Comment la Chine compte tirer son épingle du jeu dans le conflit israélo-palestinien<!-- --> | Atlantico.fr
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Mahmoud Abbas et Xi Jinping à Ryad (Arabie Saoudite), le 8 décembre 2022
Mahmoud Abbas et Xi Jinping à Ryad (Arabie Saoudite), le 8 décembre 2022
©YAO DAWEI / XINHUA VIA AFP

Opportunités

Alors que le conflit entre Israël et le Hamas s’intensifie, un développement improbable est apparu : la Chine joue le rôle d’intermédiaire pour la paix.

Jean-François Di Meglio

Jean-François Di Meglio

Jean-François Di Meglio est président de l'institut de recherche Asia Centre.

Ancien élève de l'École normale supérieure et de l'Université de Pékin, il enseigne par ailleurs à l'IEP Lyon, à l'Ecole Centrale Paris, à HEC ParisTech, à l'École des Mines Paris Tech et à Lille I.

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Atlantico : Qu’est-ce que la Chine attend réellement de la guerre entre Israël et le Hamas ? Comment la Chine entend tirer son épingle du jeu dans le conflit actuel au Proche-Orient ? La Chine joue-t-elle concrètement le rôle d’intermédiaire pour la paix afin d’éviter une guerre régionale plus importante avec l’Iran, le Liban et l’Egypte ?

Jean-François Di Meglio : Il est probable que les acteurs chinois officiels comme souvent, a des attentes "en creux" plutôt que des souhaits précis, stratégiques, ciblés pour lesquels il s'agirait de construire une approche cohérente et coûteuse en efforts diplomatiques parfois mal récompensés, dans une région où la Chine est un arrivant relativement "nouveau". L'indéniable percée visible aura été, dans la suite du voyage très spectaculaire de Xi Jinping dans la péninsule arabique en décembre 2022, la réconciliation qui s'en est suivie, sans doute aussi grâce aux efforts d'autres acteurs arabes qui ont cru bon de donner à la Chine la "face" qu'elle attendait, entre l'Iran et l'Arabie Saoudite.
"En creux" le premier bénéfice de cette crise aiguë serait pour la Chine un nouvel abaissement de l'image et du rôle des Etats-Unis, dans cette zone où les Américains ont longtemps tiré beaucoup de ficelles. Un comportement israélien trop peu soucieux des recommandations américaines, une incapacité de Washington, y compris à la suite du voyage de Joe Biden dans la région, à se faire entendre de capitales arabes autrefois soucieuses de bénéficier d'un soutien toujours utile dans des situations conflictuelles toujours complexes où il est parfois difficile de savoir "à qui profitent les crimes", une irritation grandissante des candidats régionaux au ralliement en faveur du "Sud global", dont Pékin se veut le leader, seraient déjà des acquis significatifs, certainement attendus par les dirigeants chinois. Cela dit, même ces "externalités positives", telles que Pékin les verrait, son loin de se matérialiser. Au contraire, et malgré l'impossibilité pour Biden de rencontrer les leaders arabes dont il souhaitait se faire entendre, la présence américaine, renforcée par l'envoi d'éléments significatifs des forces navales en Méditerranée, contredit l'idée selon laquelle, moins dépendante des ressources pétrolières de la région, l'Amérique donnait une priorité exclusive à l'"Indo-Pacifique". Pour l'instant d'ailleurs, le voyage de Biden est loin d'être un fiasco. Il ouvre même la porte à un discours américain prônant l'accalmie voire un cessez-le-feu temporaire, maintenant que le soutien à Israël a pu être démontré de façon aussi spectaculaire. 
Les conséquences concrètes pour la Chine ne peuvent pour l'instant qu'être marginales. Si Pékin "tire son épingle du jeu" dans le conflit actuel, c'est éventuellement pour rallier quelques sympathies additionnelles auprès de populations préoccupées malgré tout du sort des Ouighours en Chine. La sympathie démontrée par le veto opposé par la Chine, aux côtés de la Russie et de l'Arabie, à une résolution de l'ONU condamnant les crimes du Hamas, la volonté chinoise de ne pas utiliser le qualificatif de "terroriste" (couramment appliqué à certains actes posés par les Ouighours au Xinjiang et de ne pas insister sur le nom de "Hamas" en privilégiant la référence à la Palestine, le scandale des cartes falsifiées même, officiellement à mettre au débit de "sociétés privées" comme Alibaba qui ont tout simplement effacé Israël des cartes de la région relève des ces bénéfices immédiats que la Chine peut espérer. Dans le long terme en revanche, ces étapes mineures peuvent certainement être mises à profit par la Chine dans le cadre d'une politique d'influence articulée au Moyen-Orient. Malgré l'identification par la politique étrangère chinoise de l'importance de cette région et l'intérêt de la Chine pour la Méditerranée orientale, il est encore trop tôt pour des bénéfices significatifs.
L'ancien ambassadeur chinois en France, Zhai Jun, arabophone, est un "envoyé spécial" dans la région. Si, effectivement un rôle d'intermédiaire était visé par la Chine, ce sont ses déplacements et ses actions qu'il faudrait suivre et évaluer. La fausse neutralité de la Chine rend cependant difficile un rôle d'intermédiaire pertinent, du moins en impliquant une influence sur Israël, même si des liens réels existent du fait de l'importance stratégique de ce pays dans le domaine des hautes technologies qui intéressent tant la Chine. C'est surtout avec le partenaire parfois difficilement contrôlable qu'est l'Iran que la Chine peut espérer se targuer d'un rôle effectif dans la limitation du conflit aux actuels territoires concernés.


