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Celui qui éructe mais négocie…et l'autre : pourquoi les postures de Donald Trump et d'Emmanuel Macron sont encore beaucoup plus inversées qu'il n'y paraît de prime abord
©ALAIN JOCARD / AFP

Double Janus

Entre le mot et l'action, il y a un décalage que Trump et Macron ont su bien saisir. Le premier menace avant de passer aux négociations. Le second prône le dialogue mais claque des portes une fois les discussions venues.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Ce mardi 19 septembre a été marqué par les discours Donald Trump et d’Emmanuel Macron à l'occasion de l'Assemblée générale de l’ONU. En quoi peut on voir une opposition de forme entre les deux présidents, l'un semblant brandir la menace avant de négocier, le second prônant le respect et le dialogue tout en pouvant arriver au "clash" comme cela a pu être le cas avec la Pologne? 

Rémi Bourgeot : Ces deux discours semblent effectivement traduire deux approches diamétralement opposées. Commençons toutefois par noter la contradiction inhérente au discours de Donald Trump, centré d’un côté sur la souveraineté des Etats-nations et de l’autre sur la menace d’intervention tous azimuts. Dans certains cas, la menace précède effectivement une démarche de négociation, mais en ce qui concerne les cas cités dans ce discours, il semble davantage s’agir de gages donnés à la composante la plus interventionniste de son parti, proche du néoconservatisme. Le cas iranien est particulièrement marquant, l’approche de Donald Trump sur le sujet renvoyant à la fixation d’une large frange du parti, viscéralement hostile à l’ouverture pourtant prudente de Barack Obama en la matière et restant comme figée en 1979. Ces fixations ne correspondent probablement pas à l’approche personnelle de Trump, mais son apparence d’adhésion à ces thèmes indique une volonté de ménager l’orthodoxie républicaine en matière géopolitique. 

Il ne s’agit pas d’opposer deux visions absolues, d’un côté celle de la souveraineté absolue et de l’autre celle de gendarme du monde. Tout en semblant satisfaire cette aile du parti républicain, avec une rhétorique agressive, Trump indique une approche quasiment contraire aux parties en apparence les plus fortes et interventionnistes de son discours. La question de la souveraineté, sur laquelle il a longuement insisté,  ne concerne pas que la question récurrente de l’opposition entre interventionnisme et non-interventionnisme. Elle indique, plus en profondeur, une vision politique radicalement opposée aux thèmes de la mondialisation heureuse et de la « gouvernance mondiale », et un recentrement sur l’enjeu de la responsabilité politique dans le cadre démocratique. Les incohérences du discours montrent que Donald Trump n’est lui-même, d’une certaine façon, qu’une dimension de cette réorientation, qu’il s’inscrit dans une logique historique qui dépasse sa personne et les choix particuliers liés à sa stratégie électorale, notamment en ce qui concerne le recours récurrent à la xénophobie.

Emmanuel Macron a voulu développer une approche lyrique dans la forme, en embrassant la thématique générale de l’avenir de l’humanité. Sur la question géopolitique il a manifesté sa volonté personnelle de réalisme, non seulement face aux blocages américains persistants mais surtout face aux dérives de ses deux prédécesseurs, dont le point d’orgue avait été atteint avec l’intervention calamiteuse en Libye. Comme sur de nombreux fronts, Emmanuel Macron s’avère plus perspicace que ses prédécesseurs. Il est capable d’un côté de surprendre en recentrant le débat (géopolitique et éducation en particulier) et de l’autre, de s’enfermer dans des cadres politiques déjà caduques, comme ceux relevant de la gouvernance mondiale ou d’une gouvernance européenne en réalité profondément déséquilibrée et instable. L’opposition entre les discours de Trump et Macron est donc assez fascinante. Trump a en apparence enchaîné les énormités sur le plan géopolitique, mais tout en actant, sur le fond avec son insistance sur la question de la souveraineté, le caractère caduque du cadre même qui régit ces erreurs. Macron a enchaîné pour sa part des jugements pour la plupart très censés, mais tout en s’enfermant précisément dans un cadre politique caduc qui le condamne politiquement et économiquement s’il ne le dépasse pas.

