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Ces médicaments légaux aussi puissants et mortels qu'une drogue dure
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Faux-amis

Certains médicaments contiennent des substances opiacées qui, prises en surdose, peuvent procurer les mêmes effets que l'héroïne.

Jean Costentin

Jean Costentin

Jean Costentin est membre des Académies Nationales de Médecine et de Pharmacie. Professeur en pharmacologie à la faculté de Rouen, il dirige une unité de recherche de neuropsychopharmacologie associée au CNRS. Président du Centre National de prévention, d'études et de recherches en toxicomanie, il a publié en 2006 Halte au cannabis !, destiné au grand public.

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Atlantico : Un britannique est récemment mort après avoir pris un opiacé synthétique légal dont les effets sont comparables à l'héroïne. Ce risque est-il plus répandu qu'on l'imagine ?

Jean Constentin : De nombreux décès de toxicomanes ont récemment été rapportés comme étant liés à l'utilisation d'un morphinique de synthèse, soit isolément, soit associé à l'héroïne. Il s’agit d’un médicament puissamment analgésique, utilisé soit comme adjuvant de l’anesthésie générale, pour des interventions très douloureuses, soit comme analgésique dans des douleurs d’une grande intensité (dans certains cancers évolués par exemple). Ce médicament est le FENTANYL, utilisé soit en solution injectable, soit en patchs transdermiques (Durogésic®), soit en  losanges transmucosaux  (Actiq ®) appliqués entre joue et gencive pour une résorption du principe active par la muqueuse buccale. Ce produit est 500 fois plus puissant que la morphine, il suffit de très faibles concentrations sanguines (1 microgramme par litre / un millionième de gramme par litre de sang pour assurer une analgésie puissante. La dose létale (qui tue donc) chez l’Homme est d’environ 2 milligrammes ! Elle donne lieu à des effets incapacitants, elle induit des troubles délirants, une somnolence, elle est euphorisante et bien sûr analgésique ; elle produit à dose élevée une dépression respiratoire qui est à l’origine du décès. Le Fentanyl diffère chimiquement de la morphine (c’est une anilino-pipéridine, là où la morphine est un dérivé du noyau morphinane) mais elle agit selon le même mécanisme que la morphine ou son dérivé  l’héroïne ; elle stimule des récepteurs mu /µ  (mu comme morphine). Certains dérivés du Fentanyl sont encore plus puissants que lui (sufentanyl, carfentanyl, lofentanyl…) le carfentanyl est 10.000 fois plus puissant que la morphine. Certains de ces agents ont été envisagés comme toxiques de guerre, qui pourraient être pulvérisés sur le champ de bataille ; ou utilisés comme incapacitants pour précéder une intervention des forces spéciales. On se souvient peut-être des 800 otages d’un théâtre de Moscou, en 2002. Avant de lancer l’assaut, le GIGN version Russe, avait pulvérisé un tel dérivé, mais avait trop dosé la solution, puisqu’un certain nombre d’otages et de terroristes en moururent, au-delà des victimes des balles échangées…

Ainsi on a, avec ce Fentanyl, un  exemple, parmi d’autres, de médicament pouvant être dévoyé, soit à des fins toxicomaniaques, soit à des fins agressives ou défensives. Cet agent, en tant que médicament est irremplaçable, par l’intensité de son effet, au-delà de ceux disponibles ; il ne saurait être diabolisé. Il importe par contre d’éviter ses détournements. C’est le lot de la plupart des découvertes, y compris des meilleures d’entre elles. 

D'autres médicaments peuvent-ils provoquer des "overdoses" comme les drogues dures ?

Le terme "overdose" se traduit en français par surdosage, ce qui correspond à une posologie très supérieure aux posologies usuelles. Cela peut s’observer du fait d’une erreur, ou bien d’une tentative d’autolyse (suicide), ou bien, pour certains agents pharmacologiques dont l’usage induit une sensation de plaisir, au dessein de rendre celui-ci le plus intense possible ; nous sommes dans ce dernier cas de figure dans le domaine des drogues et des toxicomanies.

"Le poison est dans la dose" et il n’est presque aucun médicament qui, utilisé à des doses extravagantes, ne puisse être toxique. Même l’eau, bue de façon inconsidérée, peut créer de graves désordres (dilution des composants du sang et des autres liquides de l’organisme, avec œdème cérébral, troubles du rythme cardiaque…).

On définit pour chaque médicament un "coefficient chimio thérapeutique" ; il correspond au rapport existant entre la dose efficace et la dose toxique. Pour la banale aspirine ses doses analgésiques chez l’adulte se situent autour de 0,5 gramme par prise, alors que la dose toxique est supérieure à 5 grammes (coefficient donc supérieur ou égal à 10). Pour la digitaline, qui a fait florès dans le traitement de l’insuffisance cardiaque, elle a été depuis quelques années retirée de la pharmacopée en raison d’un coefficient de l’ordre de 2 seulement ; elle était efficace chez certains patients à une dose où elle était déjà toxique pour d’autres ; comme on dispose désormais d’autres médicaments aussi efficaces, voire plus efficaces, avec un bien meilleur coefficient chimio-thérapeutique, ils se sont imposés ; exit donc la digitaline.

Y a-t-il de plus en plus de médicaments présentant ce risque ?

La palette des possibilités s’élargissant, le choix des médicaments commercialisés se porte naturellement sur ceux qui ont le coefficient le plus élevé, on dit encore la meilleure "marge thérapeutique". Aussi le nombre de ces médicaments dangereux se réduit. Le domaine de la cancérologie en rassemble un certain nombre, détruire la cellule cancéreuse en respectant la cellule normale est un exercice difficile et encore imparfaitement pratiqué.

Est-ce bien noté sur la notice ?

Oui, bien sûr, dans ce cas la notice insiste sur le respect de la dose. Ces médicaments comportent une législation qui les réserve à la prescription médicale ; certains comportent sur la boite un carré vert (liste 2), permettant avec une ordonnance ancienne de s’en faire délivrer une nouvelle boite par le pharmacien, à distance de la délivrance précédente ; d’autres comportent un carré rouge (liste 1), qui ne permettra pas, avec une ordonnance ayant déjà été utilisée, d’obtenir un renouvellement de la dispensation ; d’autres enfin, les "stupéfiants", agents ayant un potentiel toxicomanogène, double cadre rouge, feront l’objet d’une prescription par une ordonnance sécurisée, pour une durée limitée, sans réutilisation possible, avec une gestion particulière du pharmacien pour ses commandes, le suivi de ses "entrées" et "sorties", la détention en coffre fort...

Pour cet analgésique banal qu’est le paracétamol (Efferalgan®, Tylenol®, Dafalgan®, Doliprane®….) on sait qu’une prise massive (de plus de 10 grammes par jour), peut déterminer une toxicité pour le foie, qui serait mortelle ; aussi, chaque conditionnement comporte une dose totale inférieure à cette dose (8g).

C’est le constat d’assez nombreux suicides "réussis", en Europe du Nord, par consommation de doses élevées d’un analgésique  d’activité morphinique, le dextropropoxyphène, qui a conduit à son retrait du marché il y a quelques années.  

Quelles précautions prendre ?      

L’encadrement de tels médicaments doit être rigoureux, les pharmaciens sont bien formés à cela. Le respect des doses est impératif. Les patchs utilisés, qui contiennent encore une certaine quantité de principe actif, ne doivent pas être abandonnés n’importe où, mais ramenés à la pharmacie qui assurera, le cas échéant, une nouvelle délivrance à partir d’une nouvelle prescription.

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