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Coronavirus : et si le Covid-19 permettait de résoudre les contradictions du monde d’avant ?
©KAZUHIRO NOGI / AFP

Atlantico Business

Sous l'impulsion de l’épidémie, le digital permettra de concilier les objectifs de croissance avec les impératifs de santé, d’écologie et sociaux.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Ronan Le Moal

Ronan Le Moal

Ronan Le Moal est diplômé de HEC et ancien Directeur Général du Crédit mutuel Arkéa de 2008 à 2020.

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Pour Ronan Le Moal, les gouvernements n’étaient pas prêts à affronter une telle pandémie. Il va falloir maintenant gérer la crise économique et sociale, ce qui va nécessiter beaucoup d’efforts d’adaptation. L’après-crise sera moins comptable, plus humain et surtout très digitalisé. Ronan Le Moal, diplômé d’HEC, était jusqu’alors le directeur général du Groupe Arkea qu’il a profondément transformé pour répondre aux défis liés à la transformation digitale du métier de banquier. Il va désormais se consacrer au métier d’entrepreneur. 

La pandémie a pris la planète en otage. Les gouvernements ont géré cette épidémie en donnant le sentiment d’improviser en permanence, sauf en Allemagne dont le bilan est d’ailleurs meilleur puisque l’Allemagne accuse beaucoup moins de morts que la plupart des autres pays européens et dont l'économie va sans doute redémarrer plus vite. Ce qui a paru invraisemblable en France, c’est que nous n'ayons eu ni masques, ni gel, ni équipements hospitaliers suffisants. Alors à qui la faute ? 

Ronan Le Moal : Je ne pense pas que l’on pouvait imaginer une telle pandémie. La vraie question est de savoir si nous étions suffisamment prêts au cas où... La réponse est manifestement non, et ceci partout (ou presque) dans le monde. Lamartine écrivait « la nature est là qui t’invite et qui t’aime » et on lui a sans doute préféré la célèbre phrase de Descartes évoquant l’homme se posant comme « maitre et possesseur de la nature ». Partant de là, une telle catastrophe ne pouvait donc pas arriver... Si on y ajoute ce rejet quasi culturel de la mort, rejet inhérent à nos sociétés modernes, on comprend alors l’ampleur du drame que vit notre société en ce moment. Et je ne parle pas forcément du drame en nombre de vies perdues - et bien entendu que toute vie perdue est dramatique - mais plutôt du drame de l’impuissance et de la sidération liée à l’absence de préparation.

Alors oui, c’est aussi la faillite d’un système, un système où l’Etat est censé nous protéger et donc se préparer à ce genre de pandémies. C’est pour cela que l’Etat lève l’impôt et manifestement, et en l’espèce, l’Etat utilise mal son pouvoir et l’impôt qu’il prélève... 

Mais, c’est aussi l’échec d’un système où l’optimum passe par l’optimisation économique. Cela conduit donc à acheter des ressources potentiellement stratégiques - les masques le sont en pareilles circonstances par exemple - au mieux disant en terme de prix sans tenir compte de considérations qui dépassent la simple équation financière. Et il en va de même sur les questions d’écologie ou encore certaines questions de bien-être social...

Nous découvrons tragiquement que nos modèles de décision, purement économiques, purement comptables, sont parfois un peu courts... Au-delà de savoir si certains de ces sujets sensibles seraient mieux gérés par une organisation « privée », la vraie question consistera à se reposer la question de ce qui fait l’optimum et l’optimum, ce n’est pas simplement produire moins cher...

Jean-Marc Sylvestre : Vous êtes breton, très attaché à la Bretagne et vous avez évidemment constaté que l’Ouest de la France, la Bretagne notamment, avait été moins touchée par la contagion du Covid-19 que l’Ile de France ou l’est... Est-ce que vous avez une explication ? 

Ronan Le Moal : Les explications nous seront données par les scientifiques et il faudra attendre la fin de cette épidémie pour en tirer les leçons et faire les bilans. Mais il y a quand même eu quelques foyers d’épidémie en Bretagne, ils ont été identifiés assez rapidement. Il faut rester vigilant et prudent. C’est vrai, la France a été coupée en deux. Alors ça peut être une question de climat, de densité de population (plus surement) et d’organisation peut être. Sans tomber dans la polémique facile, je dirai que nous sommes très indépendants en Bretagne, très responsables et les organisations les plus efficaces sont celles qui respectent les responsabilités individuelles et décentralisées. Mais c’est un autre sujet. Les infectiologues nous donneront des éléments de réponse. 

