Ces raisons qui peuvent expliquer pourquoi Saint Pierre est devenu le garant de l’unité de l’Eglise<!-- --> | Atlantico.fr
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La statue de Saint-Pierre, le 21 février 2019, sur la place Saint-Pierre au Vatican.
La statue de Saint-Pierre, le 21 février 2019, sur la place Saint-Pierre au Vatican.
©VINCENZO PINTO / AFP

Bonnes feuilles

Christophe Dickès publie « Saint Pierre. Le mystère et l’évidence » aux éditions Perrin. Dans l'histoire de l'Eglise, Pierre est considéré comme le premier pape. Pourtant, rien ne le disposait à prendre la place du premier apôtre. Christophe Dickès suit les traces de celui qui, après Jésus, est l'homme le plus cité du Nouveau Testament. Extrait 2/2.

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la politique étrangère et à la papauté (L’Héritage de Benoît XVI, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde). Il est enfin le fondateur de la radio web Storiavoce consacrée uniquement à l’histoire et à son enseignement.

 

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Il n’empêche : la volonté de Jésus de confier l’Église à celui qui le renie semble un mystère insondable : comment celui qui a abandonné le Messie peut-il recevoir la première place ? Certes, il ne s’agit pas du seul mystère dans le christianisme : la croix du Christ n’est-elle pas elle-même un scandale que les contemporains de Jésus ne peuvent comprendre ? Comment celui qui s’abaisse peut-il être élevé ? Comment le dernier peut-il être le premier ? Comment celui qui donne sa vie peut-il la gagner aux yeux de Dieu? Dans la Deuxième Épître aux Corinthiens, Paul, tout en parlant de lui-même, semble faire écho à la figure de Pierre, comme si l’un et l’autre devaient faire face aux mêmes mystères, aux mêmes interrogations. Alors qu’il évoque son propre péché, l’apôtre des gentils dit ainsi avoir prié trois fois afin que la tentation s’éloigne. Juste après, il souligne un autre mystère : « Lorsque je suis faible, écrit Paul, c’est alors que je suis fort. » Pierre et Paul évoluent ensemble côte à côte et les séparer ici n’a pas vraiment de sens. Nous avons vu que, dans l’art paléochrétien de la fin du ive  siècle, ils étaient représentés unis dans une figure que l’on appelle la concorde apostolique. Or, comme Paul, Pierre aurait pu dire : « Je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas. »

Il existe donc une ambiguïté chez Pierre : tout en étant la pierre de fondation, il nous semble être aussi la pierre d’achoppement, selon les mots d’Isaïe : « Une pierre que l’on heurte, un roc d’achoppement. » On observe d’ailleurs un effet de miroir inversé saisissant entre l’apôtre, qui dit à la servante du palais de Caïphe ne pas connaître Jésus, et Judas qui, lui, le reconnaît bel et bien, de surcroît par un baiser! Pierre aurait pu se lamenter sur son reniement et se pendre comme Judas. Au contraire, il reçoit le pardon de Jésus malgré son indignité. Cet épisode du reniement constitue ainsi, selon l’École biblique de Jérusalem, « l’essence de l’Évangile – à savoir le pardon offert gratuitement aux pécheurs ». Ce qui confirme la centralité de Pierre dans le récit évangélique. D’ailleurs, bien avant le reniement, Pierre n’est-il pas l’apôtre qui entend la règle du pardon sans limite dans l’Évangile de saint Matthieu ? Alors qu’il demande à Jésus combien de fois il faut pardonner à celui qui pèche, Jésus répond : « Soixante-dix-sept fois sept fois. »

En acceptant la miséricorde de Dieu, Pierre est l’exact inverse du traître aux 30 deniers qui, pétri d’orgueil et de narcissisme, se donne la mort. La trahison du prince des Apôtres n’est donc pas son dernier mot : dans l’ultime chapitre de l’Évangile de Jean, au bord du lac de Tibériade, il témoigne de son amour par trois fois. Comme dans la tragédie grecque, l’âme troublée de Simon Pierre est finalement apaisée.

Avec le temps, dans les Actes des Apôtres, mais aussi dans la Tradition, l’apôtre chemine et s’identifie au Christ par ses miracles, sa façon de s’exprimer, sa mission et son enseignement. Une identification qui atteint son point ultime par son martyre à Rome, à la fois témoignage et sceau pour le devenir de l’Église. À l’époque, le rôle si particulier du premier apôtre est défini par la tradition orale qui préside à l’élaboration des Évangiles, en dehors de celui de Marc dont on a vu qu’il ne souhaitait pas mettre en avant le rôle de Simon Pierre. De son côté, Luc, auteur des Actes, en fait le porte-parole du groupe des disciples et surtout le messager de la Bonne Nouvelle, c’est-à-dire de la foi en Jésus-Christ et en sa Résurrection.

