Christian Saint-Etienne : « La nouvelle programmation énergétique publiée par le gouvernement est suicidaire »<!-- --> | Atlantico.fr
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"Les gouvernements français n’ont aucune stratégie sérieuse d’offre d’énergie décarbonée à base de technologies nationales depuis quinze ans", affirme Christian Saint-Etienne.
"Les gouvernements français n’ont aucune stratégie sérieuse d’offre d’énergie décarbonée à base de technologies nationales depuis quinze ans", affirme Christian Saint-Etienne.
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Irréalisable

La nouvelle programmation énergétique projette de baisser la consommation d’énergie finale en France de 1 600 TWh en 2023 à 1 200 TWh en 2030, soit une baisse d’un quart en sept ans (2024-2030).

Christian Saint-Etienne

Christian Saint-Etienne

Christian Saint-Etienne est professeur titulaire de la Chaire d'économie industrielle au Conservatoire National des Arts et Métiers.

Il a également été membre du Conseil d'Analyse économique de 2004 à juin 2012.

Il est également l'auteur de La fin de l'euro (François Bourin Editeur, mars 2011).

 

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Atlantico : Vous écrivez sur X que la nouvelle programmation énergétique publiée par le gouvernement est suicidaire. Pourquoi ?

Christian Saint-Etienne : La nouvelle programmation énergétique projette de baisser la consommation d’énergie finale en France de 1 600 TWh en 2023 à 1 200 TWh en 2030, soit une baisse d’un quart en sept ans (2024-2030) qui est irréalisable sauf à fermer nos industries, avec une division quasiment par deux (970 à 500 TWh) d’énergie fossile sur la même période au moment où les Allemands programment la construction de 20 centrales électriques au gaz pour maintenir leur industrie !!!

Le pays qui pollue le moins au monde par unité de PIB parmi les 30 principales puissances mondiales propose de se suicider énergétiquement en 7 ans alors que les autres pays se donnent 2 à 4 décennies (Chine et Inde) pour évoluer.

Je suis pour la sortie des énergies fossiles et je suis un des principaux contributeurs à la notion de croissance verte, mais on ne peut le faire qu’en trois décennies et pas en sept ans.

Le patron d’EDF vient lui-même d’annoncer que le premier nouvel EPR ne peut pas être mis en service avant 2035 au plus tôt. Je suis pour une multiplication par 10 de la production du photovoltaïque. Mais à base de panneaux français, ce qui suppose une politique ambitieuse sur l’offre à dérouler sur 15 ans. Or rien de tel dans cet exercice purement bureaucratique qui ne fonctionne que sur des interdictions. C’est de l’anti-économie et de l’anti-politique à l’état pur.

Cette stratégie énergétique du gouvernement sera intégrée à une loi sur la production énergétique attendue l'an prochain. Son objectif est de sortir la France de sa dépendance aux énergies fossiles en visant une économie plus sobre, plus efficace et approvisionnée de manière quasi intégrale en énergies bas carbone produites et maîtrisées sur notre sol. C'est illusoire ?

Evidemment non avant 2050 au plus tôt et à condition de développer massivement une offre nationale d’énergie décarbonée et surtout de production nationale des systèmes de production de cette énergie propre.

Les gouvernements français n’ont aucune stratégie sérieuse d’offre d’énergie décarbonée à base de technologies nationales depuis quinze ans. Tout est communication et farce médiatique sans prise en compte des intérêts fondamentaux du pays.

Comment réindustrialiser ?

En dépit du changement de discours depuis deux ans sur la nécessité de réindustrialiser la France, après deux décennies de désindustrialisation suicidaire, le poids de l’industrie manufacturière dans le PIB a continué de baisser pour s’établir à 9,5% du PIB en 2022 contre 15% dans l’Union européenne. Nous avons 5 points de PIB de retard sur nos compétiteurs. 

Le gouvernement, à la suite de l’adoption de la loi Industrie verte en octobre 2023, a annoncé un objectif de création de 50 "sites clés en main" pour accueillir des usines nouvelles. Ces 50 sites nécessitent 2 000 hectares de foncier biens desservis par les transports, connectés au réseau énergétique et dépollués. Selon Bercy, c’est un dixième du foncier nécessaire à la réindustrialisation du pays. Mais peut-on être plus précis ? Différentes études disponibles en 2023 permettent d’établir qu’il faut 10 000 hectares par point de PIB supplémentaire de l’industrie dans le PIB total, dont 60% par création de nouvelles zones industrielles vertes (ZIV) et 40% par traitement des friches et densification des zones existantes. Si l’on veut remonter la part de l’industrie dans le PIB de 5 points, il faut donc 50 000 hectares de ‘sites clés en main’ dont 30 000 hectares de terrains nouveaux et 20 000 hectares retraités (dépollution et densification). On peut estimer le nombre de sites nouveaux autour de 500 à 700 avec des surfaces de 50 à 2 000 hectares selon les configurations.

Pour attirer les ingénieurs, techniciens et ouvriers qualifiés nécessaires pour réindustrialiser, ces 500 à 700 ZIV feront travailler 1 million de personnes qualifiées qui voudront s’installer près des 262 métropoles, communautés urbaines et communautés d’agglomérations regroupant exactement les deux-tiers de la population française – arrondissons à 300 grands regroupements de communes (GRC) -, afin de disposer d’emplois pour les conjoints, d’équipements scolaires, de santé et de loisir. Or c’est dans ces GRC que l’on manque de logements de qualité et à énergie positive, probablement un peu plus de 600 000 logements collectifs dans des immeubles de trois à cinq étages, soit précisément 2% du stock de résidences principales. 

Réindustrialiser sérieusement le pays suppose donc de créer 2 à 3 ZIV par GRC, pour un total de 50 000 hectares dont 60% de nouveaux terrains d’ici 2035. Il faut envisager la construction de 600 000 logements de qualité dans les GRC pour un coût de 300 000 euros par unité, soit 180 milliards ou 15 milliards par an. La création des 500 à 700 ZIV et des infrastructures de réseaux afférentes, notamment les centrales électriques, devrait représenter un montant équivalent et contribuer massivement à la transition verte.

Réindustrialiser véritablement ne pose pas de problème de financement. Cela suppose surtout une vision forte et une politique volontariste en lien avec les 300 GRC sans lesquels rien ne peut arriver. Le financement, une trentaine de milliards d’euros par an pendant 12 ans, est une goutte d’eau par comparaison aux 3 000 milliards d’euros d’épargne plus ou moins dormante et de l’effort d’épargne annuel des Français.

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