Cette crise du logement que la France ne cesse de s’auto-infliger<!-- --> | Atlantico.fr
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Paris, où la crise du logement est très forte, Photo d'illustration AFP
Paris, où la crise du logement est très forte, Photo d'illustration AFP
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Dernier exemple en date, la décision du Conseil Constitutionnel considérant qu’un propriétaire peut être attaqué par un squatteur s’il entretient mal le bien squatté.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Les propriétaires sont obligés d’entretenir leur bien même s’il est squatté, selon une récente décision du Conseil constitutionnel. Un squatteur pourrait donc attaquer le propriétaire si le bien est mal entretenu. Son propriétaire ne peut pas être exonéré de cette responsabilité, a tranché le Conseil constitutionnel qui a censuré cette mesure de la loi «anti-squat», promulguée «dans quelques jours» par le président Emmanuel Macron, a annoncé le député Guillaume Kasbarian (Renaissance), coauteur de la loi. Les «Sages» se sont rangés derrière l’article 1 244 du Code civil qui prévoit que «le propriétaire d’un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu’elle est arrivée par une suite du défaut d’entretien ou par le vice de sa construction.» Le Conseil constitutionnel estime qu’exonérer le propriétaire de cette responsabilité est « une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’obtenir réparation du préjudice résultant du défaut d’entretien d’un bâtiment en ruine ». Que penser de cette décision au regard de la crise du logement ?

Charles Reviens : La lutte contre les squats était inclue dans le programme logement 2022 du candidat Emmanuel Macron, ce qui a abouti au projet parlementaire et à la loi « Kasbarian-Bergé » « visant à protéger les logements contre l’occupation illicite » dont l’essentiel des articles a été validé par le Conseil Constitutionnel. Il s’agit d’un texte qui par nature est favorable aux droits des propriétaires.

Mais l’attention est portée à juste titre sur l’annulation de l’article 7 de la loi qui exonérait les propriétaires de l’obligation d’entretien d’un logement squatté : « L’occupation sans droit ni titre d’un bien immobilier libère son propriétaire de l’obligation d’entretien du bien de sorte que sa responsabilité ne saurait être engagée en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien du bien pendant cette période d’occupation. En cas de dommage causé à un tiers, la responsabilité incombe dès lors à l’occupant sans droit ni titre du bien immobilier. »

Le Conseil constitutionnel a pour justifier sa décision d’annulation considéré qu’exonérer le propriétaire de cette responsabilité est « une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’obtenir réparation du préjudice résultant du défaut d’entretien d’un bâtiment en ruine», ce qui est une magnifique formule juridique mais ouvre la boite de Pandore de questions pratico-pratiques et d’incertitudes juridiques : comment prouver que le logement fait l’objet d’un défaut d’entretien ? comme déterminer qui est le responsable du défaut d’entretien (le propriétaire négligeant ou l’occupant illicite du fait de dégradations liées à son comportement dans le logement) ? comment accéder au logement pour le propriétaire pour faire les réparations sans prendre le risque d’une violation de domicile ? Bref le Conseil constitutionnel se pose de fait en défenseur des droits de personnes qui elle-même ne respecte par le droit de tiers.

Quant au lien de ce dossier avec « la crise du logement », il faut rappeler que cette phraséologie de crise du logement est à la fois un poncif politico-médiatique et une auberge espagnole des critiques de tout bord sur la situation du logement en France. Son actualité, peut-être plus solide aujourd’hui qu’au cours des années passées où on en a parlé tout autant, repose sur un élément conjoncturel (l’effondrement des transactions notamment dans le neuf du fait de la hausse des taux et l’effondrement associé du pouvoir d’achat immobilier des ménages) et un élément structurel (l’impossibilité pour les jeunes générations d’accéder à la propriété du fait de la hausse considérable des prix immobiliers sur les deux dernières décennies dans les territoires les plus attractifs).

Le dossier des obligations d’entretien des propriétaires victimes de squats ne fait que rajouter une fiche couche sur un dossier bien épais.

Philippe Crevel : Cette jurisprudence apparaît assez traditionnelle. Les propriétaires sont responsables de leur bâtiment quels que soient leurs occupants. Il y a donc la nécessité pour un propriétaire d’entretenir le logement pour éviter de mettre en danger les occupants, en situation légale ou illégale. Un même immeuble peut avoir des occupants légaux et illégaux.

