Charte du climat : Pour un journalisme à la hauteur de l’enjeu démocratique<!-- --> | Atlantico.fr
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La recherche de la vérité des faits est impossible si les pistes à creuser pour un reportage sont limitées par une norme supérieure, si le journaliste ne peut montrer la complexité du sujet.
La recherche de la vérité des faits est impossible si les pistes à creuser pour un reportage sont limitées par une norme supérieure, si le journaliste ne peut montrer la complexité du sujet.
©Eric CABANIS / AFP

Faire preuve de "pédagogie"

Début février, Ouest France s’est doté « d’une charte pour un journalisme au niveau de l’enjeu écologique ». Le média, à travers 13 engagements, souhaite faire du « défi climatique et ses incidences sur l’environnement et la biodiversité » un « pilier » de son projet éditorial.

Edouard du Peloux

Edouard du Peloux est directeur opérationnel de l'Institut libre de journalisme.
 
Edouard du Peloux est diplômé de l'école d'ingénieurs ENSEEIHT (Toulouse INP) en Télécommunications et Réseaux et du master de Finance et Stratégie de Sciences Po Paris.
 
De 2013 à 2018, il est consultant en stratégie et management dans le secteur bancaire.
 
En 2018, il participe au lancement de l'Institut libre de journalisme, une formation au journalisme qui a pour ambition d'œuvrer au pluralisme dans les médias en formant des jeunes journalistes capables de sortir des sentiers battus pour porter une voix différente dans les médias. L'Institut libre de journalisme dispense des enseignements de culture générale et de décryptage de l'actualité qui visent à développer chez les étudiants un esprit critique et un souci de recherche de la vérité.
 
Il est par ailleurs Chargé d'enseignement pour le cours « Politique et médias » en licence de Sciences politique à l'Université Catholique de l'Ouest .
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Ouest France n’est pas la seule rédaction à s’engager sur la question environnementale. Gestes à adopter pour le climat, « météo de l’électricité », conseils écologiques, etc. Nombreux sont les médias à se mobiliser sur ces questions. Au nom de l’urgence climatique, ils prennent leur part à la sensibilisation de la population et répondent ainsi à l’appel du Giec qui soulignait dans un de ses rapports que « les médias ont un rôle crucial dans la perception qu’a le public du changement climatique, sa compréhension et sa volonté d’agir ». Les Français doivent adapter leurs comportements, leurs pratiques de consommation. Les médias font donc preuve de « pédagogie » dans leurs émissions, font une place à la question climatique dans leurs sujets éditoriaux. Il ne s’agit pas de politique mais de « consensus scientifique », de lutte contre un danger qui nous menace. Les médias ne sont pas là uniquement pour informer les Français mais pour les sensibiliser, influencer leurs comportements. Mais surtout, c’est la couverture médiatique qui assure la mobilisation des Français. La place donnée à un sujet le rend plus ou moins prégnant aux yeux des Français. Et depuis plusieurs mois, la question climatique est partout.

Car plusieurs médias et journalistes se sentent porteurs d’une mission : alerter l’opinion sur l’urgence climatique pour changer ses comportements. Ils le disent, et l’affirment. Et signent même une charte : la « charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique ». La charte d’Ouest France, au contenu très proche, n’est qu’une déclinaison de celle-ci. Elle est signée par plus de 1 500 journalistes, des dizaines de médias et même 5 écoles de journalisme. Cette charte est sans équivoque sur le rôle des journalistes face au changement climatique : « il appartient à l’ensemble des journalistes d’être à la hauteur du défi que représente l’emballement du climat ». Et pour cela, ils doivent « modifier [leur] façon de travailler » et « s’interroger sur le lexique et les images utilisées » afin de « rendre compte de l’urgence ». Cette charte comporte 13 points. Un les résume tous : le climat ne doit plus être cantonné à une rubrique mais devenir « un prisme au travers duquel considérer l’ensemble des sujets ». On peut y déceler, comme le montre Bérénice Levet à propos de « l’écologisme », une « inclination totalitaire » car « comme le mot l’indique, l’inclination totalitaire se signale par le fait que la totalité de notre existence se voit ramenée à une question exclusive ». Et s’il le faut, les journalistes doivent pouvoir se former : « chacun.e (sic) peut exiger de son employeur d’être formé.e (sic) aux enjeux écologiques ». France Télévisions a d’ailleurs déjà initié des cycles de formation au climat pour ses journalistes. Et certaines écoles de journalisme vendent déjà des formations aux journalistes souhaitant se former sur ces questions.