JMS : La réponse stratégique qui a été opposée à l'épidémie passe par le confinement général des populations et cela dans tous les pays du monde à quelques exceptions près. Or, le confinement avait pour but de freiner la diffusion du virus pour éviter l'engorgement des hôpitaux et d’attendre l’extinction de l’épidémie. Ce confinement représente un coût colossal pour l'économie de la planète puisqu’il éteint l’activité. Cette stratégie commence à être critiquée à la fois par des médecins et des philosophes (André Comte Sponville par exemple). Est-ce que les gouvernements avaient un autre choix possible ?

Ronan Le Moal : Cette question ramène à notre rapport à la mort. Il y a beaucoup de victimes de la grippe tous les ans et on n’arrête pas le monde pour éviter la diffusion de la grippe. Le problème dans ce cas d’espèce, c’est que la montée en puissance de l’épidémie fait que la mortalité de cette maladie saute aux yeux alors que nous n’avons ni médicament reconnu à date, ni vaccin. Et encore une fois, cet « aveu de faiblesse » n’est pas tolérable pour l’homme moderne ; donc la stratégie choisie était sans doute la seule acceptable au sens de l’acceptation. 

JMS : Alors que tout le monde en France attend le déconfinement à la date du 11 mai annoncée par le président de la République, tous les experts, les médecins et mais l’exécutif nous prévient que les opérations de déconfinement seront très longues. Est-ce que l'économie peut rebondir et vite ? Est-ce que vous croyez à la théorie du rebond, la fameuse courbe en V ? Parce que les actifs de production n’ont pas été détruits comme lors d’une guerre. L’offre existe et la demande aussi. La reprise va dépendre de quoi ? 

Ronan Le Moal : La reprise va dépendre de l’état sanitaire. Nous avons tous une épée de Damoclès suspendue sur nos têtes, notre réaction légitime sera de nous protéger. Tant que le virus ne sera pas sous contrôle, le rapport de confiance indispensable à la reprise de l’économie ne sera pas restauré. Cela dit, la facture va être très lourde. Le cout de cette protection va être exorbitant.

Il y a quelques semaines encore, on se demandait si nous serions à 2,9%, 3% ou légèrement plus de déficit budgétaire... En un éclair, toutes les digues de l’austérité budgétaire ont sauté et ce sont des milliers de milliards de dollars qui ont déjà été injectés dans l’économie pour la soutenir. Les plus de 100 Md€ du plan français de soutien à l’économie ou encore les 540 Md€ décidés au niveau européen ne sont qu’un début, parce que lorsque l’on dépasse les bornes, il n’y a plus de limite.

Il y aura bien sûr des plans de relance (offre et demande) colossaux à la rentrée pour faire repartir l’économie qui a été volontairement mise en sommeil. Il y aura donc, après la chute logique du PIB, un rebond violent. La question qui se posera sera celle de la robustesse de ce rebond.

Le maître mot de la réussite de ces plans de relance, outre bien entendu la maîtrise du volet sanitaire, sera une coordination a minima européenne et idéalement mondiale des programmes de relance pour que personne ne « profite » d’un drame sanitaire pour tirer un avantage économique à la sortie.

JMS : Mais très cyniquement, l’histoire nous enseigne que ce type de crise a aussi pour effet d’éliminer les entreprises les plus fragiles…

Ronan Le Moal : Ce qui est certain, c’est que cette crise ne déroge pas à la règle qui veut que dans les moments difficiles, le nerf de la guerre, c’est la trésorerie... et les trésoreries sont mises à mal. Un peu comme en 2008 au moment de la crise des subprimes. Il y a un risque de pénurie de liquidités. 

Il y a donc un enjeu crucial, dont l’importance a clairement été appréhendée par le gouvernement français, à ne pas briser la chaîne de confiance entre les agents économiques afin simplement que les clients continuent de payer leurs fournisseurs et qu’on n’assiste pas à l’émergence d’une sorte de « Loi de la rue » où chacun fait ce qu’il veut, avec les effets en chaîne que l’on imagine.

