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La loi prévoit l’interdiction immédiate des augmentations de loyer pour les étiquettes énergétiques les plus mauvaises et un calendrier d’interdiction de locations de 2025 à 2034.
La loi prévoit l’interdiction immédiate des augmentations de loyer pour les étiquettes énergétiques les plus mauvaises et un calendrier d’interdiction de locations de 2025 à 2034.
©Charly TRIBALLEAU / AFP

Crise du logement

La loi prévoit l’interdiction immédiate des augmentations de loyer pour les étiquettes énergétiques les plus mauvaises et un calendrier d’interdiction de locations de 2025 à 2034.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Atlantico : La loi climat et résilience a été votée il y a désormais bientôt deux ans. Quel est son bilan jusqu'à présent ?

Marc de Basquiat : Il faut d’abord rappeler la genèse particulière de ce texte, la « Convention citoyenne sur le climat » installée en octobre 2019 à la suite du « Grand débat » monté par le gouvernement pour calmer le jeu après un épisode « Gilets jaunes » éprouvant pour le pays. Les 150 membres de la Convention, tirés au sort, ont produit en juin 2020 un rapport de 150 propositions.

La thématique « se loger » présentait trois familles de solutions :

1.     Rendre obligatoire la rénovation énergétique globale des bâtiments d’ici 2040. Contraindre les propriétaires occupants et bailleurs à rénover ; Obliger à changer les chaudières au fioul et à charbon d’ici à 2030 ; Déployer un réseau harmonisé de guichets uniques ; Système progressif d'aides à la rénovation ; Former les professionnels du bâtiment vers des pratiques écoresponsables.

2.     Limiter de manière significative la consommation d’énergie dans les lieux publics, privés et les industries. Contraindre les espaces publics et bâtiments tertiaires à réduire leur consommation d’énergie ; Changer les comportements des particuliers ; Limiter le recours au chauffage et à la climatisation (température moyenne maximale de 19°, renoncer à la climatisation en deçà de 30°).

3.     Lutter contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain en rendant attractive la vie dans les villes et les villages. S’ensuivaient 13 propositions allant de la sensibilisation à l’interdiction en passant par diverses facilitations, financements et restrictions.

Après expertises techniques et débats législatifs, la loi « Climat et résilience » promulguée en août 2021 compte 300 articles dont trois mesures fortes sur le logement :

1.     Supprimer les passoires thermiques en 2034.Dès 2022, gel des loyers et obligation d’audit énergétique lors de la vente pour les logements classés G et F ; Interdiction de mise en location de 600.000 logements classés G dès 2025, de 1,2 millions classés F en 2028, de 2,6 millions de logements classés E à partir de 2034 ; Financement public des travaux de rénovation.

2.     Zéro artificialisation nette en 2050. Dès 2030, le rythme d’artificialisation doit être divisé par deux ; Généralisation de l’interdiction de construction de nouveaux centres commerciaux de plus de 10.000 m², les projets supérieurs à 3.000 étant soumis à autorisation du préfet.

3.     Obligation de végétalisation ou installation de photovoltaïque sur les toits et parkings. Pour les surfaces commerciales et parkings de plus de 500 m², ainsi que les immeubles de bureaux de plus de 1.000 m².

Pour en revenir à votre question, on comprend à la lecture du calendrier des mesures de la loi climat que nous avons à peine commencé à les mettre en œuvre. Si un impact est déjà mesurable, il faut plutôt le chercher du côté des anticipations des acteurs. Néanmoins, il est intéressant de lire a posteriori les différences de formulation entre la version « convention citoyenne » et la production législative : on n’a conservé qu’une série d’interdictions et d’obligations.

Charles Reviens : La loi n° 2021- 1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience dite « loi climat et résilience » fait suite à la séquence de la convention citoyenne pour le climat de 2019-2020 à l’issue de laquelle Emmanuel Macron avait le 29 juin 2020 indiqué qu’il reprenait 149 des 152 propositions de la convention. Plusieurs recommandations concernaient le logement.

En effet, le logement (et l’ensemble de l’enjeu bâtimentaire) est toujours fortement impacté par ce type de problématique puisque ce secteur représente une part importante des émissions de CO2 et de la consommation d’énergie : selon la FNAIM, le bâtiment représente chaque année 44% de l’énergie consommée en France et 22% des émissions de gaz à effets de serre (123 millions de tonnes de CO2 chaque année). D’où l’important volet logement de la loi climat et résilience dont l’ambition est d’atteindre est de contribuer à atteindre la « neutralité carbone » d'ici 2050.

L’idée générale est d’améliorer la performance énergétique du parc de logement et de faire en sorte que l’ensemble des logements considérés comme « passoires thermiques » (notamment les étiquettes énergétique F et G) soient rénovés d’ici dix ans.

La loi prévoit l’interdiction immédiate des augmentations de loyer pour les étiquettes énergétiques les plus mauvaises et un calendrier d’interdiction de locations de 2025 à 2034.

