Ces mensonges présidentiels qui ont marqué la Ve République<!-- --> | Atlantico.fr
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L’ouvrage collectif « Mensonges d'Etat : Une autre histoire de la Ve République » est publié sous la direction d’Yvonnick Denoël et de Renaud Meltz chez Nouveau Monde éditions.
L’ouvrage collectif « Mensonges d'Etat : Une autre histoire de la Ve République » est publié sous la direction d’Yvonnick Denoël et de Renaud Meltz chez Nouveau Monde éditions.
©DSK / AFP

Bonnes feuilles

L’ouvrage collectif « Mensonges d'Etat : Une autre histoire de la Ve République » est publié sous la direction d’Yvonnick Denoël et de Renaud Meltz chez Nouveau Monde éditions. Le mensonge d'État ne créé pas seulement la défiance : il empêche un pays d’être véritablement libre, en ne lui permettant pas de se gouverner en toute connaissance de cause. Extrait 1/2.

Renaud Lecadre

Renaud Lecadre

Renaud Lecadre est journaliste à Libération depuis trente ans, en charge des affaires juridico-politico-financières. Il est coauteur de Histoire secrète de la Ve République (La Découverte, 2007) et de Histoire secrète de la corruption sous la Ve République (Nouveau Monde éditions, 2014).

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«Dans les yeux, je la conteste.» La réplique de François Mitterrand face à Jacques Chirac, lors de leur débat télévisé entre les deux tours de l’élection présidentielle en 1988, est devenue culte. Le président sortant répondait à l’interpellation de son Premier ministre devenu challenger: «Pouvez-vous contester ma version des choses en me regardant dans les yeux?» Chose aussitôt faite, toutefois avec un regard fuyant… Devant des millions de téléspectateurs-électeurs, l’un des deux candidats à la magistrature suprême aura menti aux Français. À moins que l’un comme l’autre n’aient biaisé avec la vérité, mentant à tour de rôle.

Le contexte initial, c’est l’attentat de la rue de Rennes, à Paris, en septembre 1986, visant un magasin Tati et faisant 7 morts et 55 blessés. Il est rapidement attribué au Hezbollah libanais, du moins à l’une de ses branches, le «Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient». Il s’agit pour ce dernier de punir la France qui détient alors plusieurs terroristes en prison, mais aussi pour son soutien à l’Irak, alors en guerre contre l’Iran. Chargé de l’enquête, le juge d’instruction Gilles Boulouque souhaite entendre un membre de l’ambassade iranienne à Paris, Wahid Gordji, qui aurait pu apporter un soutien, au moins moral, à défaut de logistique, aux auteurs de l’attentat. Gordji refuse de comparaître et se barricade au sein de son ambassade, entraînant la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays.

Se greffe à cette histoire la prise d’otages, en mai 1985, de quatre Français au Liban – le journaliste Jean-Paul Kauffmann, le sociologue Michel Seurat, les diplomates Marcel Carton et Marcel Fontaine – par le Hezbollah. Ils seront libérés dans la dernière ligne droite de la présidentielle 1988, quatre jours après la passe d’armes Mitterrand-Chirac. Parmi les conditions de leur retour en France figurait le retour en Iran de Wahid Gordji. Ce qui avait été fait quatre mois plus tôt, après un simulacre d’audition par la justice française, sans retenir la moindre charge contre lui.

François Mitterrand avait donc tort de reprocher à Jacques Chirac d’avoir laissé filer un terroriste qui n’en était pas un. Mais il avait raison à propos de la libération d’un autre détenu bien plus emblématique, l’authentique terroriste Anis Naccache – condamné à perpétuité pour l’assassinat, en juillet 1980, de l’ancien Premier ministre iranien Chapour Bakhtiar, en exil à Paris. Ironie de l’histoire, il ne sera renvoyé en Iran qu’en juillet 1990, par un décret de grâce présidentielle signé… Mitterrand. Le très pasquaïen Jean-Charles Marchiani, négociateur initial du deal au nom de la chiraquie, se sera dévoué pour assurer à l’Élysée le service après-vente auprès du président finalement réélu, en lui demandant d’honorer la promesse initiale de Chirac sur la libération de Naccache. Le dessous des cartes sera finalement dévoilé dans le troisième tome de La décennie Mitterrand, livre des journalistes Pierre Favier et Michel Martin-Roland, qui ont obtenu la confession de Marchiani.

La Ve République n’a pas attendu l’improbable tandem Mitterrand-Chirac pour être saisie par la problématique d’un président menteur. Le général de Gaulle aura inventé ce que l’historien Jean-Pierre Azéma qualifiera de «mensonge patriotique», comme son fameux «Paris libéré par lui-même», en août 1944, un tantinet exagéré, mais excellent coup de bluff permettant de flatter une certaine idée de la France, puis de s’asseoir à la table des nations ayant gagné la guerre. Tout comme le mythe de la vraie France dont le cœur battait à Londres.

