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Consultations sur la réforme des institutions : ces mesures clés souhaitées par le gouvernement qui ne provoqueront pas de "transformation profonde" même si elles étaient votées
©ERIC FEFERBERG / AFP

Forte attente ?

Le gouvernement, à la suite des promesses de campagne d'Emmanuel Macron, a annoncé vouloir mener au bout son projet de réforme de la Constitution, se concentrant sur la réduction du nombre de représentants des Chambres et l'impossibilité de faire plus de trois mandats.

Christian  Bidegaray

Christian Bidegaray

Christian Bidegaray est politologue. Il enseigne les sciences politiques à l'Ecole de Journalisme à Nice.

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Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico : Le gouvernement, à la suite des promesses de campagne d'Emmanuel Macron, a annoncé vouloir mener au bout son projet de réforme de la Constitution, se concentrant sur la réduction du nombre de représentants des Chambres et l'impossibilité de faire plus de trois mandats. S'agit-il véritablement de la « transformation profonde » annoncée ?

Christian Bidegaray : L'idée de réformer la Constitution, vu le désaveu des citoyens à l'égard de la chose publique et des hommes politiques était dans l'air de cette élection présidentielle, avec des propositions plus ou moins fortes, la plus forte étant évidemment celle de Jean-Luc Mélanchon et sa VIe République. Dans ce contexte-là, évidemment, le candidat Macron a proposé un certain nombre de réformes qui étaient souhaitées du moins dans les sondages par un certain nombre de citoyens. Il y avait notamment la fameuse moralisation de la vie politique qui a été appliquée par la voie législatives. La révision du nombre de parlementaires était effectivement dans l'air du temps. François Fillon aussi la proposait, tout comme d'autres candidats. Ce consensus concernait le Sénat, l'Assemblée Nationale et aussi le Conseil économique, social et environnemental. C'est donc une mesure qui de ce point de vue fait plaisir aux citoyens. Mais est-ce que cela a une grande incidence ?
Je pense qu'il faut faire la distinction entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Pour cette dernière, diminuer le nombre de parlementaires s'était mêlée dans l'esprit de Macron comme de Bayrou à l'introduction d'une certaine dose de proportionnelle parmi les députés. De façon qu'il y ait une partie élue minoritaire à la proportionnelle et le reste à un scrutin classique nominal à deux tours. Diminuer le nombre de députés, cela fait plaisir aux populistes qui considèrent que ces gens-là sont trop aidés et pas assez contrôlés. On a vu avec l'affaire Fillon qu'effectivement, cette opinion était partagée. En réalité, cela suppose donc de porter atteintes aux circonscriptions actuelles, qu'il faut dès lors redécouper. Une des conditions émise par le Sénat est que la limite soit le département. On a déjà imposé aux députés le non-cumul des mandats – pas de fonction exécutive locale avec un mandat parlementaire. On a donc de plus en plus – et on le voit avec les députés de la République en Marche – des personnes qui n'ont pas d'assise locale forte. Et, en prévision des municipales, on observe que la République en Marche essaye au maximum de s'implanter, de trouver des candidats. C'est un problème, auquel s'ajoute celui qu'un certain nombre de députés vont devoir s'en aller (et ce même au sein de La République en Marche. Cela pose un problème : par qui les remplacer ? Ces gens-là qui n'ont pas d'assise locale ne peuvent se replier sur un mandat de maire ou au mieux de conseiller général. Ils devront retourner dans le privé.
Le problème est tout autres pour les sénateurs, qui sont élus, vous le savez, autrement, les uns – dans les petits départements – à la majorité à deux tours, et les autres à la proportionnelle. Si on diminue le nombre de sénateurs, cela fait plaisir aux braves gens, y compris Jospin qui considérait que le « Sénat est une aberration de la République ». Il n'empêche que les sénateurs sont élus par des élus locaux, essentiellement par des conseillers municipaux. Et il y a là un problème : quand on a fait la loi sur le cumul des mandats, les sénateurs n'étaient pas d'accord. Ils considèrent être les représentants territoriaux, et du fait de leur élection à deux degrés, sont ceux qui assurent le mieux le lien entre le territoire local et la décision nationale. Selon moi, ils n'avaient pas tort selon moi, mais on peut ne pas être d'accord avec cette interprétation. C'était bien celle de Larcher, qui plaidait pour le non-cumul des mandats pour les députés mais pas pour les sénateurs. On semble donc s'être aujourd'hui accordé sur une diminution de sénateurs. Mais Larcher semble rattraper d'une main ce qu'il a lâché de l'autre en demandant pourquoi imposer une limitation du nombre de mandats à trois dans le temps. Cela dit, il faut savoir que cette diminution concerne assez peu de personnes, même pas une dizaine de sénateurs.
On peut dès lors faire l'hypothèse que Gérard Larcher met en avant cette ligne rouge pour mieux négocier sur d'autres éléments concernant la réforme de la Constitution. Parce qu'il ne faut pas oublier que d'autres éléments sont en jeu, à commencer par la non-représentation des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel. Et à peu près tout le monde est d'accord pour ça. Mais il y a aussi – et c'est plus compliqué – la suppression de la cour de Justice de la République qui devrait être supprimée. Et cela pose un certain nombre de problème. Il n'est pas sûr du tout que cette mesure fédère une majorité nécessaire. Car le problème, c'est que toutes ces révisions de la Constitution supposent de passer par l'article 89 de la Constitution et donc avoir été jugé conforme aussi bien à l'Assemblée qu'au Sénat. Et ce n'est qu'après que le projet peut-être soumis soit par référendum, soit au Congrès réunissant les deux chambres avec la majorité des 3/5e. Aujourd'hui, il n'est pas du tout évident que ce projet reçoive ne serait-ce que l'assentiment de chacune des Chambres.
En même temps, on voit que les élections partielles font perdre quelques plumes à la majorité présidentielle. Ils ont de la marge, mais il n'est pas certain qu'ils atteignent la majorité des 3/5e en Congrès. Certains évoquent évidemment l'hypothèse qui s'était présentée en 1962 au Général de Gaulle, celle de l'utilisation de l'article 11 pour modifier la Constitution. Mais vous savez que cela avait provoqué un très grand débat à l'époque. Mitterand, qui était très astucieux, a, à un moment donné menacé d'utiliser l'article 11 pendant les accords de Maastricht pour faire pression sur sa majorité, quand il avait affirmé à Olivier Duhamel dans un article de la revue Pouvoir qu'après tout, que c'était possible. Ce qui avait surpris tout le monde ; mais il ne s'en était pas servi. Se servir de l'article 11 dans le cas actuel, pour réorganiser la vie politique, dans le contexte de baisse de popularité actuel, cela ne me paraît pas très simple.