Quelle est la position de la Chine vis-à-vis du conflit actuel entre Israël et le Hamas ? La Chine plaide-t-elle pour un cessez-le-feu ? La Chine est-elle favorable à une solution à deux Etats dans la région ? Pékin a-t-il des liens privilégiés avec certains acteurs de la région comme l’Iran ?  

A l'heure actuelle, la neutralité de la Chine est teintée par son incapacité à qualifier adéquatement ce qui s'est passé le 7 octobre et aucune proposition concrète de "cessez-le-feu" (assortie comme il se doit d'une panoplie de mesures donnant des garanties aux parties concernées et de recommandations humanitaires précises) ne peut être attribuée à la seule Chine. Naturellement, reconnaissant officiellement la souveraineté de l'état d'Israël et maintenant des liens privilégiés avec l'autorité palestinienne, la Chine se dit favorable à une solution à deux états. De façon générale, la région fournit plus de 50% des hydrocarbures à la Chine, qui en est le premier importateur mondial. L'Iran a, effectivement, longtemps été privilégié par la Chine, et a pu, avant des pays du Golfe, rejoindre en 2021 le "Shanghai Cooperation Organisation", après avoir été observateur. Mais le contrat gazier faramineux avec le Qatar en 2022 (pour 27 ans  !) a renforcé les liens avec ce pays. Pour le reste, il s'agit plus d'un "glissement progressif" et d'une influence grandissante, comme l'admission de l'Arabie au sein des "BRICS" lors du sommet de Johannesburg en 2023 l'a démontré, même si, officiellement, la Chine n'est pas le "chef de file" des BRICS

Quel peut-être le poids sur le plan diplomatique de Xi Jinping ou du ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi dans ce conflit ou auprès des autres acteurs clés comme les Etats-Unis ou le Qatar ?

Les principaux acteurs du jeu diplomatique international comptent désormais avec la Chine. D'autres "nouveaux entrants", comme la Turquie profitent aussi du tumulte actuel. Là où seuls des acteurs impliqués directement ou reconnus comme incontournables du fait de leur poids économique pouvaient jusqu'ici faire entendre leur voix, il est évident que la Chine est désormais légitime, outre son statut historique (1971) de membre permanent du Conseil de sécurité. Cela dit, cette légitimité ne s'accompagne pas d'une "doctrine" claire, sinon de formulations "en creux" et, pour l'instant, d'un farouche refus de prise de leadership.

La Chine peut-elle jouer un rôle dans le cadre de la libération des otages tout en poursuivant le dialogue avec les Etats-Unis ? 

Ce serait effectivement le meilleur gage que pourrait donner la Chine d'alignement de ses actes avec ses propos en faveur de l'apaisement et d'une communauté de destins partagés !

Lors d'une interview à la chaîne égyptienne Al-Balad, Khaled Mechaal, le leader du Hamas à l'étranger, a déclaré que la Russie et la Chine ont salué les attaques terroristes du 7 octobre menées en Israël. Selon Mechaal, "la Russie a profité (de l'attaque terroriste) parce que nous avons détourné l'attention des Américains d'eux et de l'Ukraine. Les Russes nous ont dit que ce qui s'est passé le 7 octobre serait enseigné dans les écoles militaires. Les Chinois ont même souligné que c'était un exemple et qu'ils prévoient de faire à Taïwan ce que nous avons fait le 7 octobre". La Chine peut-elle s’inspirer réellement du 7 octobre dans le cadre de sa stratégie vis-à-vis de Taïwan ? Faut-il craindre une nouvelle escalade de tensions en Asie entre Pékin et Taipei ? 

Il est évident que ces propos "n'engagent que cette personne", et que la transposition, y compris dans la logique chinoise actuelle, qui se drape dans ses revendications sur Taiwan de l'argument de la souveraineté légitime, bien éloignée des motivations du terrorisme palestinien, est impossible. Les complexités difficiles à déchiffrer dans la chaîne de commandement militaire après l'éviction récente du Ministre chinois de la défense et la recomposition de l'organigramme de ce Ministère éloignent probablement encore plus, au-delà des difficultés économiques persistantes de la Chine au plan domestique, la capacité et peut-être la détermination immédiate du pouvoir chinois en matière d'action agressive contre Taiwan.

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