Parfois ceux qui sont en situation illégale le sont parce qu’ils ont été placés dans ce logement. Ils peuvent être des victimes indirectes. Ils ne sont de ce fait pas responsables de leur situation, une sous-location illégale.  

Il y a derrière la décision du Conseil constitutionnel un principe de précaution : éviter de mettre en danger la vie d’occupants, quels qu’ils soient. Cela peut évidemment constituer une charge pour des propriétaires qui ne touchent de loyers pas en cas d’occupation illégale. Cela peut apparaître comme une injustice en tant que tel même si l’on est au-delà d’un raisonnement purement monétaire. Il s’agit d’une question de sécurité et de préserver la vie des occupants, quels qu’ils soient.

La décision des «Sages» ne va-t-elle pas faire enrager les propriétaires qui se voient mal indemniser un squatteur en cas d’accident ? Ne faut-il pas s’indigner contre cette décision du Conseil constitutionnel ?

Charles Reviens : L’article 7 de la loi était protecteur pour les propriétaires car il différenciait leurs obligations d’entretien entre les logements objets d’une occupation licite et les logements squattés. Au-delà de la question de l’indemnisation, l’analyse pratico-pratique conduit à considérer qu’au-delà du risque d’obligation d’indemnisation des propriétaires squattés, cette décision crée surtout une considérable incertitude juridique et des risques supplémentaires pour des propriétaires dont les droits sont clairement bafoués par leurs occupants illicites.

Elle devrait avoir vocation à exaspérer les propriétaires comme le relate par exemple un article du Figaro Immobilier. Le président de l’UNPI (union nationale des propriétaires immobiliers) se concentre pour sa part sur des conseils pratiques pour les propriétaires.

Philippe Crevel : Évidemment pour un propriétaire qui se retrouverait avec un immeuble menaçant de s'effondrer ou qui tombe en ruines, qui serait poursuivi par un squatteur et qui devrait réaliser des travaux, sans pouvoir toucher de loyers, il y aura un sentiment potentiel d’injustice en tant que tel. Il faut voir néanmoins que nul ne souhaite qu’il y ait des occupants qui soient tués ou blessés, quels qu’ils soient, si un immeuble s’effondre.

Il aurait fallu prévoir un mécanisme de garantie, de prise en charge par un fond d’intervention ou par les assureurs. En revanche, d’un point de vue juridique et humain, il n’est pas acceptable de laisser un immeuble en ruines sans intervenir ou sans procédures d’indemnisations envers les victimes, quelles qu’elles soient, s’il y a eu un sinistre. Il aurait fallu trouver un mécanisme plus adéquat dans ce cas exceptionnel en tant que tel.

Cette décision du Conseil constitutionnel, défavorable aux propriétaires, ne va-t-elle pas envenimer les choses alors que des cas de squats avaient été médiatisés ces derniers mois ? Cela ne va-t-il pas aggraver la crise du logement ?

Philippe Crevel : La loi anti-squat qui a été adoptée et qui sera promulguée dans les prochains jours constitue une réponse par rapport à des agissements délictuels concernant l’occupation de certains logements. Il faut se réjouir, ce problème datant de nombreuses années, qu’il y ait enfin une réponse apportée même si elle n’est pas totalement satisfaisante. Elle permet de corriger le droit existant en protégeant mieux les propriétaires face à une occupation illégale de leur appartement. Il y a encore des procédures certainement à améliorer. Quand un immeuble menace de tomber en ruines du fait du comportement des occupants, il faudrait penser à un dispositif législatif spécifique. La question de la crise du logement dépasse bien évidemment celle de l’occupation illégale des squats. Cela est lié à un nombre insuffisant de logements en France, à un système complexe concernant les relations entre les bailleurs et les locataires. Logiquement, ce système vise à protéger les propriétaires. Par voie de conséquence, ils sont souvent les premières victimes. Cela limite l’offre. Les propriétaires prennent des garanties par crainte de ne pas pouvoir mettre un terme à un bail avec des indélicats.    

Comment expliquer que la France ne cesse de s’auto-infliger des difficultés et des crises comme avec cette décision qui participent et alimentent la crise du logement ?

