FN ?

Geoffroy Lejeune : Mais ils ne sont pas dans l’ambiguïté ! Leur position du « ni-ni » (ni Front national, ni front républicain), est parfaitement tenable, et c’est pour cela que l’UMP, dans sa déclaration commune d’hier, s’y est tenue ! Simplement, il les double sur leur droite, le seul terrain où ils pensaient que jamais Fillon n’oserait les attaquer.

Christophe De Voogd : Il faudrait être dans les pensées de M. Fillon pour en avoir la certitude. Je pense qu'il a d'avantage cherché à prendre de l'avance sur le sujet par rapport à ses deux concurrents en essayant au contraire de les cantonner dans cette ambiguïté pendant qu'il s'exprimait seul sur le sujet. Il pense certainement qu'il s'agit là d'une bonne tactique, mais il s'agit à mon avis d'une méthode inadéquate quand on regarde le fonctionnement actuel des ressorts politiques.

Edouard Fillias : A l’heure des primaires à l’italienne, il est indispensable de convaincre tout son camp et pas seulement ses notables. Tout son camp, c’est aussi la famille éloignée, les cousins de province, les oncles renégats. C’est une nouvelle donne dans la vie politique française. Les formations politiques marginales, le Front de Gauche ou le PC, et à droite, le FN trouvent un poids politique inédit dans cette pratique. Leur capacité militante, vaine depuis des décennies sans le débouché du scrutin proportionnel, peut enfin être mise au service d’un objectif politique concret. A défaut d’être élus eux-mêmes, ils peuvent jouer aux faiseurs de roi. Le pouvoir n’est plus très loin.   

C’est exactement ce que Marine Le Pen s’apprêtait à faire, arbitrant en creux le duel en faveur de Jean-François Copé. D’une part, il s’agit d’un choix naturel, les positions de Jean-François Copé étant connues de longues dates et proches du FN sur de nombreux points (la « droite décomplexée »). D’autre part, c’est aussi le meilleur candidat pour perdre les présidentielles au second tour et conforter l’assise du FN dans l’opposition. Opposition chérie de la PME frontiste dans laquelle elle s’épanouit naturellement, dans l'attente du Grand Soir. C'est bien connu que le pouvoir ne sied pas aux formations extrémistes - il agit comme un révélateur de leur incompétence.

Jean-François Copé osera-t-il franchir désormais le rubicond d’une alliance à ciel ouvert ? C’est peu probable : le coût politique serait la perte de ses alliés du centre et surtout, de toute capacité de rassemblement entre les deux tours.

En quoi cette stratégie est-elle un pari politiquement risqué pour Fillon mais aussi pour l'UMP ?

Geoffroy Lejeune : Ce n’est en effet pas risqué sur le plan moral, parce que les oukases médiatiques n’ont aucun impact sur l’électorat de droite, au contraire… Sur le plan de l’efficacité, ce devrait aussi être payant puisque la droitisation des Français est telle qu’il est aujourd’hui admis par les électeurs UMP que le principal chantier est de récupérer les voix du FN. C’est très risqué politiquement, en revanche, dans la mesure où ce revirement passe pour du pur calcul politicien. Mis à part dans la posture, Fillon ne propose rien qui puisse être de nature à convaincre les déçus de la droite. Or, les électeurs partis au FN n’attendent pas de discours, mais des actes. S’il veut que sa stratégie soit payante, Fillon doit accompagner ses déclarations de mesures concrètes qui seront de nature à convaincre les électeurs frontistes. Ce que font depuis longtemps Copé et les sarkozystes de la Droite forte, dont les propositions ne sont accompagnées d’aucun geste de récupération politique mais qui s’adressent directement à cette « France d’en bas » que l’UMP doit reconquérir.

Christophe De Voogd : Il est risqué et il est surtout inutile, dans le sens où le Front national, contrairement à ce que l'on pourrait penser, ne représente pas une réserve de voix décisive pour la droite parlementaire. En fait les reports de voix de second tour vers le FN sont désormais égaux à droite et à gauche : fait inacceptable pour cette dernière, donc objet de déni, y compris des médias qui n’interrogent jamais les responsables de gauche sur ces reports. Or si l'on regarde bien les résultats des partielles, on constate que l'UMP reste forte alors que la gauche, PS inclus, s'écroule au fil des scrutins. On sort ainsi de la classique alternance gauche/droite pour rentrer dans un trio de tête constitué de l'UMP puis du Front National (ou du Front national puis de l’UMP), et enfin du PS. Comme l'affirmait récemment Bruno Le Maire, la question FN n’est donc pas d’actualité pour l’UMP, qui doit d’abord se positionner sur le fond. Le choix de second tour en cas de triangulaires incombera d'avantage au PS ; et on devrait notamment voir cette question se poser à Marseille dès l'année prochaine ; et au-delà dans de très nombreuses villes moyennes et dans les zones péri-urbaines.  

Edouard Fillias : Si François Fillon survit à l'hallali, il est désormais dans la meilleure posture pour gagner les primaires à droite. Et sans nul doute, pour remplacer un président en déroute. Saura-t-il pour autant mener l’UMP à la victoire à la présidentielle ? Ce choix stratégique risque d’occuper, en toile de fonds, toute la campagne présidentielle. Le candidat sera alors jugé en personne : est-il toujours cet homme modéré, hostile au Front national, libéral, européen et ouvert au dialogue ?

Sur le fond des convictions politiques de François Fillon, rien ne permet de déceler un changement. Il a très prudemment choisi ses mots pour ne jamais dire qu’il voterait lui-même pour un candidat du Front national. Tout est fait pour ne pas insulter l'avenir, à l'heure du grand rassemblement. On songe à la formule de Talleyrand "On ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment" : il est parfaitement clair que son propos est obscur (mais que veut dire "sectaire" au juste ?). Il doit être considéré non pas comme signifiant mais comme un signal à l'intention d'une partie des sympathisants de droite, isolés dans la marginalité politique. Il est, semble-t-il, déjà compris comme tel. Les sondages créditent ces propos de 70 % de sympathie à droite.  

Une parole sibylline, certes, mais n'est-ce pas là une petite lâcheté pour un grand bénéfice politique ? Celui de sortir enfin du piège tendu par Jacques Pilhan et les stratèges socialistes sous Mitterrand. Car, est-il besoin de le rappeler, l'allié naturel de la gauche est depuis trente ans le Front national. 

Alors oui, le pari est politiquement risqué, pour l’homme et son parti. Mais il est aussi permis de se réjouir que la guerre de mouvement ait succédé à la guerre de tranchée. Des décennies d’attentisme face au Front national n’ont rien endigué, au contraire. Alea jacta est ! 

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