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Cette inspiration que la droite française pourrait aller chercher en Espagne : Ciudadanos, le parti qui double les partis traditionnels et plombe Podemos
©Reuters

Vérité en deça des Pyrénées

Les Espagnols doivent se rendre aux urnes dimanche prochain pour désigner leurs députés. Alors que Podemos tenait une solide première position dans les intentions de vote en début d'année, on observe aujourd'hui un affaissement important. En parallèle, Ciudadanos, jeune formation née en 2006, se hissait à 24% début décembre, faisant de lui un "faiseur de roi" dans la perspective des prochaines alliances.

Christophe Barret

Christophe Barret

Christophe Barret est attaché d’administration aux Archives nationales. Historien de formation, il est en charge de projets éducatifs interculturels, notamment entre la France et l'Espagne, et est l'auteur de Podemos. Pour une autre Europe ? aux éditions du Cerf (2015).

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Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

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Atlantico : Comment expliquer que Ciudadanos apparaisse comme plus crédible que Podemos pour "bouleverser" la vie politique espagnole ? A quels besoins de la part des électeurs répond-il ?

Christophe Barret : Le dernier sondage publié il y a quelques jours par El País place désormais les deux formations au coude-à-coude. C'est que l'opinion reste très volatile. Elle a pu être échaudée par ce que certains appellent la capitulation de Syriza face aux différents acteurs de la Troïka. En janvier, justement, c'est après la victoire de Syriza que les Espagnols ont porté Podemos au zénith des enquêtes d'opinion...  Depuis, quelques revirements programmatiques ont aussi pu être reprochés vis-à-vis du parti de Pablo Iglesias. Ce dernier ne parle plus de nationaliser des secteurs clés de l'économie, ou d'un audit de la dette espagnole plutôt que d'une annulation unilatérale.

L'objectif de Pablo Iglesias, comme il l'a dit récemment, est bien sûr de donner des « garanties » de bonne gouvernance au pays. C'est ce qu'il fait, dans le domaine institutionnel, en reconnaissant que la remise en cause de la monarchie, redevenue populaire avec Felipe VI, n'est pas pour demain. Les seuls changements constitutionnels demandés ne touchent qu'à l’inscription de nouveaux droits sociaux dans le texte fondamental. 

Ciudadanos a habilement joué sur les craintes que pouvait inspirer le projet de Podemos. Il participe, lui aussi, au renouvellement d’une classe politique jugée corrompue et responsable du chômage (qui touche encore 23 % de la population active), tout en rassurant ceux qui voient déjà comme un pas dans le bon sens les résultats honorables du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy en matière de politique macro-économique. Ciudadanos, disent les Espagnols, c'est le Podemos de droite !

Comment définir l'identité de ce parti ? Quels en sont les fondements idéologiques, le projet, et par quel mode d'action souhaitent-ils le mettre en place ?

Christophe Barret : Alberto Rivera, le leader de Ciudadanos, a donc contraint le parti de Pablo Iglesias à renoncer à son rêve d'hégémonie culturelle sur les classes moyennes paupérisées par la crise. Dans sa profession de foi, Ciudadanos affirme allier « libéralisme progressiste et socialisme démocratique ». Il est une « droite très française », affirmait récemment une revue de l'ultra-gauche. Il me semble que c'est vrai. En matière économique, le programme est franchement d'inspiration libérale. Un seul exemple peut suffire à s'en convaincre. En matière de droit du travail, Ciudadanos défend le contrat de travail unique. Ce qui fait d'ailleurs bondir les syndidats, qu'Albero Rivera  a justement critiqué, le 1er mai dernier, pour se montrer présents dans les débats politiques.

Idéologiquement, Ciudadanos peut aussi se définir comme un populisme. Il est apparu en Catalogne, en 2006, pour contrer la dérive indépendantiste des partis régionaux de gauche et de droite. Et bien-sûr pour y représenter, comme dans le reste de l'Espagne, une alternative à la corruption. Pour ce qui est de son projet national, sa défense de l'unité de l'Espagne est une constante. Ce qui lui permet de capitaliser de nombreuses sympathies. Les électeurs de gauche peuvent lui être gré de s'opposer un « droit à décider » des Catalans que Podemos promeut. Ceux de droite peuvent se retrouver dans son volontarisme légaliste. Ciudadanos recrute ses électeurs au sein des classes d'âges plus élevées que celles attirées par Podemos. Dans une Espagne plutôt vieillissante, cela en fait paradoxalement aussi un parti d'avenir.