Charles Reviens : Le logement est un domaine de très forts clivages politiques en France et le poids politique et même politique de la gauche et de l’extrême gauche est considérable avec la domination du thème du « mal logement » porté par la Fondation Abbé Pierre depuis longtemps mais aussi la protection la plus étendue possible des locataires et également des occupants illicites, si nécessaire par la remise en cause du droit de propriété par des actions coup de poing comme celles du DAL il y a une quinzaine d’années.

La saisine du conseil constitutionnel contre la loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite a été faite par les députés des différentes composantes de la NUPES (LFI/PS/EELV/PCF) et par exemple la liste des contributions extérieures présente une liste bien représentative de la galaxie des protecteurs du droit d’occupation même illicite.

L’écosystème logement doit vivre avec ce clivage dont l’objectif est tout sauf de régler des difficultés par l’accommodement et le compromis. Les tenants d’un camp ne veulent pas régler un problème mais donner une victoire politique ou idéologique à ce camp sur un autre. A côté de la thématique de l’équilibre des relations locatives entre locataire et bailleur, ma contribution Atlantico récente sur l’impact logement du traitement des enjeux climatiques indique que l’objectif d’amélioration de la performance énergétique et GES des logements conduit à des coûts supplémentaires qui ne peuvent être sans conséquence majeures sur l’écosystème logement via notamment la question des coûts.

En tout cas, il est clair que le Conseil Constitutionnel joue un rôle métapolitique et même politique dans les politiques publiques par ses différentes décisions. Il faut protéger certains droits des occupants illicites de logement, mais on valide la mise en place du pass sanitaire lors de la pandémie covid-19.

Philippe Crevel : La crise du logement en France est une vieille histoire. Il s’agit d’une affaire ancienne. Déjà dans les années 50, l’Abbé Pierre s’était emparé de ce combat. Ce phénomène n’est pas nouveau. Assez bizarrement, la France n’a jamais réussi réellement à créer un cadre favorable pour les bailleurs. La possibilité de créer un statut du bailleur avait été évoquée par Emmanuel Macron. Cela est pour le moment abandonné. De nombreuses lois ont été adoptées pour protéger les locataires au détriment des propriétaires, ce qui a raréfié l’offre. Les mesures prises ces dernières années ne sont pas favorables à la construction et limitent l’offre. Les propriétaires ne veulent pas forcément louer ou préfèrent louer en location saisonnière via Airbnb. Il y a des volumes d’offres de logements dans des zones tendues (dans les grandes agglomérations, sur le littoral) qui sont insuffisants par rapport à la demande. Cela occasionne des prix élevés au détriment des locataires.   

Comment expliquer que le défaut de réglementation vienne alourdir la crise du logement ?

Philippe Crevel : Le Conseil constitutionnel a tranché en prenant un critère qui est le droit des victimes au détriment du droit des propriétaires. Il y a en matière de logement des valeurs contradictoires. Le droit du logement est perçu pour certains comme un droit d’occupation quand pour d’autres il est un droit de se faire payer un loyer pour le droit de propriété.

Il y a d’un côté le droit au logement et le droit de propriété. Et entrent en jeu la protection des victimes et la sécurité. Ces notions qui devraient logiquement converger sont en France parfois contradictoires, opposées les unes aux autres.

Le droit de propriété permet d’user et de bénéficier de son logement comme on le souhaite. La limite est le droit au logement. Les Français ont le droit d’accéder à un logement. Cela débouche sur des contradictions. Un équilibre n’a pas été trouvé, permettant de satisfaire le droit de propriété, le droit au logement. Le déséquilibre actuel aboutit au fait que les locataires qui payent leurs loyers comme les propriétaires sont handicapés et pénalisés. Un climat de défiance existe. Cela conduit à surenchérir à chaque fois sur les conditions de location. Les dossiers à constituer pour les locataires sont épais et harassants, avec énormément de conditions. Le propriétaire a peur de trouver un indélicat. La situation n’est pas satisfaisante en l’état actuel. Il n’y a pas de climat de confiance juridique et social sur ce terrain. Les mauvais coucheurs contribuent à ce climat de défiance. Cela est nuisible pour les locataires comme pour les propriétaires.  

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