Plus problématique, son tout aussi célèbre discours d’Alger, en juin 1958, une fois désigné à l’Élysée (voir chap. 4): «Je déclare qu’à partir d’aujourd’hui, la France considère que, dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants: il n’y a que des Français à part entière.» On connaît la suite: indépendance de l’Algérie à peine quatre ans après. Le général confiera plus tard au journaliste André Passeron: «Imaginez qu’en 1958, quand je suis revenu au pouvoir, je dise sur le forum qu’il fallait que les Algériens prennent eux-mêmes leur gouvernement, mais il n’y aurait plus eu de De Gaulle dans la minute même!»

Son successeur, Georges Pompidou, n’aura guère l’occasion de raconter des mensonges. On lui reprochera un manque de transparence sur son état de santé, sur le cancer qui handicapera la fin de son mandat présidentiel. Le même reproche sera fait à François Mitterrand.

Passons au locataire suivant de l’Élysée, Valéry Giscard d’Estaing, dont la fin de mandat sera polluée par l’affaire des diamants offerts par Jean-Bedel Bokassa, dictateur de la Centrafrique renversé en 1979 avec l’aide de l’armée française. Pour sa défense, VGE ne démentira jamais formellement avoir reçu les diamants en question (ainsi que des défenses d’éléphant), minorant simplement la valeur de ces offrandes dans un communiqué officiel de la présidence de la République.

La double présidence de Jacques Chirac est polluée par son ancienne fonction de maire de Paris: l’affaire des emplois fictifs. Le président en exercice se contentera de tenter de dégonfler cet authentique scandale de la vie politique – l’usage des moyens municipaux de la capitale à des fins partisanes ou amicales – en usant de quelques expressions qui feront sa réputation, comme «pschitt» ou « abracadanbrantesque», suggérées par son principal conseiller, Dominique de Villepin, s’inspirant de Rimbaud dans le second cas. Défense classique et légitime d’un prévenu mis en cause pénalement, cherchant à minorer les faits. Ce qui ne l’empêchera pas d’être condamné à deux ans de prison avec sursis en 2011, une fois achevé son bail à l’Élysée, sans toutefois passer par la case prison.

Le rapport de Jacques Chirac avec la vérité, caricaturé en son temps en président «super-menteur» par «Les Guignols de l’info » sur Canal Plus, est un vrai point d’interrogation. L’impétrant proclamait en avril 1988, dans l’hebdomadaire Le Point: «Le mensonge est une pratique détestable contre laquelle nos démocraties occidentales sont largement protégées grâce, notamment, aux médias.» Douze ans plus tard, il s’emportera sur France 3 après la publication par Le Monde d’un entretien post mortem de Jean-Claude Méry, faux facturier de la mairie de Paris: «Je suis indigné par le procédé, indigné par le mensonge.» Mais c’est davantage l’ancien maire que le président de la République qui aura jonglé avec maestria avec la vérité.

Avec le quinquennat de Nicolas Sarkozy, on passe au niveau supérieur. Il peut être considéré comme le plus grand «baratineur» de la Ve République. Avec ce bémol : c’est moins le président en exercice que le candidat récurrent (aux présidentielles de 2007 et 2012, à la présidence puis à la primaire de l’UMP en 2016) qui est en cause. Mais tout de même: si le locataire de l’Élysée s’est à peu près bien tenu le temps de son mandat, le candidat à la fonction aura parfois raconté n’importe quoi durant une dizaine d’années.

Passons rapidement sur sa promesse de campagne d’une retraite dans un monastère en cas d’élection à la présidence de la République, afin de mieux «habiter la fonction». On sait ce qu’il en sera : soirée bling-bling au Fouquet’s puis vacances sur le yacht de l’homme d’affaires Vincent Bolloré. Il y a plus monastique.

Le candidat en campagne est capable de se surpasser. Ainsi en novembre 2014, ambitionnant la présidence de l’UMP (qu’il transformera en LR), tapant à bras raccourcis sur la gauche, surfant sur le thème de l’insécurité lors d’un meeting à Toulouse: «On était dans une situation où Jospin avait dit à une dame qui avait peur dans le métro: Madame, vous n’avez pas peur, vous avez l’impression d’avoir peur.» La citation est non seulement apocryphe, mais tronquée. À la base, un propos de Daniel Vaillant, en février 2002, alors ministre de l’Intérieur du gouvernement Jospin, sous la troisième cohabitation: «Il n’y a pas de sentiment d’insécurité sans insécurité réelle, même s’il peut y avoir un sentiment d’insécurité qui dépasse l’insécurité réelle.» On comprend qu’il tente alors de ménager la chèvre et le chou. Non content de tronquer, voire de travestir la citation, Sarkozy l’attribue à Jospin. Quant à la scène du métro, elle sort directement de l’imagination de son cerveau fertile. Un pur mensonge, une pseudo-anecdote peaufinée, affinée, répétée ad nauseam de meeting en meeting, pour produire davantage d’effet auprès des militants. La rubrique Désintox du quotidien Libération détaillera en son temps l’escroquerie intellectuelle, que le site Huffington Post résumera ainsi: «Se tromper une fois, c’est une erreur; se tromper à chaque fois, c’est un mensonge.» Nicolas Sarkozy se flattait d’être le meilleur rempart contre l’extrême droite. De fait, lors de ses deux candidatures présidentielles, le FN (aujourd’hui RN) n’avait pu se qualifier au second tour. Mais pas de quoi proclamer en meeting: «À chaque fois qu’il a fallu choisir entre nous et la gauche, Marine Le Pen a choisi la gauche!» Alors que la présidente d’extrême droite, lors de la présidentielle 2012, avait publiquement annoncé son vote blanc au second tour, renvoyant Nicolas Sarkozy et François Hollande dos à dos. Un mensonge de plus.

