Comment sauver la justice du divorce avec les Français… et d'elle-même ?<!-- --> | Atlantico.fr
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81% des Français trouvent la Justice trop laxiste selon un sondage CSA de 2022.
81% des Français trouvent la Justice trop laxiste selon un sondage CSA de 2022.
©France Bleu

Défiance

Emmanuel Macron est attendu ce vendredi à Bordeaux pour assister à la prestation de serment des élèves de l'École Nationale de la Magistrature.

Pierre-Marie Sève

Pierre-Marie Sève

Pierre-Marie Sève est délégué général de l'Institut pour la Justice. 

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Georges Fenech

Georges Fenech

Georges Fenech, ancien juge d'instruction, a présidé la commission d'enquête parlementaire consacrée aux attentats du 13 novembre 2015 et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Son dernier livre est intitulé "L'ensauvagement de la France : la responsabilité des juges et des politiques" (2023) aux éditions du Rocher.

Il a déjà publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Gare aux gourous (2020), mais aussi "Face aux sectes : Politique, Justice, Etat" (1999) et "Criminels récidivistes : Peut-on les laisser sortir ?" (2007).

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Atlantico : Emmanuel Macron doit se rendre à l'Ecole Nationale de la Magistrature ce vendredi 8 février 2024. Dans quel contexte aura lieu cette rencontre, au juste, au regard du rapport que les Français entretiennent aujourd'hui avec la Justice ? Le divorce est-il réellement consommé ?

Georges Fenech : Il y a effectivement une crise de confiance des citoyens à l'égard de la justice. Ce phénomène ne date pas d'aujourd'hui mais il s'est aggravé ces dernières années. Le déplacement du chef de l'Etat à l'Ecole Nationale de la Magistrature est très symbolique. Les racines de cette crise de confiance prennent naissance précisément, selon moi, dans cette école que j'ai connue moi-même, que j'ai dénoncée à l'époque et que je continue de dénoncer aujourd'hui, comme étant un vivier d'une idéologie, qui est toujours à l’oeuvre, la culture de l'excuse. A travers ce biais idéologique, le criminel est considéré comme étant d'abord la première des victimes de nos discriminations sociales, ethniques etc. Cette école, même si elle a aussi des qualités bien sûr, a finalement abouti, via le syndicalisme qui a fait beaucoup d'entrisme au sein de cette institution, à formater des générations de juges imprégnés par cette culture inspirée du fameux sermon d'Oswald Baudot qui recommandait aux futurs magistrats d'être partiaux, d'être les défenseurs naturels du voleur contre la police et du plaideur contre la justice. Cela a conduit ces dernières années, en 2013 précisément, à la lamentable affaire dite du « Mur des cons » ou des magistrats ont épinglé sur un trombinoscope des prétendus ennemis de la justice, en tout cas de leur justice. Il y avait notamment les portraits de deux pères de famille dont les filles avaient été victimes de viol et d'assassinat, de Guy Georges notamment.

Comment voulez-vous qu'après cela les Français puissent encore croire en leur justice ? Cette école doit donc s'ouvrir sur le monde de la société civile. Je serais plutôt partisan de revenir au modèle qui existait avant l'école. Ce centre d'études judiciaires devrait être un tronc commun pour les futurs commissaires, juges et avocats pour casser ce corporatisme, ouvrir le monde de la justice à la société civile, que des gens d'expérience n'entrent pas dans ce noble métier pour en découdre avec la société et ne deviennent pas des révolutionnaires en robe. La société civile devrait être représentée par des gens d'expérience au sein du barreau, de la police, des professions juridiques, du monde de l'entreprise. Cela permettrait de refléter véritablement notre société. Une vraie réflexion doit être menée pour que cette école soit davantage ouverte. Les conclusions des états généraux de la justice évoquaient déjà cette piste il y a deux ans. Il n’y avait pas de référence à la politisation mais cela concernait la nécessité d'ouverture du corps judiciaire sur le monde, la société civile, comme dans les pays anglo-saxons.

Pour regagner la confiance des citoyens, il est important de dépolitiser la magistrature et de faire en sorte que cette école soit ouverte sur le monde extérieur.

Quels sont les griefs exacts que nourrissent les Français à l'encontre de la justice ? Dans quelle mesure les réponses apportées par l'institution (sur l'insécurité, notamment) entrent en opposition avec les attentes de tout ou partie de la population ?

Pierre-Marie Sève : Les Français attendent de la Justice qu'elle régule les comportements sociaux, qu'elle soit la boussole des comportements acceptables et ceux non-acceptables. In fine, le résultat devrait être le maintien de la criminalité à un niveau le plus bas possible. Malheureusement, comme chacun le constate, et comme le démontrent les statistiques, année après année, la Justice ne remplit pas cette mission. 81% des Français trouvent la Justice trop laxiste selon un sondage CSA de 2022. Un autre sondage pour le JDD avait démontré que moins de la moitié des Français ont confiance en la Justice. Ce sont des états de faits intolérables dans une démocratie digne de ce nom.

Georges Fenech : La justice et les Français demandent à ce que leur justice soit indépendante. Est-ce qu'on est indépendant lorsque l’on prône une idéologie ? Non. On est soumis à une idéologie. Il n’y a plus d’indépendance.