Quelle vision du journalisme sous-tend cette charte ? Un journalisme comme acteur du débat public qui a une responsabilité dans l’évolution de la société par sa capacité à éclairer les points de vue des citoyens. Qui ne saurait se contenter uniquement de porter des faits à la connaissance du public afin qu’il se fasse sa propre opinion. Finalement, comme le journalisme d’opinion. A la différence majeure, qu’il n’assume pas qu’il met en perspective des faits selon une ligne éditoriale donnée. Il se pense objectif car certains sujets, certains faits, au nom de la Raison, d’un sens de l’Histoire ou d’un « consensus scientifique », ne peuvent être matières à débat. C’est un journalisme « progressiste » : face aux fake news ou à certains traitements de l’information qu’il juge dangereux, les médias doivent éclairer l’opinion publique, l’orienter dans le bon sens. Il suffit d’être pédagogue, d’expliquer, de relater la vérité.

Or, la recherche de la vérité est impossible si le doute n’est pas permis, si un ensemble de faits ne peut être interprété que dans un sens. Si ce que le journaliste voit donne tort à ce qu’il croit, il doit pouvoir le montrer. La recherche de la vérité des faits est impossible si les pistes à creuser pour un reportage sont limitées par une norme supérieure, si le journaliste ne peut montrer la complexité du sujet. Or, le sujet du réchauffement climatique est complexe. Tout le monde le constate. Les éoliennes, les voitures électriques présentées comme solution à nos maux ont aussi leur part d’ombre en matière de pollution. La part exacte de l’homme dans ce réchauffement est aussi sujet à débat. Même dans le christianisme, où il existe un dogme, le doute est permis. L’écologie serait-elle une religion où le doute ne serait pas permis ? Où il faudrait par avance conformer ses propos, ses articles à une parole autorisée. Les journalistes peuvent-ils être réellement objectifs, ce à quoi ils aspirent, s’ils ont sans cesse par leurs écrits « peur de faire le jeu »… d’un mauvais bilan carbone des citoyens.

Cette charte fait penser au pacte de Marrakech de l’ONU, ou Pacte mondial sur les migrations, qui avait été signé par la France en 2018. Ce Pacte incitait les pays signataires à « sensibiliser et informer les professionnels des médias sur les questions migratoires et la terminologie adaptée ». Il allait plus loin, et demandait à « [cesser] d’allouer des fonds publics ou d’apporter un soutien matériel aux médias qui propagent systématiquement l'intolérance, la xénophobie, le racisme et les autres formes de discrimination envers les migrants ». On constate le même souhait de dicter aux médias leur ligne éditoriale, de faire d’eux un canal de relai du discours progressiste, de les faire adhérer au « cercle de la raison » face aux populismes. Que des médias inscrivent leur ligne éditoriale dans cette vision, c’est normal. Mais cela nécessite-t-il qu’ils se restreignent eux-mêmes dans leur liberté d’enquêter, d’informer, par la signature d’une charte ? Ces chartes sont-elles à la hauteur de l’enjeu démocratique ?  Autrefois, c’était l’Etat qui cherchait à contraindre la liberté d’expression. Aujourd’hui, ce sont certains journalistes eux-mêmes. Que des écoles de journalisme qui forment les journalistes de demain s’y plient est encore plus inquiétant. Etonnant, lorsque ces mêmes journalistes - on l’a encore vu lors de l’affaire Cyril Hanouna/Louis Boyard - sont attachés à leur autonomie éditoriale par rapport à leurs actionnaires. Dans l’article 11 de cette « charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique », il est souhaité une « autonomie éditoriale par rapport aux propriétaires de leur média ». Il manque un article 14 qui ambitionnerait une autonomie par rapport à l’air du temps et au conformisme.

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