Cette grande faiblesse de la République islamique qui se cache derrière les démonstrations de forces iraniennes<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président iranien Ebrahim Raïssi lors de son discours annuel à la nation pour Nowruz, le Nouvel An perse, à Téhéran, le 20 mars 2024.
Le président iranien Ebrahim Raïssi lors de son discours annuel à la nation pour Nowruz, le Nouvel An perse, à Téhéran, le 20 mars 2024.
©AFP / Présidence iranienne / DR

Régime iranien fragilisé

L’Iran a, pour la première fois, cherché à frapper directement Israël sur son territoire avec plus de 300 drones et missiles. Cette attaque intervient alors que le régime iranien est de plus en plus contesté par les forces d'opposition et que le pays est confronté à une grave crise économique.

Emmanuel Razavi

Emmanuel Razavi est Grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient. Diplômé de sciences Politiques, il collabore avec les rédactions de Paris Match, Politique Internationale, Le Spectacle du Monde, Franc-Tireur et a réalisé plusieurs Grands reportages et documentaires d’actualités pour Arte, France 3, M6, Planète...  Il a notamment vécu et travaillé en tant que journaliste en Afghanistan, dans le Golfe persique, en Espagne …

Il s’est fait remarquer pour ses grands reportages sur les Talibans (Paris Match), les Jihadistes d’Al Qaida (M6), l’organisation égyptienne des Frères Musulmans (Le Figaro Magazine, Arte).

Depuis le mois de septembre 2022, il a réalisé plusieurs reportages sur la vague de contestation qui traverse l’Iran. Il est notamment l'auteur d'un scoop sur l’or caché des Gardiens de la révolution publié par Paris Match, ainsi que d’un grand reportage sur les Kurdes Iraniennes qui font la guerre aux Mollahs, également publié Paris Match. Auteur de plusieurs documentaires et livres sur le Moyen-Orient, il a publié le 15 juin 2023 un nouveau roman avec Chems Akrouf, « Les coalitions de l’ombre » (éditions Sixièmes), qui traite de la guerre secrète menée par le Corps des Gardiens de la Révolution contre les grandes démocraties. Il aussi publié en 2023 « les guerriers oubliés, histoire des Indiens dans l’armée américaine » (L’Artilleur).

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Atlantico : L’Iran a tiré plus de 300 drones et des missiles contre le territoire israélien dans la nuit de samedi à dimanche. Selon l’armée israélienne, 99 % des tirs ont été interceptés. Quel bilan est-il possible de tirer après cette attaque iranienne ? Qu’est-ce que cette attaque révèle sur l’Iran ?

Emmanuel Razavi : Malgré cette attaque historique, cette crise montre que le régime iranien est fragile. Il fait face à une multitude de crises sans précédent. L’Iran est confronté aujourd’hui à une crise politique et sociale. Une majeure partie de la population iranienne est contre le régime. Près de 30 % des Iraniens vivent sous le seuil de pauvreté et la moitié du pays peine à se nourrir. Il y a une inflation sans précédent en Iran. Il y a un an et demi, le mouvement de révolution des femmes en Iran a été lancé. Cette mobilisation était clairement une révolution contre le régime islamique et contre l'islam politique inspiré des Frères musulmans. L’ensemble de ces situations fragilise le régime. Au moment où il est le plus fragile, l’Iran décide d’attaquer frontalement Israël et prend un risque énorme. Mais cela a toujours été inscrit dans l'ADN de la République islamique d'Iran. C'est toujours au moment où l’Iran a été le plus fragile que l’Iran s’est montré le plus violent. Lorsque le pays est très affaibli, l’Iran pratique toujours la diplomatie de la terreur, le terrorisme ou a recours à des attaques en général via ses proxys.

Un cap historique est franchi avec l’attaque contre Israël. En réalité, depuis 45 ans, il s’agit de la toute première fois où le régime iranien décide de s'en prendre directement à Israël et a ciblé le territoire israélien. Cette situation peut s'expliquer par le fait que, aujourd'hui, près de 70 % des Iraniens veulent en finir avec le régime. Les mollahs ont besoin de rassurer les 30 % qui lui sont encore fidèles et de montrer qu'ils ont toujours une capacité de frappe et de répression importante sur le plan intérieur.

