Comment le FN va maintenant devoir gérer l’intégration de ses élus nouveaux venus en politique<!-- --> | Atlantico.fr
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Steeve Briois.
Steeve Briois.
©Reuters

Baptême du feu

Le Front national est désormais à la tête de onze mairies. Une nouveauté pour le parti frontiste, peu habitué à l'exercice du pouvoir. Marine Le Pen a déjà convoqué ses troupes élues pour donner ses directives. Il en va de sa crédibilité politique pour les prochaines échéances électorales.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Le Front national a remporté 11 mairies aux dernières municipales, il n'en demeure pas moins un parti relativement "jeune" dans l'expérience de l'exercice du pouvoir. Quels seront les défis qu'il va lui falloir surmonter pour éviter les différents obstacles que pourraient rencontrer ses élus ?

Jean Petaux : Ce n’est pas qu’il est "jeune" dans l’expérience de l’exercice du pouvoir c’est qu’il est totalement inexpérimenté… Pour rester dans la métaphore générationnelle ce n’est même pas un jeune apprenti en la matière. Le FN a connu la gestion municipale en 1995 et, accessoirement, par le biais de coalitions "honteuses", quelques vice-présidences de Conseils régionaux entre 1998 et 2004 (Bourgogne, Languedoc-Roussillon et Picardie). Dans tous les cas ça c’est plutôt mal passé et mal terminé. C’est même sur cette question de la gestion municipale (entre autre) que s’est structurée et constituée la rupture entre Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret. Les obstacles sont effectivement nombreux non seulement sur le chemin des nouveaux élus frontistes mais également dans l’ordre des relations à venir entre la direction centrale du parti "Mariniste" et ces nouvelles équipes municipales nouvellement élues. La tendance, propre à toute organisation politique en France, est celle de l’autonomisation des élus par rapport au parti dont ils sont membres. Ce fut même le cas au sein du PCF à la grande époque du "centralisme bureaucratique" où, pourtant, la "place du Colonel Fabien" - le "centre" - tenait d’une main ferme tous les élus communistes et apparentés. Cela tient essentiellement à la faiblesse organisationnelle des partis politiques français. Très vite les élus, en situation de dirigeants de collectivités territoriales, "s’établissent à leur compte" en quelque sorte. Comme s’il demeurait dans le système politique français un vieux fond de tradition féodale avec des "domaines politiques et électoraux" presque privatisés par les élus. Cela veut dire que Marine Le Pen aura intérêt à "flanquer" ses élus municipaux si elle ne veut pas les voir se structurer contre elle. De ce point de vue il va être intéressant d’observer le comportement à plus ou moins long terme de Steve Briois, nouveau maire d’Hénin-Beaumont, secrétaire général du FN, donc numéro 2 du parti derrière Marine Le Pen. Va-t-il chercher à s’affranchir de la tutelle de sa présidente ou au contraire demeurer un fidèle second ? Autre obstacle qui se dresse sur la nouvelle route des 11 équipes municipales FN ou apparentées : une situation des finances locales proche du blocage systémique. Dans les années 70, les mairies PCF de la banlieue rouge parisienne envoyait systématiquement à la tutelle préfectorale (qui s’exerçait alors a priori) leurs budgets en déficit. Elles se faisaient automatiquement et tout aussi systématiquement "redresser" leur budget par la Préfecture. Les maires communistes avaient alors beau jeu de s’adresser à leurs électeurs en clamant haut et fort : "Nous aurions bien souhaité appliquer la gratuité pour tous à la cantine scolaire ou à la crèche municipale, nous avions prévu de mettre ça au budget, mais le vilain pouvoir capitaliste et réactionnaire giscardo-chiraquien représenté par le Préfet n’a pas voulu". Manière de "refiler" la "pomme de terre chaude" à l’État et à son représentant. Les élus frontistes vont sans doute vouloir faire pareil (on peut bien imaginer Robert Meynard dans ce rôle à Béziers), sauf qu’aujourd’hui cela n’a plus grand sens… Les marges de manœuvre sont quasi-nulles. Alors il va rester la différenciation symbolique, sur les menus des cantines scolaires par exemple. Mais là encore il existe des textes juridiques qui ne permettent pas de faire n’importe quoi en matière de défense de certains droits… Les choses ont considérablement évolué entre la situation existant il y a près de 20 ans (1995) et aujourd’hui et les lois "protectrices" des droits sont plus nombreuses désormais. Autrement dit le principal obstacle qui se dresse peut-être sur la route des nouvelles équipes FN c’est celui consistant à ne pas pouvoir mettre en œuvre leur programme… Avec toutes les conséquences très rapides qui vont en découler dans un électorat qui va vite avoir le sentiment de s’être fait flouer.

Est-ce que cette "jeunesse" que connait le Front national témoigne d'une culture politique relativement moins développée que celles d'autres grandes formations politiques plus rodées au pouvoir ? Quelles pourraient en être les conséquences pour les élus, concrètement ?