Comment la droite pourrait-elle s'inspirer de cette expérience ? Comment et dans quelle mesure la droite française pourrait-elle l'adapter à la France ?

Yves Roucaute : Bien entendu, les situations entre la France et l’Espagne ne sont pas vraiment les mêmes. Pour autant, cette ascension est intéressante sur plusieurs points : tout d’abord parce que l’offre politique espagnole semble à bout de souffle. Les deux partis au pouvoir depuis l’après franquisme, le PP et le PSOE, aux yeux de la population, ne proposent plus un discours opérant : ils souffrent des mêmes maux que nos partis traditionnels.

En France, il y a un rejet global des élites politiques, en tout cas celles qui sont au-devant de la scène. Et c’est aussi vrai pour Marine Le Pen, une personnalité récente –certes- de la vie politique, mais qui n’est pas si nouvelle puisqu’elle était candidate aux élections présidentielles de 2012. D’ailleurs, on sent bien à en regarder les sondages que les Français ne sont pas si enthousiastes que cela envers les trois partis en place que sont le PS, Les Républicains et le FN : à eux trois, ils représentent un tiers des voix lorsque l’on retient les abstentionnistes et le vote blanc.   

En Espagne, une des premières manifestations de ce rejet a été la progression de l’extrême gauche, mais manifestement Podemos n’était pas l’expression d’une demande d’extrême gauche : c’était semble-t-il l’expression d’un refus du système, une protestation contre le système avec les problèmes de l’époque : avec l’austérité, il y avait une demande pour résoudre des problèmes sociaux. Le fait est que le Parti populaire (PP) a « remonté » l’Espagne on en voit aujourd’hui quelques fruits. Pour autant, les Espagnoles ont toujours le sentiment que le système politique est corrompu, ce qui était par ailleurs également pointé du doigt par Podemos.

Ce qui m’intéresse le plus dans cette progression de Ciudadanos, c’est que ce parti n’évolue pas dans la marginalité comme pouvait le faire Podemos. Les Espagnols ne veulent pas sortir du monde des entreprises pour le remplacer par un monde communiste ou étatiste. Mais on pourrait y voir l’application d’un principe économique : faute d’offre qui leur conviennent vraiment, les Espagnols sont allés vers le parti qui de l’allègement de la souffrance. Quand Ciudadanos est arrivé, le discours a plutôt été de dire qu’ils n’étaient, eux aussi, en opposition avec la corruption et les solutions proposées par les partis traditionnels, mais que pour autant, il ne fallait pas sortir de l’économie de marché, et que les vieilles lunes marxistes n’avaient pas de sens. Au contraire, ils ont fait d’une alternative crédible, qui tient compte du réel comme la nécessité d’avoir des entreprises, une école qui apporte des compétences, et des soutiens sociaux quand nécessaire leur potion.

On peut en réalité y voir un véritable retour au « bon sens » : autant il faut respecter l’idée que l’Espagne soit puissante dans le monde et en Europe, mais aussi qu’il faut soutenir le pays et ne pas délaisser les questions sociales au sens large. Nous sommes là à l’opposé de ce que vend Podemos.

Les Espagnols ont bien compris que ce n’était pas en entravant la vie des entreprises qu’on pouvait créer des emplois. Ils disent donc que la vieille gauche, sociale-démocrate et un peu étatiste -et au fond corrompu- était un programme dépassé. Le PP conservateur non-plus, arque bouté sur la rente, tout en étant un peu corrompu n’était pas adaptée au monde d’aujourd’hui.

Ce qui est également intéressant, c’est que la question nationale n’est pas délaissée non plus. Et c’est probablement ici aussi que le discours de Ciudadanos pourrait inspirer une droite qui fait de l’identité un sujet à part entière.

