Chaos au Stade de France : la parole de Gérald Darmanin peut-elle suffire dans une démocratie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Gérald Darmanin et Amélie Oudéa-Castéra ont été entendus au Sénat suite aux incidents au Stade de France lors de la finale de la Ligue des champions.
Gérald Darmanin et Amélie Oudéa-Castéra ont été entendus au Sénat suite aux incidents au Stade de France lors de la finale de la Ligue des champions.
©Thomas COEX / AFP

Explications du ministre de l'Intérieur

Gérald Darmanin et Amélie Oudéa-Castéra, les ministres de l’Intérieur et des Sports, ont été entendus au Sénat suite aux incidents au Stade de France lors de la finale de la Ligue des champions. Malgré les révélations dans la presse, Gérald Darmanin maintient sa version des faits, notamment sur les faux billets.

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Atlantico : Quatre jours après le chaos au stade de France, où se jouait la finale de la Ligue des champions entre le Real Madrid et Liverpool, les ministres de l’Intérieur et des Sports Gérald Darmanin et Amélie Oudéa-Castéra ont été entendus au Sénat. S’ils ont reconnu certaines erreurs, Gérald Darmanin estime que le gouvernement n’a rien à cacher et maintient sa version des faits. Que ce soit sur les forces de l’ordre affectées, sur le nombre de faux billets, etc. peut-on le croire ?

Arnaud Lachaize : Les propos de M. Darmanin devant le Sénat ne brillent ni par leur clarté ni par leur sincérité. Certes le ministre de l’Intérieur concède du bout des lèvres que « les choses auraient pu être organisées autrement ». Ce n’est pas un mea culpa. L’organisation incombe à la préfecture de police, pas au ministre personnellement. C’est une manière de mettre en cause ses services, même s’il prétend les couvrir. De même, il admet quelques violences policières isolées en précisant qu’elles seront sanctionnées. Mais sur l’essentiel, son raisonnement n’a pas varié. Le ministre attribue la responsabilité principale de ce chaos aux supporters de Liverpool dont « 30 à 40 000 » étaient, selon lui, porteurs de faux billets d’entrée. En aucun cas il n’apporte les preuves de ces chiffres qui paraissent purement arbitraires et contredits par d’autres sources. Mais surtout, M. Darmanin reste dans le déni à propos des violences urbaines. Il refuse d’y voir la raison essentielle du chaos de Saint Denis, même s’il reconnaît l’existence de débordements ponctuels. Le véritable drame de samedi soir, les agressions contre les personnes, les vols avec violence, les familles terrorisées et même les atteintes à caractère sexuel, ne paraît pas avoir existé à ses yeux. Admettre la vérité sur ces événements serait un aveu de l’échec du macronisme et de son propre échec en matière de sécurité. C’est pourquoi il s’y refuse et reste dans le déni. 

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Après un dysfonctionnement d’une telle ampleur, qui nuit de surcroît à l’image de la France, une audition devant le Sénat comme celle de ce mercredi avec la parole des ministres comme seule preuve est-elle suffisante démocratiquement parlant ?

Oui, on est sidéré de la désinvolture avec laquelle le ministre traite cette audition parlementaire. Il en vient à accuser de connivence avec l’extrémisme de droite une sénatrice qui l’interroge sur la nationalité des personnes interpellées : « Je n’ai pas à donner la nationalité des personnes que nous interpellons ». Le sujet n’est pourtant pas tabou, la nationalité des personnes est un fait objectif. Qu’est-ce qui permet à M. Darmanin de refuser de communiquer cette information à un représentant élu de la Nation ? Qu’un ministre de l’Intérieur puisse pousser des cris d’orfraies parce qu’il est interrogé sur la nationalité de personnes et qu’il prétende y voir une marque d’extrémisme (autrement dit de racisme) est sidérant. Lors des émeutes d’octobre et novembre 2005, la nationalité des personnes interpellées était rendue publique (d’ailleurs quasiment toutes étaient de nationalité française). Il est stupéfiant qu’en toute normalité et toute banalité, le ministre de l’Intérieur, interrogé sur ce point factuel par une sénatrice s’en offusque et lui réponde par une quasi insulte. Au Etats-Unis devant le Sénat aucun membre de l’exécutif ne se comporterait de la sorte et de même en Grande Bretagne face à des représentants du Parlement. Ce mépris envers les grands élus que sont les sénateurs est le signe patent d’une démocratie en crise où le Parlement n’est plus en mesure de remplir sa mission de contrôle de l’exécutif. 

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Bien sûr. Les membres de l’exécutif peuvent dire n’importe quoi, balancer les chiffres les plus fantaisistes, mentir sur le déroulement des événements, ils n’encourent pas de sanction. Le Sénat aurait des moyens d’exercer des pressions plus fortes par exemple en créant une commission d’enquête – susceptible de recueillir la déposition du ministre sous serment – mais cela n’est possible qu’en l’absence d’ouverture d’une procédure judiciaire. Dans le contexte de la Ve République, le principe est que le Sénat est démuni de véritable moyen de sanctionner un ministre ou un gouvernement qui ment, refuse de l’informer sérieusement, multiplie les contre-vérités et traite avec mépris les questions qui lui sont posées. Il en est de même d’ailleurs à l’Assemblée nationale dès lors que le président de la République dispose d’une majorité godillot qui refusera toujours, quoi qu’il arrive de sanctionner un gouvernement par le vote d’une motion de censure. 

Quelles suites faudrait-il donner à ce genre d’audition pour s’assurer d’un bon contrôle démocratique de l’action politique ?

Tout est question d’équilibre des institutions et de fonctionnement de la démocratie. Aujourd’hui, du fait de l’élection de l’Assemblée nationale dans la foulée de l’élection présidentielle, la France se singularise parmi les démocraties européennes – et même vis-à-vis du régime présidentiel américain – par l’effacement de son Parlement et l’asservissement à peu près total de l’Assemblée nationale. Le Sénat lui est indépendant politiquement mais démuni d’outil pour sanctionner le gouvernement. Si le Parlement retrouvait son prestige et son autorité, son indépendance dans le contrôle de l’exécutif, les ministres se comporteraient tout autrement à son égard. La question n’est pas de retomber dans l’excès inverse des IIIe et IVe République où les commissions permanentes s’ingéraient dans le travail des administrations, tandis que les gouvernements étaient les otages du Parlement et valsaient tous les six mois. Peut-être serait-il temps de réfléchir à un équilibre entre les pouvoirs législatifs et exécutifs, fondement d’une constitution libérale selon Montesquieu. La déconnexion entre l’élection présidentielle et l’élection législative pourrait être une première étape en ce sens.

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