Ce virage géopolitique à 180 degrés opéré par le Japon<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Des membres de la Force d'autodéfense terrestre du Japon après une compétition de tir réel de chars Type-90 au Grand terrain de manœuvre d'Hokkaido à Eniwa, le 7 décembre 2021.
Des membres de la Force d'autodéfense terrestre du Japon après une compétition de tir réel de chars Type-90 au Grand terrain de manœuvre d'Hokkaido à Eniwa, le 7 décembre 2021.
©BEHROUZ MEHRI AFP

A l’Est du nouveau

En 15 ans, le Japon a largement décomplexé sa politique de défense. Et vient de décider de ne plus limiter ses dépenses en la matière à 1% du PIB.

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

Voir la bio »

Atlantico : Face aux velléités guerrières de la Chine et de la Corée du Nord, le Premier ministre japonais, Fumio Kishida, semble rebattre les cartes. Pour la première fois depuis 1976, le Japon ne limitera plus ses dépenses de défense à 1 % du Produit intérieur brut. Quelles sont les autres décisions prises par le Premier ministre depuis son arrivée en septembre 2021 sur le sujet de la Défense ?

Barthélemy Courmont : Le Premier ministre japonais, dont il convient de rappeler que la côte de popularité est faible, adopte vis-à-vis de la Corée du Nord une attitude qui est semblable à ses prédecesseurs, à savoir une très grande fermeté et une réponse aux provocations de Pyongyang par des modifications, très nettes, de la politique de défense de son pays. Dans le cas de la Chine, l'attitude est moins décelable, car Pékin n'a pas de vélléité guerrière, si on exclut le cas des îles Senkaku/Diaoyu, dont il serait d'ailleurs exagéré qu'il puisse provoquer un conflit à grande échelle entre les deux pays. Pour Kishida comme pour ses prédecesseurs, c'est l'inquiétude provoquée par la montée en puissance chinoise qui justifie une posture très ferme. Le Japon a une constituion qualifiée de "pacifiste" depuis 1946, et si la décision d'augmenter les capacités de défense n'en remet pas en cause les fondements, c'est un travail mené depuis plusieurs années, notamment sous le cabinet d'Abe Shinzo, qui se traduit par une évolution très nette de la politique de défense.

Peut-on parler de « revirement stratégique » du Japon ?

Pas vraiment. D'une part parce que les prédecesseurs conservateurs de Kishida, au sein du Parti Libéral Démocrate (PLD) ont pratiqué uen politique semblable, et progressivement mis en place ce glissement stratégique, plus qu'un revirement. Dautre part parce que Tokyo n'a pas renié sa constitution. Evidemment, les poussées progressives des conservateurs aggravent les tensions dans la région, et en comparant avec la situation il y a 10 ou 15 ans, nous pouvons considérer que le Japon a une politique de défense plus décomplexée. Mais tout cela s'inscrit dans la durée, et les annonces de Kishida ne sont qu'une étape supplémentaire, certes importante, vers une "normalisation" du Japon, qui se plait pourtant depuis les années 1950 à se qualifier de puissance anormale.

À Lire Aussi

8 milliards d’habitants sur Terre ? Pourquoi il est en fait impossible de savoir combien nous sommes vraiment

Cette décision Japonais témoigne-t-elle d’un sentiment d’être délaissé par les Etats-Unis ?

Il y a plusieurs facteurs. Les gesticullations nord-coréennes, la crainte de voir la Chine s'imposer comme un hégémon dans la région, et en effet une relation avec Washington qui interpelle, et parfois même inquiète. Si l'alliance stratégique avec les Etats-Unis reste la pierre angulaire de la défense du Japon, les Japonais s'interrogent sur l'implication de Washington dans le cas d'un conflit affectant les intérêts japonais. Le retrait d'Afghanistan a été perçu comme la manifestation d'un désengagement américain, et la guerre en Ukraine menée par procuration n'y change rien. Le Japon a une perception négative de certains de ses voisins, et se demande s'il peut faire confiance à son allié. Ce sentiment n'est pas nouveau, mais il s'est progressivement amplifié.

L’article 9 de la Constitution japonaise établit que « le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation ». Cet article a-t-il encore un sens aujourd’hui, au vu des mesures prises ?

Oui, d'une part parce que la population japonaise y est toujours très sensible, et d'autre part parce que l'augmetation des capacités militaires du Japon n'en fait pas nécessairement un pays décidé à faire la guerre. Se sentant moins en sécurité, le Japon de Kishida estime qu'il lui est nécessaire d'avoir des moyens supplémentaires, et il veut par ailleurs participer plus activement aux opérations de maintien de la paix. Mais cela ne veut pas dire que le Japon souhaite se lancer dans des conflits avec ses voisins.

Les décisions prises en matière de Défense se sont faites sous pression occidentale au sortir de la Seconde Guerre mondiale. La communauté internationale peut-elle aujourd’hui laisser sereinement ce contrôle se dissiper ?

À Lire Aussi

Une étude americano-japonaise révèle que la fermeture des centrales nucléaires après Fukushima a causé plus de morts que l’accident lui-même

Comme le montre la guerre en Ukraine, la communauté internationale est aujourd'hui un voeu pieux, mais plus une réalité. Il faudrait plutôt parler de monde occidental, si toutefois cela a un sens. Le Japon fait partie du camp occidental, en ce qu'il défend des valeurs de démocratie et de droits de l'homme qui ne le distinguent pas des pays occidentaux (ce qui n'empêche pas, sur les sujets sociétaux, des écarts parfois abyssaux). L'Occident, aujourd'hui isolé de manière très inquiétante, ne va pas s'isoler encore plus en repoussant le Japon. A moins de vouloir se tirer une - nouvelle - balle dans le pied. Rappelons par ailleurs que les initiatives du Japon visant à développer des capacités militaires plus importantes ont été soutenues par les Etats-Unis. Il n'y aura pas plus de réaction sur le fond qu'en ce qui concerne la posture de l'actuel président sud-coréen, le conservateur et - lui-aussi - impopulaire Yoon Seok-yol, qui a récemment suggeré le retour d'armes nucléaires sur son territoire.

À Lire Aussi

Japon : le gouvernement a l’intention d’offrir 7.500 euros par enfant aux familles pour quitter Tokyo et s’installer à la campagne

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !