Comment la théorie du complot s’est immiscée dans l’affaire Curtis - Elisa Pilarski<!-- --> | Atlantico.fr
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Matthias Tesson et Olivier Darrioumerle publient « Un chien L’affaire Curtis-Pilarski » aux éditions du Cherche Midi
Matthias Tesson et Olivier Darrioumerle publient « Un chien L’affaire Curtis-Pilarski » aux éditions du Cherche Midi
©Capture d'écran DR

Bonnes feuilles

Matthias Tesson et Olivier Darrioumerle publient « Un chien L’affaire Curtis-Pilarski » aux éditions du Cherche Midi. En novembre 2019, une femme enceinte est retrouvée morte dans une forêt de l’Aisne, déchiquetée par des morsures animales. Soit Elisa Pilarski a été tuée par le chien Curtis dont elle avait la garde, soit les morsures ont été causées par la meute d’une chasse à courre. Extrait 2/2.

Olivier  Darrioumerle

Olivier Darrioumerle

Olivier Darrioumerle est journaliste à Sud-Ouest et romancier.

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Matthias Tesson

Matthias Tesson

Matthias Tesson est journaliste police-justice à BFM TV. Chargé de l’affaire Curtis-Pilarski, il fut au plus près des acteurs et de l’instruction.

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« Les gens essaient toujours de remplir l’anxiété », explique Pascal Wagner-Egger, de l’université de Fribourg (Suisse). Les rumeurs et les croyances ont toute leur place dans l’affaire Pilarski. Cet enseignant-chercheur en psychologie sociale et statistique a commencé à les étudier, en décembre 2003, en découvrant la version alternative de la mission Apollo 11 de 1969 dans un numéro du magazine Geo consacré à la Lune. Fasciné par le raisonnement qui consiste à dire « tout est faux », Pascal Wagner-Egger a travaillé pendant vingt ans à la rédaction d’un livre, paru en mai 2021 aux Presses universitaires de Grenoble : Psychologie des croyances aux théories du complot. Pour lui, « le confinement a été un incubateur à crédulité ». En cause : le recours massif à Internet et aux réseaux sociaux. Le trafic Internet a augmenté globalement de 30 % en France au mois d’avril 2020. Quant aux réseaux sociaux, ils ont bénéficié d’une augmentation de 121 % au mois de mars et de 155 % en avril. « Les théories du complot surgissent lors d’épisodes d’anxiété collective : tout le monde accuse tout le monde, comme durant le procès des sorcières de Salem », poursuit Pascal Wagner-Egger.

Dans l’affaire  Pilarski, l’émotion est à son comble. « Un cerf tué par les chasseurs, c’est très fort. Une femme enceinte dévorée par une meute, c’est le maximum. Quand Curtis risque d’être euthanasié, les réseaux sociaux oublient la victime pour dire : sauvez au moins le chien, il est innocent ! En Suisse, dans une affaire similaire, les parents ne voulaient plus faire condamner le maître du chien tueur, préférant les vivants à la justice. Un raisonnement typiquement émotionnel. L’antispécisme, courant de pensée animaliste des années soixante-dix, se présente comme une ultra-sensibilité à la souffrance animale qui peut déclencher un sentiment de détestation de l’humain.  Nous sommes devenus plus sensibles à toutes les formes de souffrance : c’est un mouvement positif. Mais négliger la mort d’une femme, c’est grave. »

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Les recherches montrent que les extrêmes sont particulièrement attirés par le complotisme. « Ils veulent changer le système, ils utilisent tout ce qu’ils peuvent, même les accusations de pédophilie, c’est stratégique  : tant que ça montre que le système est pourri », explique Pascal  Wagner-Egger. La théorie du complot porte des accusations graves, sans preuves suffisantes : une méthode très pratique en temps de guerre. Les preuves ne sont plus nécessaires. « Pour tenter d’abolir la chasse à courre, les mouvements antispécistes se servent d’un fond de vérité : les riches ont le pouvoir de défendre leur pratique.