L’investiture

À cet égard, on cite toujours la fameuse phrase qui est à la base de la coupole de la basilique Saint-Pierre, « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église », en oubliant les deux autres passages des Évangiles qui sont aussi déterminants pour la place spécifique occupée par le simple pêcheur : celui de Luc, peu avant la Passion, et le dernier chapitre de Jean. Chez le premier, le rôle de Pierre est d’affermir ses frères dans la foi. Il s’agit donc d’une mission et d’une œuvre d’exhortation : il est l’unique mandataire de cette mission. Chez Matthieu, Pierre est la pierre de fondation : « Le premier rôle [défini par Luc] est actif et il se prolonge ; le second [défini par Matthieu] est acquis une fois pour toutes. » Enfin, chez Jean et sa communauté qui aspire à l’espérance, il existe une prise de conscience de la place spécifique de l’apôtre à travers la triple question de Jésus : « Pierre, m’aimes-tu? » et son commandement : « Fais paître mes agneaux. » Cette question apparaît surtout comme un acte d’investiture, voire un ordre : l’apôtre doit ainsi guider et gouverner le troupeau. Il devient missionnaire et pasteur. Les trois extraits (Matthieu, Luc, Jean) se complètent donc dans une Tradition apostolique unanime sur le rôle de Pierre et qui « ne peut s’expliquer que si elle remonte à Jésus lui-même ».

Dans le catholicisme, le mystère du choix de Pierre se dissipe ainsi par cette évidence d’une unité nécessaire par-delà toutes les nations, au nom de l’universalité. Son rôle ambigu à Antioche, schématiquement entre les judéo-chrétiens et les gentils, apparaît non plus comme un geste « politique » ou le fruit de sa faiblesse, comme le lui reproche Paul, mais comme la raison d’être de sa mission : l’objectif était visiblement de ne pas se séparer de la communauté judéo-chrétienne ou d’empêcher que celle-ci se sépare d’elle-même. Il s’agissait d’éviter en somme ce qu’on appellerait un schisme ou une déchirure, en préservant l’unité. Tel est aussi le rôle de la pierre de fondation et des successeurs de Pierre des origines à nos jours.

De l’ensemble des apôtres, nous dit Yves Congar, Pierre a donc été mis à part par le Messie, mais sans pour autant être isolé. Certes, les Douze reçoivent aussi le pouvoir de lier et de délier, mais Pierre seul possède le pouvoir des clés. Si les onze autres sont également des pasteurs, lui seul reçoit la charge du troupeau tout entier. Enfin, même si les apôtres peuvent témoigner et enseigner, Pierre acquiert seul le privilège d’affermir ses frères. Ce qui fait de lui et de ses successeurs le point de référence de la foi et le centre de la communion catholique : le garant de l’unité.

L’évidence

À cet égard, dans la basilique Saint-Pierre à Rome, le tombeau de l’apôtre authentifié par le pape Pie XII en 1950 se trouve comme emboîté dans une succession de constructions réalisées au fil des siècles. Sa tombe est en effet enchâssée dans le mémorial marmoréen de l’empereur Constantin (†  337), lui-même surplombé des autels édifiés par les papes Grégoire († 604), Calixte II (†  1124) et Clément  VIII (†  1605). Ainsi enfoui, le fameux tombeau n’est aujourd’hui visible que de ses côtés : derrière une protection vitrée, on peut contempler la colonnette de marbre du trophée de Gaius à gauche et le fameux mur des graffitis à droite, où l’on a retrouvé les os supposés de l’apôtre. La tombe de Pierre n’est pas ici seulement une clé de voûte, mais le socle ou le soubassement d’où part un axe parfait, traversant l’ensemble des autels superposés, puis le baldaquin du Bernin, et enfin la croix de la coupole de Michel-Ange. Avec une force symbolique étonnante, la tombe de l’humble pêcheur de Galilée est ici le centre sur lequel tout l’édifice repose et vers lequel tout converge. À travers les siècles, elle est elle-même devenue une pierre de fondation et le signe de l’unité des chrétiens. Ce qui, pour l’Église catholique, constitue un élément supplémentaire symbolisant la vocation unique et manifeste du premier apôtre et de ses successeurs, dans une histoire faite de grandeurs et de petitesses, de tragédies mais aussi de gloires.

A lire aussi : Martyre de Saint Pierre : les conséquence dramatiques de l’incendie de Rome sous le règne de Néron pour la communauté chrétienne

Extrait du livre de Christophe Dickès, « Saint Pierre. Le mystère et l’évidence », publié aux éditions Perrin.

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