Les deux discours ont semblé se répondre par moments, dans une opposition structurée derrière l'Etat nation pour l'un et le multilatéralisme pour le second. Quelle est aujourdhui l'importance de cette opposition ?

La tension entre Etat-nation et multilatéralisme est saine en réalité, pour peu que la question de la nation, fondamentale, ne prenne pas une forme maladive. Le multilatéralisme nécessite le cadre de l’Etat nation. Ce qui s’est passé au cours des quatre dernières décennies a dépassé cette tension classique en vidant de son contenu la notion même de politique. L’idéologie bureaucratique de la « gouvernance mondiale » n’est pas l’outil du multilatéralisme. Elle est consubstantielle, au contraire, à la pulsion centralisatrice et aux logiques unilatérales qui s’affrontent. Le fait qu’elle ait reposé sur les plateformes de marchés mondiaux n’a fait que nourrir l’illusion qu’elle s’inscrivait dans une forme de libéralisme. Au contraire, cette tendance a nourri une centralisation abstraite de la décision, à l’opposé du principe même du libéralisme. Dans sa dimension économique en particulier, le thème de la mondialisation heureuse et de la dérégulation commerciale et financière s’est fracassé sur la crise financière et le déraillement des modèles de croissance lié à la combinaison de menace déflationniste et d’atonie productive. La perte de contenu politique lié au thème monolithique de la gouvernance mondiale a étouffé la réflexion sur les déterminants du développement des sociétés humaines, dans leur diversité. 

Pour les Etats-Unis en particulier, le déraillement du contrat social et du modèle économique a été directement lié à la tentation globale-impériale qui, au moyen du dérèglement commercial, a justement rendu le pays vulnérable aux aspirations hégémoniques d’autres Etats. La prise de conscience de ce phénomène est désormais largement ancrée aux Etats-Unis. Espérons qu’elle permettra aux responsables du pays de se débarrasser progressivement d’un certain nombre de reliques géopolitiques.

Si Emmanuel Macron s'oppose ici dans la forme à Donald Trump, l'entente entre les deux hommes s'est manifestée lors de leur rencontre ce lundi 18 septembre. Quelle est la réalité, dans les faits, de cette opposition?

L’époque est marquée en profondeur par la crise mondiale et la mise à bas des illusions qui nous y ont menés. Chacun des deux dirigeants, de façon certes très différente, est confrontée à un environnement déconcertant qui a pourtant permis leur ascension respective, aussi improbable l’une que l’autre si l’on se fie aux analyses qui ont précédé leur élection. 

Emmanuel Macron s’ancre certes, en partie, dans une adhésion à la gouvernance mondiale et à une gouvernance européenne instable, centrée sur l’Allemagne. Mais ses positions sur divers sujets, en particulier géopolitiques et éducatifs, indique sa capacité personnelle à s’extraire de tendances idéologiques mortifères. Donald Trump pour sa part, a été élu en proposant de casser la baraque de façon abstraite, et plus concrètement d’investir massivement et de protéger l’industrie américaine, etc. et se voit confronter à un imbroglio politique phénoménal. A tel point qu’il cherche des alliances sur des sujets économiques et sociaux chez les Démocrates tout en faisant mine d’adhérer à la culture géopolitique des Républicains.

Tous deux sont, dans le fond, convaincus des méfaits du dérèglement commercial et de la nécessité de définir un cadre dans lequel peut vivre le libéralisme. Emmanuel Macron parle d’une Europe protectrice, qui n’est malheureusement pas accessible, parle discrètement du risque de dépérissement de la zone euro à la prochaine crise. Par-delà les jugements dérisoires sur le prétendu dépassement du risque populiste en Europe continentale, les réalités politico-économiques qui préoccupent les dirigeants des deux côté des l’Atlantique offrent, malgré les divergences politiques, de nombreux points de rencontre.

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