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Il existe des Français qui n'ont jamais vu la mer
Il existe des Français qui n'ont jamais vu la mer
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Sur la plage abandonnée

La mer et l’océan, tout le monde n’a pas la chance d’y aller, et certains Français ne l’ont même jamais vue. Portrait de ceux pour qui l'horizon marin est encore un mystère.

Pierre  Chazaud

Pierre Chazaud

Pierre Chazaud est professeur des Universités à Lyon I. Il a notamment écrit Management du tourisme et des sports de pleine nature aux  Editions PUS – Voiron 2004). Son dernier ouvrage est bilingue français / anglais Itinéraire spirituel aux Editions Mandala Toulaud (2013).

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Atlantico : Certains Français n'ont pas la chance de partir en vacances cet été, et certains n'ont même jamais vu la mer. Avons-nous une idée de la proportion de personnes concernées en France ? Ce phénomène touche-t-il de moins en moins de personnes ?

Pierre Chazaud : Malgré la médiatisation croissante des vacances d’été ou d’hiver quiimpose  presque de façon feutrée une nouvelle organisation du temps libre des citoyens, une espèce de rythme collectif, la démocratisation des loisirs est loin d’être assurée en 2013 .

Je suis toujours un peu scandalisé quand lors des vacances d’été ou d’hiver, pendant des semaines, deux fois par jour, les actualisées télévisées sur les grandes chaînes publiques montrent la pratique des loisirs nautiques ou aquatiques en été ou l’activité du ski ou du surf en hiver comme une norme commune, une règle sociale universelle, accessible à tous. Or diverses statistiques datant de 2007 et de 2009  sont  d’accord  pour montrer   qu’un Français sur trois et un enfant sur quatre ne partent pas en vacances. 25 % en sont radicalement exclus dont beaucoup d'enfants de milieux populaires, notamment chez les ouvriers, les immigrés récents et dans les ménages monoparentaux.

Avec la crise économique actuelle, le modèle des vacances pour tous est réellement en panne. Pourtant le dispositif des chèques-vacances enregistre toujours un véritable succès auprès du public. En 2010, 3,4 millions de personnes ont bénéficié de ces chèques-vacances. L'ANCV est ainsi devenue un acteur incontournable pour lever les freins aux départs.

Quel est le profil sociologique de ces personnes ? Est-il homogène ? Comment a-t-il évolué au cours du temps ?

La raison principale de  ce non-départ en vacances est un manque de moyens. 37% des personnes privées de vacances disent qu'elles ne sont pas parties faute d'argent. Et alors que 90% des cadres ont pu s'octroyer des vacances en 2004, 48% des ouvriers sont restés chez eux. Depuis  2007 , les chiffres n’ont guère changé.

Selon l'Eurobaromètre, 37% des Français en 2010 ont mentionné cette raison, contre 41% des Européens. Le frein financier n'est cependant pas le seul, les raisons personnelles (santé, famille…) ont été invoquées par 23% des Français l'année dernière contre 10% pour le manque de temps. Selon  un rapport du Centre d'analyse stratégique , les Français sans diplômes sont les moins nombreux à s'offrir des vacances. Même constat en ce qui concerne les revenus. Le fait de gagner moins de 1500 euros par mois diminue par 2,2 la probabilité de partir.  Bien évidemment ce départ en vacances varie selon  les catégories socio-professionnelles : par exemple le taux de départ en vacances est de 38 % pour les agriculteurs 38%, de 67% pour les artisans et commerçants, 90 % pour les cadres et professions libérales

Pour  avoir des vacances enrichissantes, l’idéal est bien sur  de cumuler le capital financier et le capital culturel pour  reprendre un vieux constat du sociologue Bourdieu. Mais cela ne va pas de soi. Parfois  certains touristes aisés qui s’offrent des vacances marchandisées et normalisées à l’autre bout du monde n’échappent pas à une certaine pauvreté culturelle. J’ai souvent  fait l’expérience de demander à ces touristes de montrer quelques photos de ces fabuleux voyages exotiques vantés dans les magazines et les dépliants. C’est parfois d’une banalité à faire pleurer.

Les jeunes sont-ils plus touchés ?

Quelques associations caritatives proches du Parti communiste français ou du Secours catholique qui luttent contre la marchandisation des vacances tentent d’offrir par-ci, par-là aux enfants défavorisés, une sortie à la mer en juillet ou en août , souvent là encore très médiatisée. Mais pour  faire  un jeu de mot facile, c’est une goutte d’eau dans la mer tant les disparités sont criantes. Il  peut aussi exister une espèce d’enracinement dans le non-départ qui peut prédéterminer des enfants à ne pas partir lorsqu’ils seront adultes. En effet des statistiques assez pessimistes montrent que  33% des non-partants adultes ne sont jamais partis lorsqu’ils étaient enfants.

Comment assumer socialement le fait de n'avoir jamais vu la mer ? Est-ce compliqué pour un enfant ?

N’avoir  jamais vu la mer pour un enfant  ou un adulte relève presque d’une infirmité sociale, même si aujourd’hui on offre des placebos symboliques  à ces handicapés des vacances, grâce aux équipements sophistiqués du tourisme hors-sol qui par exemple reconstituent les vagues de la mer dans une piscine new look.

Faute d’aller à la mer ou à la montagne on tente de rapprocher les falaises en implantant des murs d’escalades en ville avec en arrière-fond  de superbes mises en scènes. Mais les enfants ne sont  pas dupes. J’ai été surpris un jour  que je prenais le tramway  à Grenoble, d’assister  à la projection en boucle d’une vidéo, où on présentait les résultats d’une enquête auprès des enfants sur le futur de leur  ville. Certains enfants interrogés qui n’étaient jamais allés dans le Vercors, tout proche, imaginaient qu‘un jour, ces montagnes devenues inaccessibles pour eux seraient mises sous cloche et qu’ils ne pourraient jamais y aller. Cette petite anecdote montre aussi une forme de désespérance chez certains enfants pauvres.

L’actuelle disparition progressive du tourisme social et militant, ainsi que le renforcement d’une certaine idéologie ultra-libérale seront  demain des  obstacles au départ des enfants en vacances .

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