La France connaît de grave difficultés liées au logement actuellement. Quelles sont les mesures de la loi qui risquent de renforcer durablement les risques actuels ?

Charles Reviens : Les « graves difficultés liées au logement » ou « la crise du logement » sont à la fois un poncif politico-médiatique et une auberge espagnole des critiques de tout bord sur la situation du logement en France. Son actualité récente repose sur un élément conjoncturel (l’effondrement des transactions notamment dans le neuf du fait de la hausse des taux et l’effondrement associé du pouvoir d’achat immobilier des ménages) et un élément structurel (l’impossibilité pour les jeunes générations d’accéder à la propriété du fait de la hausse considérable des prix immobiliers sur les deux dernières décennies dans les territoires les plus attractifs.

Les considérations climatiques sur l’exigence de performance énergétique des logements viennent rajouter un enjeu de cout (financement des réhabilitations énergétiques, respect des nouvelles normes pour le logement neuf) mais également, toutes choses étant égales par ailleurs, un enjeu de réduction de l’offre puisqu’une partie des logements les plus énergivores vont sortir par exemple de l’offre locative si leur réhabilitation n’est pas effectuée.

Le logement est un écosystème complexe qui se construit de façon sédimentaire (1 % maximum de nouveaux logements par an). Donc le surcout lié à l’exigence climatique devrait être compensé par des mesures de réduction des couts et de fluidification dans d’autres segments de l’écosystème. On ne voit rien venir sur ce point par exemple à l’occasion des annonces logement du gouvernement il y a quelques semaines.

Marc de Basquiat : C’est assez curieux : lorsqu’on analyse les causes de cette incapacité récurrente à aligner offre et demande de logement, on trouve autant d’explications que de catégories d’acteurs dans le domaine : les constructeurs se plaignent d’un accès difficile au foncier ; les intermédiaires accusent la hausse des prix et des taux immobiliers ; les associations plaident pour les logements sociaux et l’augmentation permanente des aides au logement ; les écologistes dénoncent l’égoïsme et l’irresponsabilité de français attachés au modèle de la maison individuelle. Difficile dans ces conditions d’articuler une politique du logement satisfaisant tout le monde ! 

Il est évident que la loi climat et résilience a été plus inspirée par les écologistes et les associations que par les autres acteurs. Rappelons-nous les interpellations vigoureuses du militant Cyril Dion – co-fondateur de l’association Les Colibris et auteur entre autres du beau film Demain – qui niait la légitimité du gouvernement à modifier les propositions énoncées par la Convention citoyenne. Il est donc logique que les constructeurs anticipent une raréfaction accélérée du foncier constructible et que les prix des biens immobiliers qualitatifs reprennent leur progression, excluant toujours plus les classes moyennes et primo-accédants.

A ce titre, le graphique suivant, tracé à partir des comptes de patrimoine publié chaque année par l’INSEE, montre à quel point la valeur du patrimoine immobilier du pays (en rouge) a explosé depuis 2015, nettement plus que l’inflation sur les biens de consommation (en vert). On dépasse les 14.000 milliards d’euros, après une hausse de 40% en seulement 6 ans.

La rareté relative d’un bien étant l’explication majeure d’une hausse des prix, on visualise ici les conséquences d’une politique du logement insuffisamment orientée vers l’offre. On peut parier que la loi climat et résilience ne va pas infléchir la courbe dans les prochaines années.

A quel point cette loi, par ces effets sur l'immobilier, va-t-elle aussi avoir des effets sur le patrimoine, l'industrie, etc. ?

Marc de Basquiat : La courbe ci-dessus agrège tous les patrimoines immobiliers, qu’ils soient détenus par les ménages, des entreprises ou administrations. L’augmentation des prix menace tous les acteurs portant des projets, a l’inverse de propriétaires historiques voyant leurs biens se renchérir sans investissement de leur part. On constate d’ailleurs que les agences immobilières notent une résistance des cédants à baisser les prix dans la phase tendue que nous connaissons, car ils savent que le marché (pour les logements de qualité) est structurellement orienté à la hausse, que les lois récentes ne vont pas calmer le jeu.

Pour les entreprises, le sujet est encore plus compliqué du fait de l’accumulation de mesures qui brident leur capacité à investir dans des projets d’extension. La dynamique ZAN (zéro artificialisation nette) est une épée de Damoclès pour les consommateurs de surface, commerçants comme industriels.

Charles Reviens : L’immobilier est un actif majeur pour les ménages en France et donc les restrictions à la location sur ces actifs peut clairement peser sur leur patrimoine. Par ailleurs ces évolutions sont génératrices de surcouts supplémentaires qui vont par nature peser tant sur les ménages que sur les entreprises, sachant que le cout du logement en France est déjà supérieur de plusieurs points de PIB par rapport à l’Allemagne par exemple.

