Chômage au plus bas depuis 40 ans : la France va-t-elle bien mieux qu’elle le croit ? (Spoiler : c’est compliqué)<!-- --> | Atlantico.fr
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Ce qui est constaté, c’est que le nombre de CDI augmente assez fortement et que le nombre de CDD diminue. Ce sont donc plutôt des emplois stables, pérennes.
Ce qui est constaté, c’est que le nombre de CDI augmente assez fortement et que le nombre de CDD diminue. Ce sont donc plutôt des emplois stables, pérennes.
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

En apparence

Alors que le pays s’enfonce dans un conflit social qui met en lumière les multiples angoisses économiques et sociales qui étreignent les Français, l’indicateur qui a longtemps été la clé de la vie politique française se porte lui comme un charme. Enfin, en apparence…

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Les chiffres du chômage sont tombés et ils sont historiquement bas. Stéphane Séjourné n’a pas manqué de se féliciter que le chômage était au plus bas depuis 40 ans. Qu’en est-il exactement ?

Philippe Crevel : Il faut remonter au 1er trimestre 2008 pour avoir un taux de 7,2% de chômage comme nous le connaissons actuellement. Et pour retrouver un taux plus faible qu’au quatrième trimestre 2022, il faut remonter à 1982, donc effectivement 40 ans. C’est une annonce positive pour l’économie française qui, il faut l’avouer, faisait figure d’exception parmi les pays européens en matière de chômage. Nous sommes d’ailleurs toujours au-dessus de la moyenne européenne en la matière (autour de 6%). Néanmoins cela reste une baisse historique. Cette dernière s’était amorcée avant 2019 et s’est amplifiée depuis la fin de la période aiguë de crise sanitaire.

Quel est le niveau d’emploi dans le pays ?

Le taux d’emploi en France est notoirement faible par rapport à celui de nos voisins, mais il est en augmentation rapide depuis la fin de la phase aiguë de la crise sanitaire. Nous avons gagné plus de deux points de taux d’emploi pour atteindre plus de 68% %. C’est là encore un niveau historique, avec plus d’un million d’emplois créés par rapport à 2019. Il n’y a donc pas la Grande démission que certains évoquent mais une grande rotation. Il y a beaucoup d’entrées sur le marché du travail, beaucoup de sorties liées aux retraites et un marché du travail extrêmement dynamique et qui résiste à la faible croissance de l’économie.

Dans quelle mesure observe-t-on des créations d’emplois nettes ? Et quel est l’impact de la démographie ?

Il y a d’un côté les créations d’emplois qui atteignent un niveau record : un million créés depuis 2019. Même l’industrie qui est à la peine créé des emplois. De l’autre côté, il y a une situation démographique qui devrait perdurer : 800 000 départs à la retraite par an et un nombre d’entrées qui tend à se réduire. Pour l’instant la population active augmente encore faiblement, mais elle devrait stagner dans les années à venir pour commencer à diminuer vers 2027. Nous sommes donc à un moment charnière où les arrivées continuent momentanément de compenser les départs.

Quels sont les emplois créés ? Est-ce que ce sont de bons emplois ?

Ce qu’on constate, c’est que le nombre de CDI augmente assez fortement et que le nombre de CDD diminue. Ce sont donc plutôt des emplois stables, pérennes. De même, ce sont essentiellement des emplois à temps complet. Mais il y a plusieurs points à prendre en compte. Le premier, c’est que les entreprises recrutent par peur de manquer de main d’œuvre. Elles préfèrent aujourd’hui stabiliser leurs effectifs, ce qui est une forme de création par anticipation. Deuxièmement, ces emplois sont plutôt à faible valeur ajoutée, à faible productivité, ce qui se ressent sur la productivité générale du pays qui baisse. Pour un même niveau de production il faut donc aujourd’hui plus d’emplois qu’hier. Cela est lié à plusieurs phénomènes. D’abord, la diminution du nombre d’heures par salariés. Deuxièmement, la présence de nombreux emplois à faible valeur ajoutée (dans les services, comme les ménages par exemple). Enfin, il y a aussi un rejet des emplois pénibles qui force soit à l’augmentation des salaires, soit au doublement des postes.

Quels sont les secteurs qui créent les emplois ?

