La liberté est-elle menacée par l'égalité ? (Série ES)

1789. Un phénomène extraordinaire a lieu en France. Mus par le désir de bâtir un monde juste, des hommes et des femmes se révoltent contre l’Ancien Régime et son système inégalitaire  jugé inhumain. La République naît avec comme devise « Liberté. Egalité. Fraternité ».  1989. Deux siècles ont passé. Un autre phénomène extraordinaire se produit. Mus par le désir de vivre libres, des hommes et  des femmes se révoltent contre le communisme et son idéal d’égalité jugé totalitaire et inhumain. La Russie et les pays de l’Est découvrent la liberté. 2011. Vingt ans ont passé depuis la chute du mur de Berlin. Le temps de la réflexion est venu. Comment comprendre ce qui s’est passé ? Pour certains penseurs libéraux, ce revirement de l’histoire s’explique. Les révolutionnaires français puis communistes ont été trop utopiques en poursuivant un idéal d’égalité. Ils ont cru pouvoir concilier liberté égalité. Ce qui est un doux rêve, l’égalité détruisant la liberté. Est-ce si sûr ?

Les penseurs libéraux n’ont pas tout à fait tort de critiquer l’égalité. Il faut le dire, il y a une égalité qui fait peur. On la trouve dans le fait de croire qu’un monde juste serait un monde où tout le monde serait pareil. La vie est diversité. C’est ce qui fait sa richesse. Si tout le monde se ressemblait, il n’y aurait plus de vie. Tout le monde ne peut pas courir le cent mètres en dix secondes. En quoi est-ce gênant ? Aller vite, c’est bien. Marcher lentement aussi. On a le temps de voir le monde. Certaines personnes sont fortes psychologiquement et d’autres fragiles. Ce n’est pas forcément un inconvénient. On finit par devenir à force de n’être que fort. On devient sensible quand on est fragile. Enfin, tout le monde n’est pas génial. Tant mieux. Il est heureux qu’il y ait des êtres simples. Cette simplicité est humaine. Le génie est parfois dur à vivre.  Pour fabriquer un monde juste, le maoïsme en Chine a établi un individu-type qu’il a tenté de reproduire à des centaines de milions d’exemplaire. Ce projet politique n’a pas débouché sur l’égalité mais sur la violence. Le maoïsme aurait évité bien des drames, des injustices et des souffrances s’il avait lu la Bible et l’épisode de la tour de Babel où il nous est rappelé que l’humanité est faite pour être multiple et non une, le multiple étant synonyme de vie.

Si les penseurs libéraux n’ont pas tort de critiquer l’égalité, ils n’ont pas complètement raison non plus. Il y a égalité et égalité. Qui dit égalité ne dit pas égalitarisme. Ne confondons  pas égalité et égalitarisme. Alors que l’égalitarisme est une passion, l’égalité relève de la raison et de la sagesse. La différence est grande. Qui dit égalitarisme dit en général une peur de voir qu’un autre est plus grand, plus fort, meilleur que soi. Il y a derrière une telle peur de la jalousie et avec cette jalousie un désir de vengeance et de cruauté. D’où la critique légitime des passions égalitaires faite par Tocqueville. En revanche, qui dit égalité dit exigence politique essentielle. Qui, à part celui que Sartre a appelé le « salaud » se prononce en faveur de l’égalité ?  Personne. Être homme c’est être juste et être juste c’est ne pas tolérer une société où règne une inégalité de traitement entre les hommes pour des raisons de position sociale, de richesse ou tout simplement pour des raisons arbitraires. Tout homme dès lors qu’il est un citoyen a des droits. Et une société est digne de ce nom quand elle donne à tout le monde les mêmes droits en évita,nt que certains citoyens aient plus de droits que d’autres. En outre, toute société est une société de progrès et de dignité en faisant en sorte que chaque citoyen puisse avoir la possibilité  de participer à la vie sociale en faisant valoir son talent. D’où l’importance de l’égalité juridique et derrière elle de l’égalité sociale.  

Prenons un peu de recul. L’égalité a deux faces. Une face négative, dangereuse pour la liberté. Une face positive indispensable pour notre humanité et notre raison. Il ne sagit pas là d’une contradiction. Cette dualité provient de l’originalité de l’Homme. Tout être humain est double. Il n’est pas nature ou culture mais nature et culture. Venant de la vie, il est divers, multiple et appartient à un monde inégalitaire où l’inégalité est signe de différences qui ne sont pas forcément négatives quand on sait bien les appréhender. Mais appartenant à la société et à la culture, ce même être humain s’humanise en traitant ses semblables de façon juste sans pratiques arbitraires.  L’histoire de la vie sociale et politique montre la difficulté que les sociétés ont à accorder nature et culture, vie et société. Bien des fois des idéologies se sont saisies de la vie sociale pour écraser la culture par la nature ou la vie par la société. Face à ces extrêmes, la sagesse consiste non pas à être vivant ou citoyen, libre ou juste, mais vivant et citoyen libre et juste. C’est ainsi que les êtres humains acquièrent la possibilité de devenir ce qu’ils sont en faisant de leur existence une histoire et une  construction.