La nécessaire lutte contre le dérèglement climatique et pour l'adaptation de nos sociétés qu'ambitionne cette loi peut-elle être soutenable au vu des conséquences qui de dessinent ?

Marc de Basquiat : La comparaison des 150 propositions de la convention citoyenne avec les 300 articles de la loi climat et résilience nous donne une piste. D’abord, il convient d’accepter la nécessité de lois pour guider l’action collective vers la sobriété et la protection de la biodiversité. A défaut, nous contribuons à transformer notre planète – dont nous pouvons penser qu’elle est unique dans l’immensité du cosmos – en un environnement hostile à la vie humaine. Une fois que l’humanité aura disparu, quel amas de molécules goûtera Mozart ? 

En revanche, je ne crois pas que nous devions nous satisfaire d’une vision autoritaire et punitive. Ne serait-il pas préférable d’encourager une démarche collaborative, créative, ouverte, incitant tous les acteurs – publics comme privés – à identifier au cas par cas, sur le terrain, les solutions conciliant au mieux divers objectifs également légitimes ? Du moment où les divers intérêts s’expriment dans une compréhension et un respect des divergences, il y a toujours la place pour inventer des solutions intelligentes.

Charles Reviens : Il faut avoir bien conscience du caractère universel de la préoccupation liée au dérèglement climatique et cette prise de conscience est particulièrement forte en Europe notamment au niveau des institutions européennes (Commission et Parlement) qui ont lancé leur « green deal » en 2019 avec objectif de neutralité climatique de l'UE à l'horizon 2050.

Ce « pacte vert pour l’Europe » a en regard de la loi climat et résilience son volet logement avec comme principaux objectifs que tous les bâtiments neufs soient des bâtiments à émissions nulles d'ici à 2030 et que les bâtiments existants soient transformés en bâtiments à émissions nulles d'ici à 2050.

Ce qui est frappant tant en Europe qu’en France c’est l’absence de discours clair sur les conséquences économique d’évolutions aussi fortes et d’analyse des impacts sur la spécialisation économique et la compétitivité économique de l’Europe, alors que la conciliation entre objectifs environnementaux et de prospérité économique semble souhaitable.

Quelle stratégie alternative pourrait exister ?

Marc de Basquiat : Je vois deux axes de réflexion pour refonder une politique du logement qui se désagrège depuis 50 ans :

1.     Mobiliser le levier fiscal pour dynamiser l'offre de logement, en éliminant tout prélèvement qui freine la fluidité et l'usage optimisé du parc immobilier (droits de mutation, taxation des loyers, droits de succession).

2.     Basculer l'aide publique de "donner de l'argent pour se loger" à "mettre massivement à disposition des logements à loyer abordable = 25% des ressources du ménage".

Le premier axe pourrait déboucher sur la création d'un Impôt sur le capital immobilier (ICI) au taux unique de 0,6 % par an (soit 0,05 % par mois) de la valeur vénale de tous les biens immobiliers (= assiette de 14.000 milliards d'euros). Chaque propriétaire (personne physique ou morale) y serait soumis automatiquement. Exemple : le propriétaire d'un appartement évalué 400.000 euros acquitterait un ICI mensuel de 200 euros. En revanche, le propriétaire percevrait 100 % du loyer versé par son locataire, 100 % du prix payé par l'acquéreur, et donnerait librement à un héritier de son choix sans aucun prélèvement. 

Cette nouvelle politique fiscale aurait pour effet de fluidifier le marché et d’inciter chaque propriétaire à optimiser l’usage de son bien. Une fiscalité simple, compréhensible et bien calibrée peut être un moyen efficace pour éviter le gâchis des ressources.

Le deuxième axe pourrait aboutir à la création d'un Service universel du logement (SUL) remplaçant plusieurs dizaines de dispositifs actuels. Les agences SUL réparties sur le territoire animeraient leur marché local en assumant les contraintes légales (ZAN, efficacité énergétique, etc.) et en anticipant les besoins en lien avec les collectivités. Chaque SUL réaliserait le "sourcing" de son offre en finançant la construction, s’ajustant aux contraintes légales, réalisant l'intermédiation locative entre des propriétaires privés (à un prix négocié indépendamment du loyer versé par le ménage occupant), etc. Chaque demandeur d'un logement serait assuré de recevoir une ou deux offres SUL dans un délai raisonnable (après quelques années de montée en puissance) et à un prix connu : un quart de l'ensemble des ressources du ménage (revenus d'activité, de remplacement ou du patrimoine, ainsi qu'aides sociales).

Cette façon alternative d’envisager l’accès au logement aurait pour avantage de désigner une instance SUL unique, structurée, qualifiée et dimensionnée pour piloter la rencontre complexe entre :

1.      les diverses formes d’offres de logement,

2.     la multitude des demandes de ménages plus ou moins solvables,

3.     l’ensemble des objectifs légitimes en matière d’artificialisation des sols et de sobriété énergétique.

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