On pourrait résumer l’offre de Ciudadanos à une offre qui refuse les clivages historiques : elle s’inspire d’une vision de droite par le fait de voir en l’économie de marché une opportunité plutôt qu’une menace, mais aussi inspirée par la gauche en n’étant pas aveugle sur les « oubliés du libéralisme ». Mais Albert Rivera ne souhaite pas instaurer un système qui assiste, il lui préfère un Etat qui soutient : « nous apprendrons aux Andalous à pêcher à des poissons, mais pas à les partager » a-t-il déclaré pendant sa campagne en Andalousie. Ce qu’il veut dire, c’est que les chômeurs seront assistés pour trouver du travail, ils seront munis de moyens pour s’en sortir. C’est là que son projet politique a une portée : les Espagnols comprennent rapidement que la mise en place d’une telle politique est cohérente, et qu’elle réserve un avenir meilleur, en accord avec les réalités du monde. Car au fond ce qu’il défend, c’est un Etat variable, qui s’adapte, dans l’équilibre, qui investit dans la recherche et l’éducation car stratégiquement c’est une clé de la puissance du pays. Un Etat variable certes, mais qui s’inscrit dans une vision elle très structurée.

Le parti tire aussi avantage de sa « fraîcheur » puisqu’il est né en 2006. Un parti politique français déjà existant pourrait-il vraiment porter un tel projet avec une telle portée ?

Yves Roucaute : En France, ce qu’il manque aux dirigeants français à part quelques-uns, c’est une pensée structurée comme celle de Ciudadanos. Une pensée pragmatique qui s’assume.

Ce qui peut être tiré comme enseignement c’est que dans un univers espagnol au système politique en crise incapable de défendre les institutions et un projet de société comme Aznar l’a récemment déclaré. Albert Rivera, assez paradoxalement, et via la défense de l’intervention de l’Etat, fait de son attachement à l’Etat une originalité.

Pour vous répondre, je ne sais pas si une formation en France pourrait reprendre ce discours ou s’il faudrait une nouvelle formation politique. Ce qui est vrai, c’est qu’il y a une crise du système, et que l’extrême gauche comme la gauche ne sont pas une solution, que la gauche archaïque n’a plus d’écho dans la société, et c’est pour cela que la gauche se dirige aujourd’hui vers la droite.

D’ailleurs, le Parti socialiste joue le grand écart entre sa gauche et sa droite, tout en essayant de garder l’illusion d’une cohérence idéologique. Mais si le PS allait plus loin que la ligne d’Emmanuel Macron, il y a de fortes chances pour que le parti explose. Et la droite n’est pas non plus épargnée par ce risque : avec des représentants qui à l’évidence comprennent quand même un peu mieux le film. L’époque de Charles de Gaulle qui était le patron, qui pouvait d’un clin d’œil donner des ordres que les autres appliquaient est fini. La droite a gagné en horizontalité.

La droite est imprégnée par un modèle bureaucratique extrêmement puissant. Et ce modèle empêche souvent de voir le réel, qui ne peut pas être encadré par cette grille de lecture. Le comportement de Nathalie Kosciusko Morizet, ou d’Alain Juppé par exemple démontre à l’évidence que ces représentants sont coupés du politique en tant que tel : ils sont issus de la haute administration, et ils ne comprennent pas que la France est à droite.

Est-ce que l’on pourrait voir émerger un parti comme Ciudadanos en France ? Ce n’est pas impossible. Qu’ont dit les Français lors des dernières élections : nous votons d’abord pour le Front national, ensuite la droite, puis socialiste. Ils le font comme je le disais sans enthousiasme. Partout où il y a eu des candidats où les têtes de liste étaient centristes, la droite a eu du mal à gagner, voire elle a perdu. Le pire a été en région Aquitaine où les représentants ont eu des résultats catastrophiques. En Languedoc-Roussillon c’est encore pire. En face de nous, les gens ne comprennent pas le pays profond. Ils ne comprennent pas non plus que se classer vers le centre c’est condamner la droite à perdre, et faire monter le Front national à 45%. Estrosi lui-même n’a pas compris pourquoi il avait gagné.

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