Le nombre de secteurs qui créent des emplois est, dans la conjoncture actuelle, élevé. Mais on retrouve évidemment tout ce qui est lié aux services en entreprises et aux ménages.  Plus largement, une entreprise sur deux à des problèmes de recrutement. Les entreprises d’informatique cherchent beaucoup. France stratégie estimait qu’il y avait plus de 3 millions d’emplois à remplacer ou à créer.

Ces emplois à faible valeur ajoutée ce qui contribue à notre croissance atone depuis 10 ans ? Et va continuer de la plomber ?

La France est avec l’Espagne l’un des pays qui connaît la plus forte baisse de productivité depuis 2019. Cela signifie que la croissance s’étiole alors que la population active diminue. On va bientôt être dans une situation où la France dégagera très peu de création de richesses, voire pas du tout. Cela va avoir des conséquences sur le financement du modèle social et de la retraite tout particulièrement. Le nombre de retraités devrait passer de 17 à 20 millions d’ici 2040. Si on ne crée pas de richesse on aura un vrai problème. Toutes les prévisions du COR s’appuient sur une croissance de la productivité de 0,7. Aujourd’hui, nous sommes à -1%. Les 13 milliards d’euros de déficit pourraient donc devenir 30 à 40 milliards d’euros.

Est-ce cette situation qui fait que notre part dans les exportations de biens ne cesse de diminuer ?

Cette situation est notamment due à la désindustrialisation (la part de l’industrie est passée de 20 % à la fin des années 1970 à 9% aujourd’hui). Notre économie paie cette situation. Et cela se traduit par une baisse de nos exportations de biens et un recul de nos parts de marchés. L’aéronautique qui était notre grande force peine à redémarrer et nous avons beaucoup perdu sur l’industrie et la pharmacie ces dernières années.

Face à ce constat, que nous réserve l’avenir ? Une nouvelle décennie de croissance atone ?

La situation de plein emploi avec une faible productivité, c’est potentiellement un problème pour nos finances publiques. Pas de croissance, un déficit important, et potentiellement des investisseurs étrangers qui pourraient remettre en cause la confiance qu’ils nous témoignent sur l’endettement. Surtout que notre déficit public est jumelé avec un déficit de la balance des paiements courants. Le cumul de ces deux données met en danger la France. Il nous expose à un problème de dette publique, tandis que les emplois à faibles salaires, eux, pose un problème social puisqu’ils génèrent de la frustration au sein de la population. Elle est liée aux difficultés rencontrées pour accéder au logement ou pour se déplacer. Il y aura une forte demande d’aides publiques qui ne pourra pas être offerte car il n’y aura pas suffisamment de création de richesse.

La frustration des emplois sans perspective, avec des petits salaires, qui fait que les gens ne peuvent pas voyager, se loger, etc., est importante. Et l’indicateur emploi ne suffit pas à créer de la confiance dans le pays. Même si pendant 40 ans nous avons attendu cette baisse du chômage et que François Hollande en avait fait un objectif de son quinquennat. La part du logement dans les budgets à augmenté de 7 à 8% en quelques années. Cela donne un sentiment de non maîtrise de sa vie car tout part dans le logement ou les transports. C’est difficilement supportable dans une société de loisirs.

Pas de croissance, n’est ce pas aussi pas d’investissements, donc un cercle auto-entretenu ?

Des emplois à faible valeur ajoutée, sans croissance économique cela pose évidemment le problème des investissements nécessaires pour remettre à niveau nos infrastructures et nos capacités à réaliser la transition énergétique. Sans croissance, c’est l’attractivité de la France qui est en jeu. C’est actuellement ce que vit l’Italie. Pour cela, elle n’arrive pas à sortir de sa dépression de croissance faible et le poids de la dette s’alourdit.

Le gouvernement n’a pas manqué de saluer les bons chiffres du chômage. En fait-il trop ?

Le gouvernement n’a pas beaucoup de bonnes nouvelles, donc il a raison, politiquement, de se féliciter de celles qu’il a. Mais il faut tempérer, comme je l’ai dit, le chômage français reste plus haut que la moyenne européenne et ce qui compte vraiment c’est que l’emploi soit productif et créateur de richesse. En France, ce n’est pas le cas.

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