Cet ascenseur supersonique vers la radicalisation islamique que nous avons laissé s’installer partout en France<!-- --> | Atlantico.fr
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Des fidèles musulmans attendent derrière une barrière d'ouverture pour assister aux prières matinales de l'Aïd al-Adha à la Grande Mosquée de Paris, le 28 juin 2023.
Des fidèles musulmans attendent derrière une barrière d'ouverture pour assister aux prières matinales de l'Aïd al-Adha à la Grande Mosquée de Paris, le 28 juin 2023.
©Zakaria ABDELKAFI / AFP

Inquiétant

Alors qu’un hommage est rendu ce lundi dans les collèges et lycées à Dominique Bernard, le professeur assassiné à Arras, nous avons interrogé Michaël Prazan, spécialiste des mouvements radicaux.

Michaël Prazan

Michaël Prazan

Michaël Prazan est un écrivain et réalisateur français. Il a notamment écrit L’Écriture génocidaire : l’antisémitisme en style et en discours (Calmann-Lévy, essai, 2005), Une histoire du terrorisme (Flammarion, 2012), Frères Musulmans : enquête sur la dernière idéologie totalitaire (Grasset, 2014).

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Atlantico : L'islamisme a de nouveau frappé à Arras, avec la mort du professeur de lettres Dominique Bernard. On prend souvent le sujet sous un angle sécuritaire mais n’avons-nous pas plutôt besoin de changer de logiciel politique et idéologique ? 

Michaël Prazan : Bien entendu. C’est une nécessité absolue, et cela prend beaucoup trop de temps. Tout commence dans les années 80, quand les Frères musulmans prennent pied en France et dans d’autres pays européens. Ils se sont appelés alors UOIF (Union des organisations islamiques de France), avant de devenir Les musulmans de France après que Nicolas Sarkozy a eu refoulé leurs pires pousse-au-crime, tels Safwat Higazi ou Youssouf al-Qaradawi - de puissants frères musulmans égyptiens, soutiens belliqueux et indéfectibles du Hamas - , qui étaient invités à leur grand rassemblement annuel du Bourget, qui rassemble chaque année 100 000 personnes. Rappelons que le Hamas est l’antenne palestinienne des Frères musulmans, et que tous les dirigeants d’Al-Qaïda en sont issus. Le même Nicolas Sarkozy, quelques années plus tôt, avait placé l’UOIF au centre du CFCM, leur remettant généreusement et bien naïvement les clefs de la communauté musulmane de France. 

En réalité, on a fait entrer le loup dans la bergerie, et nous sommes restés aveugles face au travail de terrain qu’ils effectuaient pour « réislamiser » les populations immigrées ou issues de l’immigration maghrébine. En labourant en premier lieu les anciennes banlieues rouges, les Frères musulmans et leurs alliés salafistes ont pris la place occupée jusqu’alors par le Parti communiste, produisant un certain nombre de services et d’aides sociales (associations sportives et cultuelles, soutien scolaire, formation idéologique, etc.), un domaine où ils sont passé maîtres. Ils ont travaillé au corps ces populations, souvent mal enracinées, mal intégrées, si bien qu’en quelques décennies, ils ont réussi à essaimer leur idéologie dans la société. Ils ont ensuite essayé de déstabiliser nos acquis structurels et identitaires par des revendications toujours plus offensives (interdiction du blasphème, réclamation de lieux de prières en entreprise, port du voile dans l’espace public, abayas au sein des établissements scolaires, etc.), tout en développant le concept dévoyé et intimidant de « l’islamophobie », qui fait passer toute critique de l’islam pour du racisme. 

En cela, ils ont bénéficié du soutien de différents acteurs de la société, que l’on pourrait qualifier d’« islamo-gauchistes », et que l’on trouve au sein du réseau associatif, dans les départements de sociologie, ou dans certains partis politiques situé à l’extrême gauche qui, comme les Frères musulmans, ont fait de la « cause palestinienne » le symbole de toute protestation contre l’injustice faite aux musulmans. L’idéologie woke, venue en soutien, a achevé de jeter le trouble, notamment auprès des plus jeunes. Partant de là, changer de logiciel est un challenge considérable, tant ces motifs, se sont enkystés dans la société et les esprits.

Ne devons-nous pas accepter la conflictualité de nos sociétés, accepter que nous ne sommes pas sortis de l’histoire, et que l’immigration et les bugs d’intégration créent des problèmes spécifiques ? 

Nous ne sommes pas sortis de l’histoire, et nous devons procéder d’urgence à un réarmement culturel et idéologique de nos valeurs. Chez les plus jeunes, il y a une perte de repères : ils ne savent plus ce que nous devons défendre face au danger de l’islamisme. Nous avons toujours un train de retard face aux coups de boutoir contre nos valeurs d’égalité, de démocratie et d’humanisme assénés par les islamistes. Ce réarmement passe par une nécessaire prise de conscience, par la recherche d’un consensus le plus large possible, et la mise en place des adaptations législatives nous permettant de lutter plus efficacement contre le danger islamiste, tant il devient urgent d’endiguer la progression de son idéologie et de ses objectifs qui sont, à terme, l’islamisation de l’Europe - l’objectif final étant l’islamisation du monde. Le problème, c’est que la prise de conscience préalable à une véritable contre-offensive culturelle prend beaucoup trop de temps.