Pour autant, les actionnaires choisiront inévitablement de remettre du capital dans les entreprises qui ont le plus de chance de se relever et forcément, il y aura des défaillances, beaucoup malheureusement. Avec des dégâts sociaux qu il faudra gérer. 

JMS : Qui va payer ? On estime que les pays de la zone euro vont dégager plus de 2000 milliards d’euros, les 27 pays de l’Union européenne 3500 milliards d’euros. Ces sommes colossales vont servir au soutien économique et social et au financement de la relance.  Est-ce que ces montant énormes sont finançables et par qui ? Quand on voit la difficulté qu on a eu à se relever de la crise de 2008, on va de nouveau accumuler des montagnes de dettes 

Ronan Le Moal : J’évoquais la nécessaire coordination, nécessaire parce qu’à mes yeux le salut passera par un white Off des dettes d’Etat logées in fine dans le bilan des banques centrales. Et si cela choque, on peut aller à une version plus audible peut-être de transformation de cette dette en dette perpétuelle.

Je ne suis pas un fervent défenseur de la mauvaise gestion mais dans le cas d’espèce, on ne parle pas de la gestion des finances grecques ou italiennes d’il y a quelques années. On est dans une autre dimension, un autre enjeu. Si la coordination est assurée, avec un leader pour assurer cette coordination, un leader qui pourrait d’ailleurs être Emmanuel Macron, alors annuler les dettes d’Etat détenues en proportion des PIB respectifs dans le bilan de la BCE ne sera pas un problème mais LA solution.

On peut sinon envisager de revenir vers les peuples européens, après avoir salué l’abnégation de tous ceux qui auront permis le redémarrage de l’économie, et leur expliquer que le retour à un déficit budgétaire < 3% en tendance va supposer une belle cure d’austérité...

JMS : Une cure d’austérité ?  C’est-a-dire des impôts, c’est-a-dire qu’après avoir échappé à la mort subite du coronavirus, nous aurions droit une mort lente par étouffement fiscal ?

Ronan Le Moal : Sans coordination et solidarité européenne, je ne vois pas comment des cures d’austérité fiscale seraient politiquement gérables.

JMS : Les banques jouent un rôle clef dans ce type de crise. Sont-elles solides ? Ne sont-elles pas toutes devenus filiales assistées des banques centrales ? Une banque peut-elle faire faillite ? On se souvient qu’en 2008, personne ne pouvait envisager qu’une banque puisse tomber…

Ronan Le Moal : Les banques ne tomberont pas et elles seront d’ailleurs les dernières debout s’il devait y avoir une débâcle au regard de leurs fonds propres conséquents d’un côté et des excédents de trésorerie importants qu’elles détiennent de l’autre. Les banques ne sont pas le problème comme en 2008 mais une partie de la solution.

Le régulateur s’en rend d’ailleurs compte en desserrant progressivement les différents niveaux de « coussin » pour qu’elles puissent prêter davantage. Après 2008, on avait imposé aux banques européennes des conditions de gestion très sévères pour sécuriser le système. Aujourd’hui, on va leur rendre un peu plus de liberté. Cette manière d’agir est d’ailleurs une alternative à une nième baisse des taux de la BCE en agissant directement sur ceux qui transmettent la liquidité à l’économie. Il aura fallu attendre une crise pour prendre le sujet par le bon bout... Quand un patient a du cholestérol, on commence par lui demander d’arrêter de manger des hamburgers avant de prendre des médicaments anti-cholestérol..

JMS : On spécule beaucoup sur les changements probables ou nécessaires. Le monde d’après sera-t-il si différent du monde d’avant ? Beaucoup de responsables politiques voient dans cette crise la preuve de ce qu’ ils prévoyaient. Les écolos, les souverainistes, les protectionnistes, les anti-progrès sur l'air de « je vous l'avais bien dit... » 

Ronan Le Moal : Je ne sais pas si le monde changera fondamentalement mais ne pas voir dans cette crise la faillite à la fois de l’hyper concentration des agents économiques dans les grandes métropoles (grands pays, grands continents) et par ricochet, une circulation des biens et des personnes à outrance qui atteint ses limites, ce serait nier une partie du problème.

