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Comment les baby-boomers débauchés ont élevé la génération la plus sage de l’histoire contemporaine
©Reuters Pictures

DAILY BEAST

Fêtards invétérés, les baby-boomers se montrent plus tolérants que leurs aînés à l’égard des drogues et de l’alcool. Contre toute attente, cette attitude libérale pourrait bien s’avérer payante en matière d’éducation et de prévention.

Jared Keller

Jared Keller

Jared Keller est journaliste pour The Daily Beast.

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Copyright The Daily Beast – Jared Keller (traduction par Julie Mangematin)

De nos jours, quelque chose ne tourne pas rond avec les enfants : selon une série d’enquêtes d’envergure menées tous les deux ans par le gouvernement américain, ils forment peut-être la génération la plus sage de l’histoire contemporaine.

De plus en plus, nos ados jurent de ne pas toucher à l’alcool, aux cigarettes, aux drogues comme le cannabis de synthèse, mais aussi aux antalgiques sous prescription, d’après la dernière enquête "Monitoring the future" (MFT) de l’Institut national des toxicomanies, menée sur plus de 50 000 élèves de 4ème, seconde et terminale. Quant à certaines substances illicites comme la cocaïne et l’héroïne, leur consommation a atteint un record historiquement bas depuis le lancement de l’enquête MFT en 1975 (la baisse des stéréotypes autour de la marijuana pourrait être responsable de sa popularité relativement stable malgré son déclin). La dernière enquête sur les conduites à risque des jeunes ("Youth Risk Behavior Survey", ou YRBS) montre que la consommation de cigarettes a atteint son plus bas niveau depuis 24 ans – 11% en 2015, après 28% en 1991. Les taux de rapports sexuels entre mineurs, de grossesses prématurées, de VIH et autres maladies sexuellement transmissibles ont également chuté, selon une enquête du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) qui a interrogé 16 000 élèves. Les enfants, apparemment, se portent bien.

Mais pourquoi ? Le bon sens populaire pourrait anticiper un phénomène inverse. Cette nouvelle génération construit ses repères sur les traces des parents baby-boomers, ces 76 millions d’Américains nés entre 1946 et 1964, vétérans de la révolution sexuelle et de la mode psychédélique des sixties et seventiesceux-là même qui ont inauguré la tendance des comportements à risque. Selon la SAMHSA (la Direction des services de santé mentale et de la prévention des toxicomanies aux USA), les baby-boomers, plus que toute autre génération, ont maintenu leur train de vie dévergondé à travers les années.

L’attitude des parents face à l’addiction n’y est pas pour rien. Des recherches suggèrent que les enfants de parents toxicomanes sont plus enclins à rencontrer des problèmes d’addiction – à la fois par mimétisme et par manque d’encadrement. Une récente étude longitudinale conduite entre 1994 et 2008 sur des adolescents confirme que les parents à l’attitude permissive tendent à engendrer des comportements autodestructeurs chez leurs enfants ; à l’inverse, les enfants de parents autoritaires auraient "40% moins de risques de boire jusqu’à l’ivresse, 38% moins de risques de pratiquer le "binge drinking", 39% moins de risques de fumer des cigarettes, et 43% moins de risques de consommer du cannabis".

Alors pourquoi les jeunes d’aujourd’hui résistent-ils à l’appel du binge drinking et des drogues illicites qui séduisaient tant leurs parents boomers ? Ce sont peut-être précisément les expériences de débauche des baby-boomers qui conduisent leurs enfants à éviter l’abus de drogues. Et ce n’est pas seulement par dégoût pour les histoires racontées par leurs parents pour les inciter à la prudence. Grâce à leur adhésion enthousiaste au modèle du "parent hélicoptère", aux modes de parentalité progressistes, cajoleurs et centrés sur l’estime de soi, les parents baby-boomers pourraient bien être mieux équipés pour intervenir de façon préventive (mais aussi en aval) pour vacciner leurs enfants contre les risques de l’abus de drogue.