En 2017, je réalisais un documentaire sur la justice, en immersion au tribunal correctionnel de Vienne (Isère). C’était pour nous un bonheur de suivre, au cours d’une demi-journée, ces jeunes gens nés en France de parents étrangers venus au tribunal pour faire une demande anticipée de citoyenneté française. J’y ai été frappé par cette jeune fille, âgée de 14 ans, mignonne et bien élevée, sous l’emprise de son grand frère, très visiblement radicalisé. Âgé de 17 ans, ce dernier était venu au tribunal vêtu d’un qamis afghan, et affublé d’une barbe encore clairsemée à la mode salafiste. Il faisait régner la terreur dans sa famille, interdisant à ses parents de me parler, et à sa petite sœur d’être filmée lors de sa demande de naturalisation. Le matin même, j’avais assisté à une réunion des acteurs sociaux de la ville (chefs d’établissements, bailleurs sociaux, etc.), organisée et dirigée par le procureur de la République, pour faire remonter les signalements de certains individus radicalisés. Après ma confrontation glaçante avec le grand frère, je suis allé voir la greffière pour lui demander si elle allait faire remonter un signalement concernant ce jeune homme. Elle m’a répondu : « Je ne suis pas une collabo ». J’ai alors compris que le chemin serait encore long…

Hier sur BFMTV, un journaliste a échangé avec l'un des amis du djihadiste d'Arras. Surgissent alors des propos lunaires de la part de l’ami du tueur. « On parlait d'installer la charia dans les pays musulmans. Et moi j'étais d'accord avec lui  ! ». Ou encore : « On avait les mêmes idéologies, sauf pour aller tuer les gens, ça ne m'a jamais intéressé. Et puis ce n'est pas normal, sauf dans une guerre sainte ». Des discussions quotidiennes sur la mort, la charia, etc. Qu’est-ce que cela dit de la situation ?

Quand j’ai vu l’extrait de cet entretien, j’étais sur le plateau d’une chaine info. J’ai été le seul à faire remarquer qu’il y avait dans son discours, les signes évident d’une radicalisation. On m’a regardé comme si j’avais lâché un gros mot. Ce qui m’apparaît comme le nez au milieu du visage ne l’est pas, à l’évidence, pour beaucoup d’entre nous. Les individus tels que ce jeune homme sont la plupart du temps influencés par leur milieu, les réseaux sociaux et la propagande islamiste qui s’y déploie sans frein, le jugement de la communauté dans laquelle chacun se tient en respect, « les grands frères », et les prêcheurs 2.0 qui inondent le réseau Tik Tok, notamment. Comme le dit Gilles Kepel, il y a dans ces quartiers un « djihadisme d’atmosphère ». Les adolescents de nombre de communes, de quartiers, grandissent au sein d’un biotope qui, à bien des égards, est un ascenseur supersonique vers la radicalisation, auquel il est bien difficile d'échapper. Nos islamologues ont également une part de responsabilité dans l’enfumage cité précédemment. Ils ont longtemps tenté de faire la distinction entre islamistes « quiétistes » et « djihadisme », ce qui a permis à certains d’affirmer, comme Raphaël Liogier, que les quiétistes n’étaient rien d’autre que des amish à la sauce musulmane. Une aberration. Cette distinction est une invention « orientaliste ». L’histoire du terrorisme a montré que le passage du quiétisme à l’acte djihadiste peut s’opérer en une fraction de seconde.  

Comment préserver la démocratie et l’état de droit sans les mettre en danger par irénisme ou par niaiserie en ayant un droit inadapté à la réalité des menaces ?

On ne doit pas perdre ce qu’on est, c’est-à-dire notre humanisme, notre démocratie, notre interprétation unique au monde de la laïcité, et notre amour de la liberté, auquel cas tout serait perdu. On est à la fois portés par ces valeurs mais également contraints par elles, ce qu’ont parfaitement compris les islamistes. L’école devrait être le moyen de régler le problème à la racine - c’est d’ailleurs pour cette même raison qu’elle est régulièrement prise pour cible. Sauf qu’elle a elle-même contribué à l’enfumage des esprits. 

Il y a quelques années, j'ai consulté les manuels scolaires d'histoire et de géographie ou d’éducation civique des classes de CAP et de bac professionnel ; leurs publics constituant le terreau le plus fragile et le plus ciblé par la radicalité. Tout, de l'histoire à l'étude du monde actuel, y est perçu à l'aune des inégalités et des discriminations. Apparaît alors, en filigrane, une grille de lecture unique et dogmatique qui prétend que la seule clé de compréhension du monde se trouve dans le rapport dominé/dominant (Bac pro, classes de seconde, Nathan technique), où l'histoire et la géographie se résument à la domination d'un Occident blanc et nanti sur un hémisphère Sud, « racisé », pauvre, exploité. Confinée à une vision misérabiliste, une telle grille de lecture provoque chez les élèves issus de l’immigration un sentiment victimaire et provoque une haine diffuse de l’Occident. L’antisémitisme n’y est pas absent. Dans un manuel d’éducation civique (bac pro terminale, Hachette, 2011), on brocarde dans contre-feu des personnalités antipathiques aux auteurs, telles que Bernard-Henri Lévy. Dans ce manuel, il est écrit : « Partisan de l'ingérence humanitaire, Bernard-Henri Lévy a cependant condamné l'opération de soutien aux Palestiniens, "Une flottille pour Gaza", en prétextant sa signification politique contre l'Etat d'Israël ». Suit la question posée aux élèves : « Quel paradoxe peut-on relever dans son soutien à différentes causes internationales ? » Réponse (supposée) : BHL est juif, donc « sioniste », et ses engagements seraient par conséquent à géométrie variable. Le texte ne précise nullement qu'« une flottille pour Gaza » était une opération montée par les Frères musulmans turcs, en partenariat avec le Hamas, le groupe islamiste et terroriste qui règne sur la bande de Gaza.

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