Cette crise doit ouvrir, à l’échelle de la France, une réflexion visant à renforcer le tissu entrepreneurial dans les territoires, renforcement qui apporterait à la fois des retombées en terme d’aménagement du territoire, d’écologie (on travaille plus proche de chez soi, les biens circulent moins), d’économie (abaisser la pression immobilière dans les grandes métropoles par exemple, favoriser le développement des commerces de proximité...).

Il ne s’agit pas de nous refermer sur nous-mêmes mais de passer d’une organisation économique verticaliste à une organisation en écosystèmes locaux, régionaux, bien plus vertueuse.

De ce point de vue, le digital peut être un allié précieux parce qu’il s’affranchit des distances. Fortuneo Banque, que je connais très bien, a une grande partie de ses équipes installées dans un bâtiment dernière génération proche de l’aéroport. Inutile de vous dire que le m2 y ait bien moins cher et que la fidélité des équipes – au sens turn-over – bien plus forte qu’en région parisienne. Et les clients ne s’en plaignent pas, mieux sans doute, ils ne le savent pas, la magie du digital !

JMS :  Cette crise peut consacrer l’importance du digital qui va devenir incontournable. Certains disent que le 19e siècle a été celui de l’industrie, le 20e celui de l'électricité et le 21ème sera le siècle du numérique ou ne sera pas. 

Ronan Le Moal :  Nous venons de découvrir un nouveau risque opérationnel « non pricé » jusqu’alors, le risque de voir le CA d’une entreprise dépendant d’une organisation physique (voyage, événementiel, réseaux intermèdes,...) passer de 100% en base à 0% en quelques jours seulement. A l’inverse les modèles « digital native » voient leur CA exploser. 

On peut en tirer au moins deux enseignements : tout modèle économique qui ne pourra pas démontrer sa capacité à être « full remote » se verra allouer une prime de risque additionnelle par rapport à la situation qui prévalait avant la crise et il y aura des alliances plus nombreuses entre les acteurs purs digitaux et classiques, entre des acteurs qui se voyaient comme des ennemis et qui vont devenir des partenaires. Par exemple, une start-up comme Epicery, qui prend commande et livre le « dernier km » de commerce de bouche à Paris devient un allié de ces commerces auxquels il permet de fonctionner à un moment où les clients ne peuvent plus se rendre dans certains commerces.

JMS : Nos modes de vie peuvent changer ? Moins de voyages, moins de rassemblements nombreux etc…

Ronan Le Moal : Depuis quelques semaines, nous sommes rendus à satisfaire les besoins élémentaires décrits par Maslow et c’est d’ailleurs pour cela que nous sommes si reconnaissants à ceux (médecins, infirmières, boulanger, éboueurs...) qui permettent ce « miracle » de juste pouvoir vivre...

Cela conduit forcément à une forme d’éloge de la frugalité que nous vivons un peu contraints et forcés. Et après ? Il y aura sans doute une première période où les avions ne voleront pas comme avant, les hôtels et les restaurants ne seront pas ouverts, etc.. Limitant le retour à la normale.

Il y aura une magie du premier verre ou dîner entre amis qui aura le goût de la liberté retrouvée, le goût de la première fois.

Reviendrons-nous ensuite, progressivement, à notre vie d’avant ? A la différence des sorties, des crises passées - il y a plus à gagner dans le « mieux » que dans le « plus », c’est une évidence.  Le « mieux », ce n’est pas renoncer à la croissance, notamment économique, et tout ce qu’elle suppose d’efforts. Le « mieux », c’est considérer que la croissance doit servir des dimensions qui dépassent la sphère économique (écologie, société). 
Je vois dans l’avènement du digital une formidable manière de concilier toutes ces dimensions aux côtés des entreprises « classiques » : parce que le digital permet de décentraliser et donc de limiter les déplacements, de fédérer des écosystèmes locaux, d’assurer la permanence de l’activité et paradoxalement de... rapprocher les individus.

A nous de construire cet « après » qui n’a rien à voir avec Utopie de Thomas More.

Propos recueillis par Jean- Marc Sylvestre 

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