Ces vraies leçons (parfois inattendues) du sarkozysme que la droite serait bien inspirée de retenir pour 2027<!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy
Nicolas Sarkozy
©ALFREDO ESTRELLA / AFP

Objectif 2027

Nicolas Sarkozy vient de publier un nouveau livre, "Le temps des combats", où il dévoile sa vision du monde et de la politique.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Nicolas Sarkozy dévoile sa vision du monde et de la politique dans un livre paru ce samedi, Le temps des combats. L’ancien président était le dernier à avoir réussi à renouveler le logiciel de la droite, avec une incarnation par le trio Buisson, Guaino, Mignon. Que reste-t-il de cette vision, et du Sarkozysme aujourd’hui, à droite et chez Nicolas Sarkozy lui-même, qui adoube Gérald Darmanin ?

Christophe de Voogd : Précisons d’emblée que je n’ai lu que les « bonnes feuilles » de ce livre. Je ne me prononcerai donc pas dessus mais sur l’héritage de Nicolas Sarkozy pour aujourd’hui. Ayant renoncé à toute ambition politique n’appartient-il pas d’ailleurs à l’histoire de France et non à son avenir ? Et ayant soutenu à maintes reprises l’actuel président de la République, ayant abandonné l’an dernier la candidate de son propre camp, du parti qu’il avait fondé et présidé, n’a-t-il pas renoncé lui-même à la droite ? Son coup de pouce à Gérald Darmanin confirme son virage personnel vers ce que l’on pourrait appeler un « soutien critique » au macronisme, avec une liberté de parole toujours intéressante, que lui permet son statut d’ancien chef de l’Etat et que lui dicte son tempérament. Mais ce soutien ne lui permet plus d’incarner la droite pour une raison très simple : le macronisme n'est de droite dans aucun domaine quand on regarde, au-delà des mots (changeants d’ailleurs) les politique effectivement menées; social-démocrate en matière économique et sociale avec un keynésianisme pur jus, « progressiste » en matière sociétale jusqu’à une certaine complaisance avec le wokisme, et indifférent aux préoccupations régaliennes comme le montrent sa politique pénale et le record historique de l’immigration ; le tout enrobé dans un saint-simonisme technocratique qui est la marque propre du régime. Ce qui rendrait à mes yeux artificielle et improductive (voire fatale pour elle) toute coalition de la droite avec la majorité actuelle, comme le préconise Nicolas Sarkozy

Son soutien à Emmanuel Macron peut s’expliquer par des considérations personnelles, que j’appelle le « syndrome du successeur », à savoir la difficulté à adouber un héritier immédiat dans son propre camp (on l’a vu aussi bien en 2017 qu’en 2022), en même temps que son admiration pour la « disruption » macronienne qui lui rappelle la sienne. Il pourrait bien en être de même pour son choix quasi explicite pour Gérald Darmanin en 2027, dès lors que Emmanuel Macron n’est plus rééligible : par son origine hors « establishment », son ascension foudroyante, son culot, enfin la similitude des parcours, de maire à ministre de l’Intérieur, Gerald Darmanin a tout pour être le digne fils spirituel de Nicolas Sarkozy, désormais retiré des affaires. Ceci me paraît bien plus déterminant que l’affinité idéologique chez ces deux pragmatiques extrêmes qui ne s’embarrassent guère de grands principes doctrinaux, mais qui savent rallier les compétences intellectuelles et « sentir le moment ».

A ce sujet, il faut rappeler le travail remarquable de doctrine et de formulation accompli avant la victoire de 2007. Les historiens détermineront quelle est la part de qui dans ce résultat exemplaire entre Patrick Buisson, Henri Guaino et Emmanuelle Mignon. L’essentiel est que Nicolas Sarkozy ait alors su rompre avec le chiraquisme mou dans lequel s’enlisait la droite française. Durablement, là est la question.

A propos de Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy a déclaré "Elle connaît mieux ses dossiers et sait les exposer avec davantage de calme, de force et de modération. Je n’ai jamais aimé sa diabolisation". L’ancien président a pourtant toujours été ferme sur son attitude par rapport à l’extrême droite et la démarcation avec celle-ci. Quelle peut être la bonne stratégie pour la droite en vue de 2027 face au RN ?