Si on peut considérer qu'il s'agit d'une véritable optimisation du fonctionnement de notre pouvoir législatif, cette réforme constitutionnelle n'est-elle pas insuffisante dans sa volonté de redonner confiance et intérêt aux Français dans leur système démocratique ?

Christian Bidegaray : Je suis assez d'accord avec vous. On se rend bien compte que le Parlement aujourd'hui ne sert pas à grand chose. La quasi-totalité des textes législatifs sont des projets de gouvernement, et ces projets sont votés le petit doigt sur la couture du pantalon par la majorité. Evidemment il y a des amendements pour améliorer des textes. Mais beaucoup de députés, notamment de la République en Marche découvrent aujourd’hui que la vérité n'est pas celle qu'ils croyaient, et qu'ils ne servent pas à grand chose. Et certains se demandent – et parfois le font – s'ils ne devraient pas revenir à leur métier initial. De ce point de vue, on est dans un système où depuis le début de la Ve République, le Parlement est plus une chambre d'enregistrement des projets gouvernementaux qu'autre chose. Et ce d'autant plus qu'une grande partie de la législation française n'est qu'une traduction en termes français de directives européennes. L'autonomie du député qui croit pouvoir faire des choses, qui dépose des propositions de lois qui lui serve à se faire valoir auprès de son électorat, en réalité ne lui sert à rien. L'important est le travail gouvernemental.
Le vrai travail, par ailleurs, ne se fait pas en séance plénière. On s'indigne de voir les bancs vides et trois pelés et un tondu, mais c'est que le vrai travail se fait dans les commissions. De ce point de vue, plusieurs députés de gauche et de droite disent qu'il faudrait encore améliorer le fonctionnement du travail législatif pour éviter de refaire en séance plénière des choses déjà débattues en commission.
Mais vous avez raison, tout cela n'intéresse, comme tous les débats institutionnels, pas grand monde. C'est très technique et compliqué. Pour le Français moyen, la perception se joue sur la ligne de salaire, les questions de sécurité dans la société, sur le montant de la retraite et sur le pouvoir d'achat.

Quelles sont les pistes qui existent aujourd'hui pour rendre plus visible, compréhensible et acceptable aux Français le fonctionnement de nos institutions démocratiques, en particulier législatives ?

Christian Bidegaray : Si vous regardez le fonctionnement des démocraties libérales, partout c'est souvent l'exécutif qui est à l'initiative. Le système britannique, qui est vraiment législatif, se soumet malgré tout à la majorité. Les cas de proportionnelle montrent leurs limites en ce moment en Allemagne et en Italie. Quant à la Suisse, c'est vraiment à part, ne serait-ce parce qu'il s'agit d'un état fédéral avec un exécutif directorial renouvelé chaque année. En France, cela n'a fonctionné qu'avec un coup d'Etat, dont le dernier a été celui du 18 Brumaire ! On ne va pas réintroduire cela. A partir du moment où on a fait la Constitution de 1958, il faut accepter que cela soit l’exécutif qui dirige. D'ailleurs regardez la composition de l'Assemblée aujourd'hui : elle n'a jamais été aussi technocratique. On se félicite en disant que ce sont des gens qui viennent de la société civile. Ce ne sont certes pas des mandarins, mais il faut bien voir qu'ils font partie, de droite comme de gauche, d'une élite. C'est un « tout petit monde ». Comment renouveler ça quand le citoyen a de moins en moins envie de s'investir ? Je pourrai vous faire un cours sur l'abstention sous la Ve République ! Et il est à craindre qu'on atteigne à nouveau des records lors des prochaines élections européennes.

Ne faudrait-il pas envisager des nouvelles formes démocratiques comme le tirage au sort ou les conférences citoyennes pour justement redonner un goût pour la démocratie au peuple ?

Christian Bidegaray : Ce sont des choses qu'on a connu à Athènes ! Et le cadre des jurys des cours d'assise est différent, même s'il s'agit en effet de faire son devoir de citoyen. Mais pour ce qui est du tirage au sort en démocratie, cela supposait à Athènes que tous ces braves citoyens vivent sur des esclaves. Ceux qui étaient tirés au sort pouvait s'occuper de la cité, mais les risques étaient considérables. Ils pouvaient être ostracisés, mis à mort, ruinés... En dehors de ce cas, nous en sommes revenus à la représentation, avec ce qu'elle a de négatif (la captation du pouvoir par un petit nombre) mais aussi de positif. La question est de démocratiser le petit nombre. Et cela passe pour moi moins par des réformes que par la question cruciale de la formation des élites.

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