Colère des agriculteurs : voilà pourquoi les mutuelles et les banques sont visées<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le début du mouvement d’exaspération actuelle est venu des Jeunes Agriculteurs", rappelle Antoine Jeandey.
"Le début du mouvement d’exaspération actuelle est venu des Jeunes Agriculteurs", rappelle Antoine Jeandey.
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Contestation

Cela passe sous les radars des analyses de la contestation agricole, alors que la liste devient impressionnante : au-delà des barrages routiers ou manifestations devant les préfectures, des actions ont ciblé plusieurs partenaires habituels des agriculteurs tels la MSA ou des banques... Mais que leur reproche-t-on au juste ?

Cela ne figure dans aucune revendication syndicale. Et, évidemment, dans aucune réponse gouvernementale, puisque la question n’est officiellement pas posée. Pourtant, les actions à l’encontre de sièges de la mutuelle des agriculteurs (la MSA), ou de banques, se sont multipliées en marge du mouvement des agriculteurs en colère.

Un ras-le-bol affiché contre la MSA

Le 5 décembre 2023, c’est la MSA d’Agen (Lot-et-Garonne) qui était visée. Dans la nuit du 24 au 25 janvier, des tonnes de lisier sont déversées devant le siège de la MSA à Saintes (Charente). Le 26 janvier, à Narbonne dans l’Aude, une MSA est incendiée. Le 1er février, manifestation devant le siège de la MSA de Chartres (Eure-et-Loir). Le 14 février, manifestation devant la MSA de Valence (Drôme), avec la pancarte lisible : « Les agriculteurs ne sont plus vos esclaves – Agriculture dans le rouge – Rendez l’argent volé aux agriculteurs ». Le 15 février, à Gap (Hautes-Alpes), un agriculteur menace sa MSA. Le 15 février encore, c’est à Limoges que des agriculteurs manifestent avec des revendications concernant la MSA et les banques... Et stop, j’arrête là une liste très loin d’être exhaustive. On l’aura compris, la MSA est dans le collimateur.

Première question, de qui précisément ? La majorité de ces manifestations ont des origines syndicales. Mais pas forcément du même syndicat. Le début du mouvement d’exaspération actuelle est venu des Jeunes Agriculteurs. C’est à eux que l’on doit les pancartes d’entrée dans les communes renversées avec comme premier slogan « on marche sur la tête ». Les JA ont, initié aussi certaines de ces manifestations à l’encontre de la MSA. Avec eux, bien sûr, leurs ainés de la Fnsea, peut-être davantage dans l’accompagnement que dans l’initiative. La Coordination rurale a également mené des opérations dans une zone géographique (le grand quart sud-ouest de la France) où elle est très présente. Et puis, les têtes ont parfois été dépassées par leurs bases... Ou par de nouveaux venus, des groupuscules auto-proclamés, comme ce mystérieux CAV, Comité d’action viticole, dont on trouve l’inscription sur les lieux d’une explosion dans un bâtiment vide de la DREAL (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, un organisme d’Etat) à Carcassonne (Aude). Les opérations les plus violentes, comme l’incendie de la MSA de Narbonne cité plus haut, viendraient d’indépendants, échappant donc au cadrage des organisateurs habituels des manifestations. Dans tous les cas, il ne fait guère de doute que toutes ces actions viennent d’agriculteurs, quel que soit leur attachement ou non à une étiquette syndicale.

D’où la question suivante : mais pourquoi la MSA, mutuelle au service des agriculteurs, devient-elle la cible de ceux pour qui elle est censée travailler ? La réponse, on la connait officiellement depuis l’enquête menée par le Sénat sur le mal-être des agriculteurs : les sénateurs avaient alors reçu plusieurs témoignages du terrain montrant combien l’organisme cultivait les missions paradoxales. Jouant son rôle de mutuelle d’un côté, avec des cellules organisées pour le secours aux agriculteurs en difficulté (financière, morale...), tout en envoyant des huissiers dans les fermes pour réclamer les cotisations impayées, comme s’il s’agissait d’un choix délibéré, alors que l’on sait que le revenu agricole n’a jamais été aussi bas pour au moins la moitié d’entre eux. Par ailleurs, le montant des cotisations est contesté, et la MSA est accusée (à tort ou à raison, je ne commente pas ici, j’informe des points de vue) de se rémunérer elle-même avant d’assurer ses missions.