Christophe de Voogd : Curieusement c’est peut-être sur ce point – le traitement du « problème RN » - que Nicolas Sarkozy me paraît avoir été le plus constant et le plus cohérent, et son précédent encore utile pour la droite d’aujourd’hui. Je confirme qu’il n’avait en effet pas joué la carte de la « diabolisation » du RN (alors FN), ni en 2007 ni en 2012. Il lui avait simplement, si j’ose dire, « retiré le tapis sous les pieds » en s’adressant à l’électorat frontiste en lui parlant de ses vraies préoccupations : pouvoir d’achat et sécurité (matérielle et culturelle). Cela avait marché à merveille en 2007 et entraîné l’effondrement de Jean-Marie Le Pen; moins nettement en 2012, face à sa fille, désillusion oblige après un quinquennat contrasté, une grave crise économique et un cap bien moins clair pour le deuxième mandat que pour le premier. Mais, l’on oublie un peu vite que les « experts » nous avait prédit, des mois durant, un « 21 avril à l’envers », le candidat frontiste devant cette fois, devancer la droite, après avoir devancé la gauche en 2001. Résultat : 9 points d’avance au 1er tour pour Nicolas Sarkozy sur Marine Le Pen. Ces temps paraissent aujourd’hui bien lointains... 

Ma conviction est qu’au-delà des spéculations sur « une union des droites » (que le programme économique et européen du RN rend impossible, et non son programme sécuritaire/identitaire qui n’effraie désormais que le « micoscosme »), la victoire de la  droite classique - dans ou hors LR -  passe par un discours décomplexé : c’est-à dire mettant en avant ses fondamentaux idéologiques (liberté, autorité, responsabilité, ordre, intérêts nationaux) mais dans un langage direct et selon un agenda précis et crédible qui soit adapté aux grands défis de l’heure ; or ces enjeux ont beaucoup évolué depuis 2007. On le mesure sur l’Ukraine où Nicolas Sarkozy met totalement « à côté de la plaque », comme aurait dit le Général de Gaulle. Plus graves, les soupçons de conflits d’intérêt dans ses relations avec la Russie jettent une ombre sur sa position très conciliante avec Poutine. Le « réalisme » dont il se revendique en la matière devient sujet à caution, même dans son propre camp. Plus généralement « le droit d’inventaire » que réclamait Lionel Jospin à l’égard de François Mitterrand pourrait bien s’exercer à droite à l’égard du quinquennat Sarkozy. La rupture promise a-t-elle été durable ? le naturel (étatiste) n’est-il pas vite revenu au galop ? Et les concessions à la gauche en matière de politique pénale, mais aussi sociale avec le ruineux compromis sur la SNCF notamment, ont très vite signer une forme de renoncement; d’autant que trop de ministres venus de l’autre camp incarnaient une « ouverture » dont des sarkozystes historiques étaient exclus, comme le rappela alors amèrement le regretté Patrick Devedjian. Bref, si le bilan de Nicolas Sarkozy est indiscutablement le meilleur - ou le moins mauvais - des présidents français des 25 dernières années, l’homme n’est plus vraiment en capacité de peser sur l’avenir du pays et même de la droite.

Quelles leçons du sarkozysme la droite devrait-elle tirer ? 

Christophe de Voogd : En fin de compte les trois vraies leçons à tirer pour la droite du précédent sarkozyste me paraissent être les suivantes :

1/ « Courir dans son couloir » comme en 2007 et rejeter aussi bien l’intimidation venue de l’extrême-gauche que les appels du pied venus de l’extrême-droite.

2/ Proposer comme Nicolas Sarkozy à son époque une « rupture » franche avec la présidence actuelle et l’enlisement mortifère du « en même temps ». Mais il faudra cette fois-ci que cette rupture soit durable ; ce qui exigera une force d’âme peu commune face aux vents contraires.  

3/ Mais, du coup, il faudra savoir ne pas retomber dans les demi-mesures du passé ; et donc aussi rompre avec le sarkozysme comme Nicolas Sarkozy a si bien su le faire avec le chiraquisme. D’où la nécessité d’une refondation doctrinale et programmatique que semble enfin avoir compris LR avec le lancement des « Etats généraux de la droite ». Mais n’est-il pas déjà bien tard ? Et les tiraillements au sein du parti ne vont-ils pas, une fois de plus, empêcher l’accouchement d’un corpus convaincant ? Quant aux principales figures de la droite, tandis que Laurent Wauquiez reste discret, que Xavier Bertrand consulte tous azimuts, il semble que David Lisnard ait pris une longueur d’avance avec le travail déjà approfondi de sa « Nouvelle Energie » qui est en train de prendre une dimension nationale. 

Quoiqu’il en soit, la droite a intérêt à être vite en état de penser et de marcher si elle veut interrompre la série noire de se ses échecs électoraux: qui peut garantir en effet que dans l’état de blocage institutionnel et de crise civique où se trouve le pays, des bouleversements nationaux justement (reconfiguration politique radicale ? législatives anticipées ? référendum ?) ne se produisent pas plus tôt que prévu ?  

Christophe de Voogd est normalien et docteur en histoire, spécialiste des idées et de la rhétorique politiques qu’il enseigne à Sciences Po et à Bruxelles.

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