Ce  fond de vérité suffit, même s’ils n’ont pas tué cette femme, pour affirmer : les riches conspirent. »

Le complotiste, toujours, exagère. Dire « un chien ne mange jamais sa maîtresse » n’est pas une preuve, mais « une donnée erratique », selon le chercheur suisse. « Pourquoi une trentaine de chiens n’ont-ils pas été ana[1]lysés ? »  : le gendarme participait à la chasse à courre. Les chiens manquants ont été enterrés. Les preuves ont disparu. En revanche, la bêtise, l’étourderie, l’erreur de comptage sont exclues.

« Toutes les erreurs, de la justice française à la CIA, sont les causes de nouvelles données erratiques », explique le chercheur. La théorie du complot fonctionne ainsi : un déferlement de coïncidences et de prétendues preuves. Une avalanche de scoops qui crée un effet de sidération : on ne sait plus quelles informations sont correctes. Les enquêteurs du Net accumulent ainsi des « données erratiques » qui sont d’apparentes anomalies dans la version officielle. Pour l’attentat du  11-Septembre, il existe un millier de feuillets argumentatifs, mais aucune véritable preuve.

C’est l’attrait narratif de la théorie du complot qui donne un coupable idéal, comme au cinéma. Les méchants chasseurs contre l’innocente victime. Tout cela complique l’affaire. Seule la justice, l’enquête ou « la moins mauvaise forme de  connaissance » peut aider à l’éclaircir. « Celui qui a trouvé des éléments doit pouvoir les porter devant le tribunal, qui jugera si les preuves sont suffisantes ou pas. Là, ce n’est plus du complot. Mais le fait de penser que la chasse à courre est protégée par le pouvoir politique insinue qu’ils seraient tous d’accord entre eux pour innocenter une race de chiens. Et si la version ne satisfait pas, les complotistes extrêmes répondront que le pouvoir judiciaire fait aussi partie du complot. » Comme dans toutes les croyances extrêmes, les complotistes ne peuvent plus changer d’avis, explique le chercheur. « Lorsque je les étudiais, certains pensaient que j’étais en mission commandée. Je leur répondais qu’il y avait deux possibilités : soit ils avaient raison et ils étaient des lanceurs d’alerte, soit ils avaient tort et ils étaient paranos. Moi, je connaissais la bonne réponse. »

Car il existe de vrais complots, comme le Watergate ou le Golden Holocaust, mis en lumière par des journalistes et argumentés par de vraies preuves directes, qui ont obligé Nixon ou les industriels du tabac à avouer leurs fautes. Il existe toujours des preuves, même lorsqu’un individu tente de les faire disparaître. Si l’enquête est rendue impossible, ce sont les journalistes qui doivent s’en plaindre. Toutes les théories peuvent être vraies, admet Pascal Wagner-Egger, mais il faut davantage que des coïncidences. Car les coïncidences fabriquent des croyances. On tire des conclusions rapides. On se contente de croire, croire trop vite. « Lorsqu’on pense à une personne qui nous appelle le jour même, la surprise suffit  : c’est for[1]cément une transmission de pensée ! Là aussi, on oublie toutes les fois où elle a appelé sans qu’on y pense, ou celles où elle ne nous a pas appelés alors qu’on y pensait. Les êtres humains utilisent souvent des biais cognitifs, par associations d’idées.  Pour un scientifique, ce niveau de preuve est nul. »

En conclusion, Pascal  Wagner-Egger rappelle qu’en matière de justice la présomption d’innocence oblige à prouver la culpabilité. Celui qui accuse a le fardeau de la preuve. De plus, le principe de Sagan exige « une preuve plus qu’ordinaire pour une affirmation extraordinaire ». Si un arc-en-ciel apparaît, ce n’est pas Dieu qui fait un signe, mais sûrement un phénomène plus simple. « La parcimonie des hypothèses est préférable à l’abondance des versions, jusqu’à obtenir une nouvelle preuve qui conduirait à des accusations plus graves ou des explications plus compliquées. » Une méthode valable partout, même sur les réseaux sociaux : une photo floue ne suffit pas à prouver l’existence des fantômes.

Extrait du livre de Matthias Tesson et Olivier Darrioumerle, « Un chien L’affaire Curtis-Pilarski », publié aux éditions du Cherche Midi

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