Plus technique est cette promesse faite à des ouvriers d’EDF en casques de chantier en avril 2004, alors que Sarkozy est ministre des Finances: «On ne viendra pas à la privatisation, c’est clair, simple et net; il n’y aura pas de privatisation d’EDF et de Gaz de France, c’est clair, c’est simple et c’est net.» Un an plus tard, 15 % du capital de l’électricien public était mis en Bourse. Une mini-privatisation, tout de même. Dans un autre registre, Nicolas Sarkozy s’est un jour flatté d’avoir revitalisé l’emploi à Metz, localité visée par la suppression de 5 000 postes au sein de l’armée française. Pour compenser cette perte, «ils m’ont demandé de transférer une administration. Je leur ai dit, je vais faire mieux, je vais vous faire Beaubourg à Metz. Un an après, un million et demi de visiteurs!» En réalité, la décision d’implanter en Moselle une antenne du musée d’art contemporain remonte à 2003, la première pierre étant posée en 2006, Nicolas Sarkozy n’y étant strictement pour rien. Quand il prononce cette phrase en 2014, deux hypothèses: soit il est définitivement fâché avec les dates, soit il falsifie volontairement l’histoire. La liste des contre-vérités de Nicolas Sarkozy est si longue qu’elle lui vaudra en 2015 le prix du «meilleur menteur en politique» de l’année 2014.

Avec François Hollande puis Emmanuel Macron, on bascule plutôt dans la réécriture, sous l’angle le plus flatteur possible, des indicateurs macro-économiques de la France. Pas de gros mensonges, donc, plutôt de petits ou grands arrangements avec la réalité, car on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Mais pour débusquer le faux, il faut désormais entrer dans la technique. Exemple avec François Hollande, dans un entretien à L’Obs en octobre 2016, dans la dernière ligne droite de son mandat avant de renoncer à concourir à sa réélection : « 500 000 personnes qui avaient cotisé plus de quarante-deux années sont parties à la retraite dès 60 ans et non à 62 ans.» On le sait, ceux qui ont dû commencer à travailler tôt, dès 16 ou 18 ans, sans avoir la chance de faire des études, doivent cotiser bien plus longtemps que les bac + 5 avant de pouvoir bénéficier d’une pension. Mais le chiffre mentionné par Hollande est doublement faux : il n’est que de 260 000 au moment où il s’exprime, les 500 000 visant non pas les carrières longues mais les métiers pénibles pouvant bénéficier d’une retraite anticipée. On est ici davantage dans l’approximation que dans le mensonge, mais à trop vouloir s’autojustifier…

Emmanuel Macron, communicant en diable, est orfèvre en la matière. Au printemps 2022, en pleine campagne pour sa réélection, il proclame: «Grâce aux réformes menées (sous son premier quinquennat, ndr), notre industrie a pour la première fois recréé des emplois.» Les statistiques disent l’inverse: 38 000 emplois industriels supprimés depuis 2017. Mais Macron joue alors avec les mots: l’industrie française passe son temps à supprimer des emplois depuis un demi-siècle, mais il peut lui arriver d’en créer de temps en temps. Tout est question de solde, fatalement négatif.

Les présidents de la République, tout comme n’importe quel ministre ou décideur public, sont désormais scrutés, dans les médias ou réseaux sociaux, par de multiples services de fact-checking (vérification des faits, dans la langue de Molière) ou démêlage du vrai du faux. Ils ne peuvent plus raconter n’importe quoi, notamment en matière financière, sanitaire ou environnementale, sans être pris sur le fait. Donnons la parole, pour finir, à Jacques Chirac, ce grand sachant en la matière. On lui doit cette autre formidable citation: «Faites attention, la statistique est toujours la troisième forme du mensonge!» Une façon d’embellir ou de noircir un bilan politique. Mais celle-ci provient initialement de l’écrivain Mark Twain: «Il y a trois sortes de mensonges. Les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques.»

Renaud Lecadre

Extrait de l’ouvrage collectif, « Mensonges d'Etat : Une autre histoire de la Ve République », publié sous la direction d’Yvonnick Denoël et de Renaud Meltz chez Nouveau Monde éditions

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