Ils ne sont pas tous logés à la même enseigne me semble-t-il. Hénin-Beaumont, Fréjus et Hayange sont dirigées par des élus jeunes certes mais avec un vrai "bagage politique" même s’ils n’ont jamais gouverné. Ils se sont "frottés" au combat politique (ou syndical pour Hayange…) depuis plusieurs années désormais. Béziers est dans une autre situation… Je ne suis pas certain que la direction d’une association prônant la liberté de la presse dans le monde soit réellement une bonne propédeutique pour diriger une ville, pas plus que d’avoir été chroniqueur sur une chaine de télévision du Golfe persique puis éditorialiste à la radio ou dans une chaine d’information continue… Même si la pratique de la rhétorique artificiellement polémique peut souvent permettre de justifier ses actes et surtout ses manques. Les conséquences du déficit de culture politique pour les autres élus ne me semblent pas déterminantes. D’une part on peut imaginer que la direction nationale du FN va faire en sorte d’accompagner ces nouvelles équipes élues à la faveur des municipales de mars en les encadrant en quelque sorte. D’autre part il va y avoir une recherche de cadres administratifs susceptibles de soutenir sur le terrain ces "bizuts" plus ou moins novices. Il risque d’y avoir un peu de flottement dans le recrutement de ces nouveaux cadres territoriaux "marino-compatibles". D’ores et déjà les organisations syndicales nationales de la Fonction publique territoriale ont fait part de leur grande vigilance à l’égard d’une "épuration" au sein des administrations municipales des villes conquises par le FN. Le puissant Syndicat national des Directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT) ne laissera rien passer à ce niveau si jamais devait s’amorcer un limogeage brutal de ces hauts responsables des services administratifs et/ou techniques dans ces mairies.

Sur ces 11 élus frontistes, huit se sont rendus au siège du FN pour y recevoir des consignes. Dans quelle mesure cela témoigne-t-il d'une volonté de gérer le niveau municipal au travers du national ? Que faut-il en traduire ?

Cela ne me paraît absolument pas aberrant. Ces élus l’ont bien été parce qu’ils portaient une étiquette politique et pas sur leur bonne mine… Il est donc tout à fait dans l’ordre politique des choses qu’ils soient non seulement en contact avec la formation partisane à laquelle ils adhèrent et qui les a, en quelque sorte, "sponsorisés" mais qu’ils trouvent aussi auprès d’elle les soutiens que j’ai évoqués dans ma réponse précédente. Toutes les formations politiques, avec plus ou moins de constance et de sérieux, ont mis en place une organisation nationale d’élus adhérents ou apparentés au parti. J’ai consacré il y a longtemps un article publié dans "Politix" à ces fédérations d’élus que j’ai appelées "L’école des maires". Mais pour logiques que soient ces relations, elles n’empêcheront pas l’autonomisation presque inévitable des élus par rapport à la direction centrale du FN. L’autonomisation d’abord, prélude à la séparation ensuite. Comme cela s’est passé avec Jacques Bompard, l’un des trois maires FN élus en 1995 (à Orange) qui va quitter le parti frontiste en 2005 pour le Mouvement pour la France avant de fonder en 2010 son "micro-parti", la "Ligue du Sud", bel exemple d’établissement à son compte dans sa propre TPEP (Très Petite Entreprise Politique) qui a conservé d’ailleurs des liens avec l’ancienne "maison mère", le FN.

Finalement, pendant ce mandat, quelle devrait-être la plus grosse problématique des élus FN ? Marine Le Pen déclarait avant les municipales qu'il s'agirait d'une "bataille de la crédibilité". Quel est le chemin qu'il reste à parcourir aujourd'hui ?

Elle a parfaitement raison, vu de sa position. Elle me semble trop avisée en politique pour ne pas avoir parfaitement compris le risque qu’encourt sa formation à quitter la position confortable du "parti tribunitien" pour se mettre "les mains dans le cambouis". C’est donc non seulement la crédibilité qui est en jeu mais aussi la capacité à survivre politiquement comme ilots (villages non pas "gaulois" mais "frontistes") au milieu d’intercommunalités majoritairement hostiles, de Conseils départementaux adversaires et de Conseils régionaux par définition opposés. Ce statut de "seul" contre tous peut être gratifiant, il peut servir un discours justifiant l’inefficacité dans la résolution des drames individuels qui seront portés à la connaissance de ces élus FN… Mais cela ne suffira pas dans la durée. Au final, le risque c’est que l’électeur qui a voté FN en adhérant réellement à la promesse de changement que le FN représentait à ses yeux, constate l’inanité de ses espérances. Julien Sanchez, le nouveau maire FN de Beaucaire (Gard), aura beau expliquer qu’il n’a le soutien d’aucune collectivité territoriale et de l’Etat, c’est bien lui que les chômeurs de sa commune aura en face à face. Et c’est à lui que sera adressée la facture électorale de son impuissance à réduire substantiellement le taux de chômage dans sa ville en 2020. Pour ce qui est du chemin qui reste à parcourir pour le FN en matière d’élections territoriales on peut dire qu’il est très long. Il faudrait déjà que ce parti présente des listes dans toutes les villes de France de plus de 10.000 habitants (et pas dans une sur deux comme en mars dernier), qu’il structure toutes ces fédérations départementales, que les listes présentées ne soient plus comme cela l’a été trop souvent des "listes familiales" où on comptait de véritables parentèles dans le seul but de compléter et "boucler" les listes… En d’autres termes : il faudrait que le Front National devienne un vrai parti politique tel qu’on l’entend en science politique (La Palombara et Wiener). C’est loin d’être le cas aujourd’hui.

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