Comment le management des start-ups de la Silicon Valley s’inspire de Toussaint Louverture, le général haïtien qui débauchait les officiers de Napoléon<!-- --> | Atlantico.fr
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Toussaint Louverture.
Toussaint Louverture.
©DR

Vieilles recettes

L'histoire de la révolution haïtienne peut apprendre beaucoup aux PDG, encore aujourd'hui. En tous les cas selon l'un des gourous les plus respectés de la Silicon Valley, Ben Horowitz.

Ben Horowitz est un gourou de la Silicon Valley. Son histoire d'entrepreneur est légendaire : co-fondateur et PDG de Loudcloud, entreprise fondée au sommet de la bulle internet et étripée par les marchés après l'éclatement de la bulle, il réinvente la société, la renomme Opsware et obtient finalement un rachat par HP pour 1,5 milliards de dollars—une des très très rares victimes de l'éclatement de la bulle internet ayant survécu. Ensuite, il devient le "Horowitz" d'Andreessen Horowitz, un des fonds de capital-risque les plus réputés de la Silicon Valley, et devient connu pour son blog, où il dispense des conseils de managements appréciés autant pour leur technicité que leur intelligence, et qui mène ensuite à l'écriture d'un best seller sur le métier de PDG, The Hard Thing About Hard Things.

Un seul concept de management — mais un concept important

Invité à donner une conférence à Stanford sur le métier de PDG, il choisit de parler d'un seul concept de management — "celui que je vois les PDG rater le plus souvent", à la fois chez les PDG débutants et les expérimentés. "C'est ce qu'il y a le plus facile à dire et le plus difficile à maîtriser."

De quoi s'agit-il ?

"Quand vous faites une décision critique, vous devez comprendre comment cette décision sera interprétée du point de vue de chaque personne et son impact sur l'union des points de vue individuels — c'est-à-dire votre culture d'entreprise."

Donner une augmentation ? Ce n'est pas si simple…

Horowitz prend l'exemple d'un très bon employé qui demande une augmentation. Voyons du point de vue du PDG : celui-ci veut retenir un bon employé ; l'employé a fait du bon travail donc c'est "juste" ; l'employé sera reconnaissant si on l'augmente et tout le monde veut être apprécié, même les PDG. Voyons du point de vue de l'employé : la décision de demander une augmentation n'est jamais anodine ; l'employé a sans doute évalué son prix sur le marché du travail, peut être cherché ailleurs ; sans doute que le conjoint est impliqué dans la décision de demander cette augmentation ; celui-ci sera très heureux si l'augmentation est accordée.

Alors, où est le problème ?

Le problème, c'est toutes les autres personnes. Une augmentation n'est jamais confidentielle, ou ne le reste jamais. Les collègues de l'employé penseront des choses comme : "Pourquoi lui et pas moi ?" ; "J'ai mieux travaillé que lui [forcément], donc ce n'est pas juste." ; "Qui ne demande rien n'a rien."

La conséquence très involontaire d'une telle décision sur la culture de l'entreprise, selon Horowitz : "Chaque employé va penser qu'il a une obligation morale envers sa famille de demander une augmentation." La culture de l'entreprise dégénère dans la politique.

Le seul moyen d'éviter ce problème, selon Horowitz : mettre en place un processus formel d'évaluation qui prend en compte tous les feedbacks afin d'attribuer les augmentations. Comme cela, le PDG peut répondre à son employé : "J'entends ce que tu dis, et je le prendrai en compte lors de ton évaluation."

On le voit, le fait de ne pas avoir pris en compte le point de vue de toutes les personnes directement ou indirectement affectées par la décision peut avoir des conséquences négatives inattendues, et c'est une attention à garder tous les instants.

Un exemple un peu…inhabituel

L'exemple de dirigeant que Ben Horowitz choisit pour illustrer le plus cette qualité n'est pas Steve Jobs ou Bill Gates ou un autre titan de la Silicon Valley. Il s'agit de… Toussaint Louverture, un des leaders de la révolution haïtienne, chef politique et militaire brillant.

Toussaint Louverture est né esclave à Haïti (à l'époque Saint-Domingue), dans un des lieux où la pratique de l'esclavage est la plus brutale, l'exploitation de la canne à sucre étant une tâche particulièrement difficile. Les punitions envers les esclaves sont de plus particulièrement violentes : on interrompait le fouet pour frotter du sel et du poivre dans les plaies afin de les rendre plus douloureuses, et l'amputation était fréquemment pratiquée, y compris des parties génitales.

Selon Horowitz, Toussaint Louverture, qui s'est éduqué grâce à la bibliothèque de son maître, a une véritable vision : non seulement mettre fin à l'esclavage, mais faire de Haïti un pays de premier rang et une vraie puissance économique. Abreuvé de culture occidentale, il considérait la culture haïtienne inférieure à la culture blanche, et la culture des esclaves encore plus, et voulait y remédier. Il voulait faire de son armée non seulement une armée mais le ferment d'une nouvelle nation. Ainsi, non seulement il interdit à ses troupes le pillage et le viol, déjà mieux que les troupes européennes du XVIIIème siècle, mais il interdit même à ses officiers l'adultère. L'armée devant représenter la future élite de la nation, elle devait avoir une morale irréprochable.

Pour cette même raison, chose inédite, il recrutait les officiers étrangers capturés. Selon Horowitz, ceux-ci étaient parfois tellement stupéfaits que cet esclave révolté ne les massacre pas, et tel était son charisme, qu'ils en retournaient leur veste.

Mais Toussaint ne voulait pas simplement remporter sa révolte, mais faire de Haïti une grande puissance économique. Pour cela, il fallait prendre en compte les points de vue de tout le monde. Que voulaient les esclaves ? En majorité, leur objectif était très simple : massacrer les propriétaires qui les avaient tant maltraités, et prendre leurs biens pour eux. Mais Toussaint se rendait bien compte qu'il aurait besoin de l'expertise des propriétaires pour favoriser l'industrie de la canne à sucre cruciale pour l'économie haïtienne. Le point de vue des propriétaires, lui, est très concret : les esclaves représentent pour eux un investissement, sans esclavage leur modèle économique ne fonctionne pas, et ils ont une expertise clé pour l'avenir du pays. La solution de Toussaint : les propriétaires peuvent garder leurs exploitations ; les esclaves sont libérés et les propriétaires doivent payer un salaire à leurs ouvrier — mais il baisse les impôts des propriétaires afin qu'ils puissent maintenir leurs opérations rentables.

Et Horowitz d'insister sur la maturité et la longueur de vue qu'il a fallu à Toussaint — un esclave révolté — pour avoir autorisé les propriétaires à garder leurs terrains, et même leur avoir baissé leurs impôts, pour l'intérêt général, plutôt que d'avoir tiré une vengeance si facile et compréhensible.

Il souligne donc cet exemple, lui-même inspiré de La Guerre des Gaules de Jules César que Toussaint avait lu dans la bibliothèque de son maître. Au final, Toussaint aura mené la seule révolte d'esclaves de toute l'histoire qui aura réussi, aura vaincu militairement Napoléon et, en autorisant les propriétaires à garder leurs terrains, aura fait qu'Haïti à son époque avait une économie florissante — ses exportations comptant plus que celles des Etats-Unis à la même époque.

Pour tout dirigeant, donc, il est absolument clé de prendre en compte le point de vue de tous les acteurs qui sont affectés, directement ou indirectement, par une décision.

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