Depuis 48 heures, le régime de la République islamique d'Iran a fait monter d'un cran la répression contre les femmes qui ne portent pas le voile. La police des mœurs a patrouillé dans les rues des grandes villes iraniennes. Les arrestations se sont multipliées. Cette nouvelle campagne de répression a commencé quasiment au même moment où le régime iranien allait lancer les frappes sur Israël, ce qui tend à montrer que, comme les dirigeants savent qu'ils sont fragilisés sur le plan intérieur, ils ont tout fait pour contrôler la contestation. Le refus du voile est un moyen de contestation contre le régime. Il ne faut pas oublier que le voile est l'un des piliers de la République islamique d'Iran. Tout a été fait par les autorités pour mettre la pression à l'intérieur du pays sur une population dont ils savent qu'elle leur est hostile au moment où, en parallèle, ils allaient faire une frappe sur Israël.

Cette frappe sur Israël est aussi un moyen de pression et sert à montrer aux 30 % qui soutiennent encore le régime ainsi qu’à la communauté internationale que l’Iran a une véritable capacité de nuisance sur le plan régional, au Moyen-Orient et au Proche-Orient.

Certains experts et spécialistes dans le domaine de la défense ont expliqué que l’attaque de l’Iran, même si elle est impressionnante et historique via les 300 missiles et drones, n’était qu’un test et que des technologies plus létales comme des missiles guidés n’avaient pas été utilisées ? Est-ce aussi un autre signe de la faiblesse de l’Iran ou est-ce un simple test ou une opération d’intimidation que l'Iran vient de mener contre Israël ?

Tous les Iraniens se posent cette question. Il est possible de considérer cette attaque comme un test vis-à-vis d’Israël. Un certain nombre d'analystes iraniens considèrent que si Israël ne répond pas à cette agression, le régime iranien récidivera et d’autres attaques auront lieu. L’Iran a testé la capacité de riposte d'Israël. S'il n'y a pas une riposte à la mesure de l'agression, l’Iran retiendra comme enseignement qu’il est possible de récidiver et recommencera. Telle sera la lecture du pouvoir en place.

Le régime perçoit cela aussi à travers les pressions américaines, françaises ou anglaises sur Israël qui demandent au Premier ministre israélien de ne pas verser dans l'escalade. Cela représente déjà une victoire pour les Iraniens.

Le fait qu'ils ne soient pas allés plus loin dans le cadre de l’attaque contre Israël est lié à la capacité militaire très limitée du régime. Si un conflit ouvert éclatait entre l'Iran et un pays comme Israël, le régime iranien ne dispose pas d’une capacité militaire pouvant aller au-delà de quelques semaines de guerre. Entretenir une armée coûte très cher. Or, le pays est plongé en pleine crise économique et en crise de liquidités. Les dirigeants iraniens n'ont pas les moyens d'entretenir une armée au combat, sans avoir des puissances régionales ou internationales qui les soutiennent, ce qui pour le moment n'est pas le cas.

Dans ce contexte où la communauté internationale appelle à la désescalade, quelle est la tentation du régime iranien qui est actuellement fragilisé ? La stratégie iranienne est-elle une fuite en avant ou est-ce une méthode longuement préparée et assez dangereuse ?

Les mollahs ont bien conscience qu'ils sont fragilisés et que le régime est menacé par l'opposition intérieure. Le régime ne tient que parce qu'aujourd'hui les Occidentaux ne se sont pas décidés à le faire tomber en soutenant les oppositions iraniennes. Depuis un an et demi, ce régime, qui fait face à une crise économique sans précédent, à une contestation politique, est clairement dans la surenchère. L’Iran est comme un animal blessé qui se montre agressif alors qu'il sait qu'il est sur le point de mourir. Si personne, au sein de la communauté internationale, ne profite de la fenêtre actuelle pour faire tomber ce régime une bonne fois pour toutes, il va perdurer.

Comme il s’agit d’un régime répressif, il dispose d’un bras armé. Les Gardiens de la Révolution tiennent tout l'arsenal sécuritaire et militaire de la République islamique d'Iran. Ils tiennent en otage la population iranienne.

Les Etats-Unis, qui étaient l'allié historique d'Israël, ne souhaitent pas intervenir en cas de riposte israélienne. Est-ce qu'à travers l’attaque de l’Iran ne faut-il pas craindre un embrasement de la région ?

A l'heure où nous parlons, il y a un vrai risque d'embrasement de la région. L’incertitude demeure sur le niveau de la riposte d’Israël.

Si le niveau de riposte est extrêmement important, les Iraniens vont mobiliser tous leurs proxys en Irak, en Syrie, au Yémen, au Sud Liban et à Gaza pour attaquer Israël.

Cette situation va pousser les Occidentaux, mécaniquement par le jeu des alliances, à intervenir. Cela va aboutir à une forme de chaos.