Les Français demandent à ce que la justice rende des décisions qui soient efficaces. Est-il possible de dire aujourd'hui que la réponse pénale est à la hauteur de ce que notre pays traverse aujourd'hui, avec une explosion de la délinquance et notamment de la violence ? Les Français vont répondre très majoritairement non. Souvenez-vous du slogan du syndicat de police : « Le problème de la police, c'est la justice ». Pourquoi ? Parce que la réponse pénale ne suit pas le travail de la police. Les Français attendent aussi que cette justice soit efficace quand elle prononce des peines et que ces condamnations soient effectivement exécutées. Or, elles ne le sont pas, peu ou prou. Il y a une forme de dévitalisation de la sanction et donc de perte de dissuasion pour les candidats à la récidive. Les Français attendent aussi que les juges et les procureurs soient aussi responsables. La question de la responsabilité des juges n'a jamais été véritablement abordée. Des décisions lourdes de conséquences sont prises par des magistrats dont la majorité travaillent en conscience. Mais une forte minorité, au mépris de la volonté du législateur et donc de la souveraineté du peuple, va rendre des décisions qui ne correspondent pas aux attentes des Français.

Les Français attendent une responsabilisation des juges, une dépolitisation des juges, une ouverture de la justice au nom de la société civile et une plus grande efficacité de la justice pénale.

Est-il encore possible de "sauver" la justice française ? Que dire, à cet égard, de la loi d'orientation et de programmation pour la justice 2023-2027 ?

Pierre-Marie Sève : La LOPJ a un intérêt principal, elle permet une croissance relative plus forte dans le budget de la Justice que pour les années précédentes. Mais le fait est que le gap à rattraper est colossal. Pensez que certains magistrats travaillent encore avec le logiciel Wordperfect, un concurrent de Microsoft Word 1995 ! Jusqu'à il y a très peu, l'essentiel des communications entre avocats et magistrats se faisait par fax. Et que dire enfin du nombre de magistrats, 4 à 5 fois plus faible en Français en ce qui concerne les parquetiers que chez nos voisins.

Il est toujours possible de sauver une institution, mais ce qu'il faut n'est pas une réformette, mais une véritable révolution pénale. Tout doit être changé, de la formation (de qualité, mais créant un esprit de corps néfaste) au statut des magistrats (comment tolérer le "Mur des cons" du Syndicat de la Magistrature) en passant par le code pénal, élaboré et voté au summum de l'idéologie laxiste en 1994) .

Georges Fenech : Le sujet central n’est pas au cœur des débats. Il y a bien une loi d'orientation et des moyens supplémentaires. Les derniers budgets de la justice, il faut le mettre au crédit de l'actuel Garde des sceaux, ont connu une augmentation vraiment significative.

Mais la question centrale n'est pas et ne peut pas se résoudre à la question des moyens.

La vraie orientation de la justice devrait être de sortir de son corporatisme, de son entre-soi, de ses préjugés, de ses idéologies qui ont fait tant de mal à notre institution et par voie de conséquence au pays.

Si vous triplez le nombre de policiers sur la voie publique mais que, dans la chaîne pénale, le maillon de la justice pénale dysfonctionne, tous ces moyens alimenteront un véritable tonneau des Danaïdes.

Il faut bien prendre conscience que c'est aussi et essentiellement la manière avec laquelle la justice est rendue. Qu'est-ce qu'un juge aujourd'hui ? Quelle est sa mission ? Est-ce faire de l'assistanat social ou s’agit-il de rendre la justice ? Le juge doit retourner dans ses prétoires, ne pas s'occuper des problèmes de société, ne pas se considérer comme un super éducateur ou une super assistante sociale. Il est là pour trancher les litiges, il est là pour prononcer des sanctions quand cela est nécessaire.

Nous avons cédé devant cette montée en puissance d'une frange importante de la magistrature, même si elle reste minoritaire, qui a confondu toutes ses missions.

L'exécutif actuel vous semble-t-il suffisamment solide pour répondre aux problèmes précédemment évoqués ?

Pierre-Marie Sève : Malheureusement, absolument pas. L'exécutif ne fait ni pire, ni mieux que tous les exécutifs depuis le années 1980 : les statistiques de la criminalité évoluent insensiblement à la hausse, sans qu'aucune des mesurettes votées ne permettent d'enrayer ces hausses. Pour être plus précis, Eric Dupond-Moretti, malgré ses déboires avec les magistrats, qui occasionne une méfiance plus que bienvenue à l'égard par exemple du Syndicat de la Magistrature, reste un avocat de la défense d'une culture de gauche. Il ne croit pas aux bienfaits de la prison ou de la punition, car il se place systématiquement du point de vue des accusés. Rappelez-vous sa première sortie publique en tant que ministre, à la prison de Fresnes où les détenus l'avaient applaudi à tout rompre.

De plus, à mon avis, l'essentiel du pouvoir dans la Ve République tient au chef de l'Etat. Celui-ci issu d'une élite urbaine socialiste, n'a strictement aucun avis sur les questions de sécurité qui ne l'intéressent visiblement pas. Lors de son débat avec Marine Le Pen en 2022, il n'avait abordé la question que du bout des lèvres en répétant les poncifs à la mode depuis 30 ans dans son milieu sociologique. je n'ai donc à peu près aucun espoir que les choses changent avant un changement de pouvoir exécutif.

Georges Fenech : L'exécutif, représenté par un garde des Sceaux, a entre ses mains l'avenir la place de la justice dans notre pays. Le Garde des Sceaux s'inscrit dans une filiation évidente, celle que je dénonce, qui est la filiation à toute la politique pénale impulsée par Elisabeth Guigou, Christiane Taubira, Nicole Belloubet.

Il n’y pas de rupture à attendre de la part de l'actuel Garde des sceaux qui ne reniera pas ses certitudes pour que la justice ait vraiment sa place et retrouve la confiance du pays.  Il faudra une rupture totale avec ce qui se fait actuellement. Il faudra une autre majorité, un autre garde des Sceaux, un autre président peut-être. Seule une forte impulsion politique pourra réellement changer les choses.

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