Ces progrès s'expliquent en partie par notre meilleure compréhension du type d’interventions efficaces pour lutter contre la consommation de drogue. Dans les années 1980, la célèbre campagne de Nancy Reagan "Just Say No" ("Dites simplement non") a catalysé les préoccupations autour de l’usage de stupéfiants par les ados. Mais les approches uniquement basées sur l’abstinence ou la punition s’avéraient souvent inefficaces (par exemple, la présence d’un policier armé à chaque session DARE – "Drug Abuse Resistance Education", un programme de prévention tolérance zéro, ndlr). Les programmes centrés sur la menace disciplinaire"tu vas te faire arrêter, suspendu ou être étiqueté comme un criminel d’une façon ou d’une autre" dissuadent les jeunes de solliciter une aide de la part des figures d’autorité en perpétuant la stigmatisation des addictions, creusant alors un fossé entre les jeunes et leurs parents.

En 2014, une évaluation des programmes "Just Say No" par Scientific American a révélé que les programmes de prévention les plus efficaces mettent l’accent sur des interactions positives entre les éducateurs et les étudiants, afin de développer des compétences sociales et des normes comportementales pour aider les jeunes à résister à la pression sociale qui les pousse à expérimenter les stupéfiants. Le développement de compétences, parmi lesquelles la communication, la négociation et la définition d’objectifs, sont les outils essentiels à mobilier dans la lutte contre les toxicomanies, selon le docteur Stephanie Zaza, directrice au CDC de la division des adolescents et de la santé à l’école (DASH) qui supervise la YRBS. "Quand les étudiants sont confrontés à un environnement qui regorge de tentations, ils doivent être capables de poser des questions, de tout mettre à plat par la discussion, et de s’affirmer", explique-t-elle.

Autrement dit, le même élan qui a inspiré la rébellion enthousiaste des baby-boomers – le désire de mettre à bas les traditions et les institutions trop strictes de leurs parents – a aussi provoqué un tournant dans les modes d’éducation. Les baby-boomers ont intégré leur point de vue plutôt permissif sur l’alcool et la drogue dans un mode de parentalité moins autoritaire que celui qu’ils connurent eux-mêmes enfants. Des démarches plus constructives (pensez à "parler de drogue à vos enfants") ont émergé comme méthodes de prédilection. Elles ont été largement embrassées par des boomers ouverts d’esprit, dotés d’une expérience de première main des comportements à risque qu’ils souhaitent prévenir. Après tout, les boomers ont toujours été "moins moralisateurs à l'égard de la drogue" et plus prompts à blâmer la société pour leurs maux que leurs parents, comme l’a souligné le sociologue Robert Putnam en 2001 : la consommation de drogue est un problème à résoudre, pas un comportement à punir. Les parents boomers tendent à s’inquiéter davantage du harcèlement scolaire et de la dépression que de l’abus de drogues, à en croire les données recueillies par le centre de recherche Pew en 2015.

Ce changement d’approche semble porter ses fruits : en 2010, une étude longitudinale des pratiques parentales sur trois générations (les enfants de la génération X et les millennials, leurs parents boomers et leurs grands-parents de la "génération grandiose"), publiée dans Developmental Psychology, a montré que la discipline stricte et la surveillance autoritaire que les boomers ont subies tendent à catalyser des comportements externalisants comme "un mauvais contrôle des pulsions et un comportement oppositionnel, agressif, ou délinquant". Quand cette discipline stricte est reproduite par les baby-boomers, elle favorise les conduites à risque chez leurs enfants. Mais la génération du baby-boom, par contraste, a aussi investi d’autres formes de contrôle parental (l’observation, les conversations franches, etc.) qui n’ont pas les mêmes conséquences délétères. Ces interventions plus délicates ont un effet médiateur entre les baby-boomers et leurs enfants, créant un type de rapports unique, absent de la relation entre les baby-boomers et leurs parents.