Si la communauté internationale se décidait à mettre fin au régime iranien, le calendrier est actuellement idéal car le régime n’est pas en capacité de résister aujourd'hui.

L'armée iranienne doit être prise au sérieux mais elle n'est pas en capacité de livrer une guerre ouverte contre plusieurs puissances internationales. Une majorité du peuple iranien (à 70 %) est opposée au régime. Les Iraniens eux-mêmes attendent que la communauté internationale les aide à renverser ce régime. L'Iran dispose d'une richesse : sa population qui est extrêmement éduquée et cultivée. Les universités iraniennes produisent encore des élites malgré la République islamique. Il y a au sein de la diaspora comme à l'intérieur de l'Iran, des individus qui sont compétents pour diriger l'Iran et qui seront d'ailleurs beaucoup plus compétents que les mollahs pour reprendre les rênes et qui ramèneraient la stabilité dans la région parce que l'élément déstabilisateur actuellement au Moyen-Orient est la République islamique d'Iran.

À la suite de l'intervention de pays alliés pour soutenir Israël et pour détruire les drones, l'Iran ne va-t-il pas dénoncer la communauté internationale et tenir un discours victimaire contre les puissances occidentales qui soutiendraient Israël ?

Les dirigeants iraniens sont dans cette posture. La situation est la même depuis 1979, depuis l'avènement de la République islamique. Tous les moyens sont utilisés pour se positionner en tant que victime et comme un pays agressé par les puissances occidentales.

L'un des hauts responsables de l'Etat-major iranien a mis en garde les pays qui ouvriraient leur espace aérien à l'aviation israélienne. Des menaces de frappes ont été brandies. Les pays qui soutiennent Israël prennent des risques.

La France aujourd'hui est l’un des pays qui sont ciblés par le terrorisme. La France comme les Etats-Unis et l'Angleterre sont des cibles directes du terrorisme iranien. Le niveau de menace est très élevé. Comme l’Iran n'a pas les capacités aujourd'hui de mener une guerre ouverte, le moyen de pression va être le chantage au terrorisme.

Qui tient le régime iranien et qui aurait pu prendre ces décisions de l'attaque contre Israël ? Est-ce que le pouvoir est entre les mains des mollahs, du président Raïssi ou des Gardiens de la révolution ?

Contrairement à ce qui a parfois pu être raconté depuis hier, le seul qui est habilité à prendre la décision de l'agression contre Israël est le guide suprême Ali Khamenei. Personne d'autre. Plusieurs plans lui ont été proposés par son Etat-major, l'armée des Gardiens de la Révolution.

L'armée iranienne comme le corps des Gardiens de la Révolution et son unité en charge des opérations extérieures répondent directement aux ordres du Guide de la Révolution et de personne d'autre.

L'Iran est assez fragilisé sur le plan économique, militaire, politique et sociétal, même avec l'opposition. Faut-il craindre d'autres attaques ou prises de position de cette bête blessée ? Est-ce que l'Iran pourrait être encore dangereux à l'avenir ?

L'Iran a montré avec l’attaque contre Israël qu'il représentait un danger pour la stabilité non seulement du Moyen-Orient mais du monde entier. Il faut prendre au sérieux les menaces iraniennes, même si le régime est fragilisé sur le plan intérieur.

Il faut prendre vraiment très au sérieux la menace iranienne. La stratégie du régime iranien est focalisée sur la déstabilisation des démocraties occidentales. L’Iran soutient de plus en plus les organisations liées aux Frères musulmans qui sont solidaires avec le Hamas à Gaza. Dans les manifestations qu'il y a aux Etats-Unis, en Angleterre, en Espagne ou en France, les mêmes éléments de langage du régime iranien sont repris.

Il y a quelques jours en Angleterre, des islamistes ont manifesté avec des portraits de Khomeini, du fondateur de la République islamique. Aujourd'hui, il faut donc prendre au sérieux les menaces d'ingérence de l'Iran au cœur des démocraties occidentales. Il faut prendre au sérieux les risques de cyberattaques parce que l’Iran a un très haut niveau sur le plan cyber. Il faut aussi prendre très au sérieux la menace terroriste, donc le risque d'attentats, émanant de l’Iran. Pour la première fois avec l’attaque contre Israël, il y a eu une rupture dans la stratégie iranienne qui était une stratégie asymétrique depuis 45 ans.

Si l'Occident veut la paix au Moyen-Orient, il doit aujourd'hui prendre conscience que le régime iranien doit tomber et qu'il faut essayer d'accompagner une transition démocratique en Iran. 

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