L’unique endroit où l’on trouve une analyse avec un peu de recul du rôle ambigu de la MSA par rapport aux agriculteurs est le rapport sénatorial daté de mars 2021 sur le suicide des agriculteurs. On peut y lire notamment : « Plusieurs témoignages transmis aux rapporteurs concernaient des situations dans lesquelles l’agriculteur ayant mis fin à ses jours avait accumulé plusieurs milliers d’euros de cotisations sociales impayées, à destination de la MSA. Si plusieurs courriers de relance puis de mise en demeure leur ont été envoyés, les proches des victimes ont toutefois indiqué n’avoir pas eu de contact particulier avec les services de santé de la MSA. Cette situation résulte en réalité du fait qu'il n'existe pas d'information systématique du service santé et social par le service recouvrement d'une caisse MSA, y compris lorsque le montant d’impayés témoigne de grandes difficultés éprouvées par l’agriculteur. Il se peut donc que les travailleurs sociaux et autres médecins de la MSA restent ignorants d'une situation difficile vécue par un agriculteur, dès lors que la manifestation de ces difficultés reste essentiellement de nature financière. » Le problème est là, les reproches aussi. Entre les attributions administratives et financières d’une part, sociales et de santé d’autre part de la MSA, le problème n’a jamais été réglé.

Dernière question : pourquoi n’existe-t-il aucune revendication syndicale sur la MSA ? (et aucune demande d’intervention de l’Etat si besoin). Tout simplement car il n’existe aujourd’hui que le constat d’un dysfonctionnement, et encore, pas trop ébruité, puisque des agriculteurs sont présidents des caisses locales de la MSA, et qu’il ne faudrait pas se mettre soi-même en porte-à-faux. On n’en est absolument pas au stade de la réflexion sur ce qu’il faudrait faire. Exit la MSA et passer au régime général ? Réformer la MSA ? Oui, mais avec qui et comment, dans quelle direction... Rien n’est commencé, et encore moins abouti, qui permette d’identifier ce sur quoi il faudrait plancher. En attendant, quelque chose ne va pas, et cela se voit à travers nombre d’actions, qui pourraient d’ailleurs se prolonger jusqu’au stand de la mutuelle au Salon de l’agriculture.

Et pourquoi les banques ?

Les banques ont eu droit à une opération ciblée par la Coordination rurale les 14 et 15 février. Ces deux jours-là, on a pu voir les différentes enseignes (dont le Crédit agricole bien sûr, mais pas seulement) taguées pour la plupart, certaines embaumées par du fumier. Cette action localisée dans le Lot-et-Garonne et départements limitrophes (Agen, Villeneuve-sur-Lot, Marmande, Bergerac et autres agences des alentours) soutenaient une revendication syndicale : gel des frais bancaires et reports d’annuités. Pour autant, vis-à-vis de partenaires financiers des exploitations agricoles, l’intervention semble disproportionnée, surtout au regard des demandes. Tout comme avec les MSA, la question se pose : où est passé le dialogue ?

Récemment, j’évoquais la possibilité que l’endettement des paysans pourrait être allégé en partie par un regroupement des crédits, systématiquement refusé aujourd’hui par les banques. Mais cette idée, qui correspond pourtant à de nombreux témoignages entendus, ne figure pas parmi les revendications du moment. Les agriculteurs (ceux qui agissent en tout cas) en viennent à détester les banques, mais ne savent plus pourquoi. Demander uniquement le report d’échéances ne fait que reporter le problème. Les actions sont importantes, le problème de fond n’est pas posé.

Mutuelle agricole, banques... Nous sommes loin de ce que l’on entend le plus souvent sur les normes environnementales ou le partage de la valeur ajoutée avec les grandes surfaces ou les industriels. Pourtant, il serait temps d’identifier avec précision tous ces grains de sable qui grippent la machine, au point non seulement de l’empêcher d’avancer, mais encore de plonger dans l’abîme ceux qui la pilotent. Rendre leur visage humain à ces organismes en les mettant à la même table que leurs « clients » ou « bénéficiaires » devient une nécessité.

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