Ces technocrates russes qui ne voulaient pas de la guerre mais qui ont permis à Poutine de limiter la casse économique <!-- --> | Atlantico.fr
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Aujourd’hui, les relations économiques entre la Russie et le monde extérieur se comptent sur les doigts d’une main : la Chine, l’Inde, la Turquie et les pays de la CEI.
Aujourd’hui, les relations économiques entre la Russie et le monde extérieur se comptent sur les doigts d’une main : la Chine, l’Inde, la Turquie et les pays de la CEI.
©ALEXEI DANICHEV / SPUTNIK / AFP

Guerre en Ukraine

Avant même l'invasion de l'Ukraine, les conseillers de Vladimir Poutine ont réalisé des crash tests dans le but de tester la résilience de l'économie russe.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Un mois avant que la Russie ne lance son invasion de l'Ukraine, les principaux conseillers économiques de Vladimir Poutine l’ont informé des conséquences probables des sanctions occidentales. Quelles étaient leurs conclusions en cas de guerre contre l’Ukraine ? 

Viatcheslav Avioutskii :Bien entendu, leurs conclusions étaient alarmistes. Cette réunion à huis clos a été organisée par le directeur de la SberBank German Gref, qui est un des derniers survivants du clan des libéraux. Ce dernier voulait que Poutine ne reconnaisse pas les deux républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk. Poutine, balayant cette demande, a cherché à trouver des moyens de réduire le poids des sanctions occidentales. 

Ces technocrates n’ont en réalité aucun pouvoir, ils sont de simples gestionnaires qui agissent au nom de l’État. Ils restent cependant bien plus professionnels que les soldats de l’armée russe ! Ils craignaient une inflation galopante et une profonde crise économique. Il faut aussi comprendre que l’économie russe semble évoluer vers un modèle chinois, avec une présence de l’État qui augmente et des subventions quasi illimitées vers certains secteurs dans le but de les sauver. C’est le cas de l’agriculture, qui ne peut pas faire face au marché extérieur. Cela arrange bien ces technocrates, car il est plus facile de gérer une économie étatisée que libre. 

Comment ces conseillers ont-ils préparé l’économie russe pour limiter le poids des sanctions ?

Ils ont réalisé un crash-test dans le but de tester la résilience de grandes entreprises et banques publiques. Pourtant, ils n’ont pas réussi à imaginer le caractère massif des sanctions occidentales. D’autre part, de nombreuses multinationales occidentales se sont retirées de Russie. Les technocrates ont donc préparé l’État russe, sachant que le pays serait déconnecté de SWIFT et que les systèmes de paiement occidentaux comme Visa et MasterCard seraient aussi désactivés. Après la première vague des sanctions débutée en 2014, ces technocrates ont donc créé MIR, un système de paiement national alternatif aux systèmes de paiement occidentaux. 

La conjoncture internationale les a aussi aidés. La Russie a utilisé des hydrocarbures comme arme économique contre l’Occident, en réduisant les livraisons de gaz en Europe. Le marché s’est retrouvé sous pression, ce qui a augmenté les prix et donc les recettes budgétaires de l’État russe. Ils ont mis l’Occident sous pression, tout en gagnant plus d’argent. C’est la stratégie du « marchand de chaos », qui consiste à créer une crise pour pouvoir en profiter. 

De plus, Elvira Nabioullina, présidente de la banque centrale russe et Mikhaïl Michoustine, Premier Ministre, ont lancé avant la guerre plusieurs programmes macroéconomiques de soutien de l’économie. Par exemple, ils ont introduit des taux de crédit très avantageux dans le domaine de l’immobilier. De nombreux ménages ont pu acquérir un bien à l’aide d’un crédit. Cela a créé une certaine stabilité macroéconomique, dans le but de préparer la Russie à des chocs externes. Ainsi, la construction de logements neufs n’a pas été affectée par la guerre. Il faut reconnaître que cette mesure a été adéquate et a pu en partie amortir le choc exogène des sanctions en 2022.

De quelle manière ces technocrates ont-ils envisagé une guerre contre l’Ukraine ? Ont-ils effectivement permis de sauver la Russie d’un désastre économique ?

Elvira Nabioullina était connue pour des mesures assez libérales, avant de devenir plus interventionniste. Avec Mikhaïl Michoustine, ils gèrent désormais un "bateau ivre". German Gref, lui, occupait des postes importants : ancien ministre du Développement économique et du Commerce, il est à l'origine du programme de réformes économiques des années 2000 qui ont permis de fluidifié l'économie russe et accélérée la croissance. Évincé du gouvernement, la SberBank est son dernier espace de liberté. Il a tenté de convaincre Vladimir Poutine que le libéralisme économique est l’avenir de la Russie. Le maître du Kremlin n’a pas approuvé.

Un énorme challenge attend Elvira Nabioullina et Mikhaïl Michoustine, qui étaient réticents à l’idée de mener cette guerre. Le conflit va consommer toutes les réserves budgétaires de la Russie, et ces deux technocrates risquent de se retrouver complètement impuissants. 

Aujourd’hui, les relations économiques entre la Russie et le monde extérieur se comptent sur les doigts d’une main : la Chine, l’Inde, la Turquie, les pays de la CEI … En matière d’hydrocarbures, ces pays ont profité de la faiblesse de la Russie pour imposer des tarifs bien en dessous des prix du marché. Ainsi, d’après les informations dont nous disposons, la Russie vend son pétrole entre 30 et 40 dollars par baril, ce qui est largement en dessous du cap imposé par l'Union européenne et les Etats-Unis. Cette équipe de technocrates n’a donc pas réellement sauvé l’économie russe mais a simplement réussi à profiter d’une conjoncture favorable, aujourd’hui disparue.

Au final, les hommes de confiance du président ont-ils fini par favoriser une invasion contre laquelle ils avaient mis en garde ?

Cela ne fait aucun doute. Ils ne sont pas seulement responsables moralement mais aussi juridiquement. Après tout, Elvira Nabioullina et Mikhaïl Michoustine font partie du gouvernement qui a appuyé la guerre contre l’Ukraine. Ils font preuve d’une certaine complaisance en limitant la casse économique et en permettant à la machine de guerre russe de tourner. Ainsi, de la même manière que le ministre de l’Économie du IIIème Reich, Albert Speer, a été condamné à 20 ans de prison lors du procès de Nuremberg, les technocrates russes sont responsables du conflit mené en Ukraine. 

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