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Cette fracture générationnelle révélée par le Brexit et que sont incapables de percevoir nos (vieux) dirigeants
©Reuters

Atlantico Business

Après le choc du Brexit, les analyses révèlent une vraie fracture entre les jeunes et les plus âgés, riches ou pauvres. Les jeunes croient en l’Europe. Les seniors n’y croient pas, mais ce sont eux qui décident.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Ce clivage entre les générations n’a sans doute pas échappé aux élites politiques, mais les dirigeants ont préféré nier le phénomène pour ne pas avoir à en tirer les leçons. Avant et juste après le vote britannique, tout le monde a préféré considérer que le vote (légèrement majoritaire) des Britanniques s’expliquait par la crise économique, le risque d'une immigration massive, le sentiment d’être tenu à l’écart d’une Europe dont la gouvernance était trop bureaucratique (eurocratique), trop éloignée du peuple ou des vrais gens, comme l’a martelé la presse tabloïde.

Autant d’arguments qui ne sont pas sans provoquer d’échos favorables en Europe continentale, en Espagne, en Italie, en France. Les tentations populistes sont fortes et donnent aux démagos de tous les extrémismes des leviers pour accéder au pouvoir.

Toutes ces analyses sont sans doute justes, mais la vérité, c’est qu’elles dissimulent une autre réalité.

Les jeunes ont voté massivement pour rester dans l’Union européenne, qu’ils habitent Londres où tout est chic et cher, ou à Glasgow où tout est triste et pauvre.

Les Britanniques qui ont voté pour la sortie appartiennent massivement aux classes les plus âgées. Des riches comme des pauvres. Ce qui explique que la Grande-Bretagne se soit réveillée avec la gueule de bois, que beaucoup regrettent leur vote, que les pétitions lancées pour obtenir un nouveau référendum se multiplient, et qu'une grande partie des votants pour le Out reconnaissent avoir voté sans savoir exactement pourquoi. Une étude réalisée sur le vote britannique révèle que si l'on pondère le vote par l’espérance de vie, on s’aperçoit que les moins de 50 ans auraient voté à plus de 80% pour l’Europe.

Les plus de 60 ans ont voté à plus de 70% contre l'Europe. Comme les moins de 50 ans sont plus nombreux mais qu’ils votent beaucoup moins, on arrive au résultat qu’on connaît.

Les jeunes interrogés savent précisément pourquoi ils sont favorables à une Union européenne. Dans tous les pays de l’Union, les moins de 30 ans n’imaginent pas leur avenir en dehors du cadre européen. Et cela pour trois grandes raisons.

D'abord parce qu’ils ne sont pas prisonniers de l’histoire du pays dans lequel ils sont nés. Les jeunes Allemands ne se sentent pas coupables des horreurs passées, les jeunes Français ou Anglais ont sans doute beaucoup de respect pour ce qu’ont fait leurs grands-parents, mais ça reste théorique. La notion de nation où de patrie forgée par l’histoire et par les guerres n’a pas la même densité que pour leurs parents, et c’est normal.

Ensuite, parce que qu’on le veuille ou non, cette génération des moins de 40 ou 30 ans est beaucoup plus éduquée que la précédente. Près de 90% des jeunes Français ont le bac. Alors on peut dire que le bac s’est dévalorisé (sans doute un peu). Mais le niveau culturel s’est considérablement élevé pour le plus grand nombre. C’est vrai partout.

Enfin, cette génération est la génération X, puis Y et demain W. C’est la génération qui a fait et qui assume la révolution digitale avec tous les moyens de communication qui ont transformé le monde. Internet, les réseaux sociaux, le mobile, les Google et autres Windows ont forgé une nouvelle façon de penser et de vivre.

Les jeunes ont appris aux anciens la pratique d'Internet.

Que les plus anciens le veuillent ou non, leurs enfants sont des enfants du monde, qui n’ont jamais connu d’autre système que celui de l'économie de marché (le mur de Berlin est tombé avant qu'ils ne soient nés). Ils sont dopés à la concurrence, ils sont bilingues, souvent trilingues. Ils ont voyagé comme aucun autre de leurs ancêtres ne l’a fait.

La majorité sont des enfants d’Erasmus, d’Easyjet et de Twitter. Qu’on le veuille ou non.

Et l'Europe dans tout cela ? C’est non seulement leur espace de jeu, mais c’est aussi le seul cadre capable de leur offrir un projet d’avenir. Un job, un rêve de vie. Cette génération est sans doute attachée à ses racines, mais c’est pour mieux s'épanouir ailleurs.

Ce phénomène-là touche absolument toute la génération des moins de 30 ans, quelle que soit l’origine sociale, ou géographique. A l’exception d’une frange marginale de 10 à 15% des jeunes de moins de 30 ans dans chaque pays membre de l’Union européenne qui sont restés sur le quai de l'évolution technologique. Complètement abandonnés par la société, écartés des bénéfices de la technologie. 10% de laissés pour compte, de désespérés de la vie, c’est beaucoup certes... Beaucoup trop.

Mais l’immense majorité de cette génération est aux antipodes des tentations protectionnistes ou conservatrices que cultivent leurs aînés.

Le problème, c’est qu'ils ne votent pas tous, loin s'en faut. Ils ont d’autres passions et d’autres expressions, d’autres engagements (les ONG par exemple).

Le problème, c’est que les dirigeants politiques représentent les générations les plus âgées, les seniors. Lesquels sont inquiets pour eux-mêmes alors qu'ils sont pour la plupart très sécurisés. Ils sont inquiets pour l’avenir, mais ne le regardent souvent que dans un rétroviseur. L’avenir a tellement changé le présent.

Pour les aînés, le passé reste plus que parfait... Du coup, ils ont le pouvoir partout et étouffent les initiatives des plus jeunes. Dans les entreprises, les collectivités locales ou l’administration centrale. Ils serrent les boulons pour éviter que ça bouge.

Politiquement, c’est du pain béni pour les mouvements conservateurs... En Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne ou en France. Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon peuvent faire du surf sur cette vague d’inquiétude sans offrir de solutions alternatives ou d’analyse très cohérente. Ils se contentent de taper sur ce qui est nouveau. Trop subversif, trop dérangeant.

Pendant ce temps-là, les jeunes essayent de lancer des projets, partent dans le monde où on les écoutera (pourquoi rêvent-ils tous de la Californie ? Parce que là-bas on les écoute). Ou alors, ils se replient sur eux-mêmes, en attendant de vieillir. Souvent résignés, et frustrés.

La politique est pour l’heure incapable de leur apporter ce dont ils auraient besoin.

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