Chez les baby-boomers, le "contrôle parental" prend la forme de l’ouverture et de la confiance, une propension à nouer le dialogue avec leurs enfants plutôt qu’à se contenter de les discipliner ou les aliéner avec des programmes autoritaires tels que DARE ou autres Scared Straight (programme de réhabilitation des jeunes délinquants, ndlr). Selon une étude emblématique menée par la psychologue Diana Baumrind à UC Berkeley (publiées dans The Journal of Early Adolescence en 1991), c’est cet équilibre entre une attitude exigeante (centrée sur la discipline et le contrôle) et une attitude réceptive (encouragent l’individualité et l’autorégulation) qui détourne les jeunes de la consommation de drogue tout en les dotant des compétences sociales efficaces pour éviter les comportements à risque en l’absence de supervision parentale constante. Cette démarche est souvent disqualifiée comme relevant d’une parentalité hélicoptère intrusive ou d’une condescendance débilitante. Pourtant, ce style s’accompagne aussi d’un fort niveau d’empathie, d’une ouverture d’esprit, et d’une implication qui aident les enfants à comprendre et intégrer les conséquences de l’abus de drogues.

"Ce que le CDC sait du rôle des parents et de l’école est simple : plus vous discutez de ces problématiques avec les enfants, moins ils ont tendance à sauter le pas", résume le docteur Zaza.

Il faut plus qu’un simple bad trip au collège (ou alors un vraiment, vraiment gros bad trip) pour inciter les parents à revoir leur façon de communiquer avec leurs enfants à propos des substances illicites. Les attentes ambitieuses de réussite sociale nourries par les parents boomers aident certainement à maintenir leur progéniture à l’écart des addictions. Selon SAMHSA, la crainte de décevoir ses parents constituerait un facteur dissuasif de plus en plus fréquent. En revanche, les parents qui se montrent soit moins exigeants (les parents permissifs) ou moins à l’écoute (les parents autoritaires) seraient moins à même de protéger leurs enfants contre les drogues. Enfin, par le recours à l’intervention des paires, plus proches des jeunes que les figures d’autorité, les parents améliorent leurs chances d’offrir à leurs enfants les compétences sociales décisives pour éviter les problèmes de drogue.

Bien sûr, tous les parents baby-boomers ne sont pas naturellement équipés pour intervenir auprès de leurs ados simplement parce qu’ils auraient fumé quelques joints à Woodstock. Ironiquement, une étude de 2001 a révélé que 94% des parents affirment avoir discuté des conséquences de la consommation de drogue avec leurs enfants, tandis que 39% de leurs ados déclaraient que ces conversations n’avaient jamais eu lieu. Une trop grande indulgence peut aussi devenir un sérieux problème : un manque de limites et de règles chez un parent trop permissif peut accroitre le risque d’un abus de drogue ou d’alcool. De quoi nous rappeler que "laisser les enfants boire dans un environnement sûr", comme à la maison, n’est probablement pas la meilleure idée.

Mais, pour les enfants d’aujourd’hui, discuter avec leurs parents qui furent autrefois fous et sauvages pourrait être la meilleure thérapie dans la lutte contre la toxicomanie. En grandissant, je savais que, quoi que j’expérimente en matière de drogue et d’alcool, je pouvais toujours me tourner vers mes propres parents baby-boomers pour trouver de l’aide et du soutien si j’avais des ennuis. Un accord tacite qui, d’une certaine façon, a été le socle de notre relation durant mes turbulentes années d’adolescence. Je savais qu’ils pourraient réellement comprendre de quoi je parlais. Bien que les baby-boomers aient leurs propres problèmes avec les substances illicites, ils possèdent, plus que toute autre génération précédente, l’expérience et la compassion utiles pour aider les futures générations à se préparer au dangereux monde de drogues et d’alcool qui les attend. Les boomers ont peut-être traversé un trip long et étrange, mais il n’a pas besoin de durer éternellement.

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