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Ce que nous réserve le rapprochement Russo-saoudien
©AFP

Toute première fois

Le roi Salman s'est rendu à Moscou, cette semaine. C'est la première visite officielle d'un souverain saoudien en Russie.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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L'Arabie Saoudite et la Russie, deux géants du pétrole se rencontrent. Quels sont leurs différends et quel est l'objectif d'une telle rencontre sur ce sujet ?

Cyrille Bret : conjuguées l’une à l’autre, les productions russes et saoudiennes de pétrole constituent effectivement 25% de la production mondiale. La Russie et l’Arabie Saoudite sont également les deux plus importants exportateurs de pétrole au monde. La visite officielle réalisée par le roi Salmane Ben Abdel Azziz Al-Saoud à Moscou cette semaine est la première d’un chef d’Etat saoudien en Russie. Les relations ont longtemps été houleuses entre les deux Etats : si l’URSS a été le premier Etat à reconnaître le Royaume saoudien au moment de la proclamation d’indépendance, les deux Etats ont divergé au moment de la conclusion du Pacte du Quincy entre la dynastie saoudienne et les Etats-Unis. Durant la Guerre Froide, l’Arabie Saoudite a été un pilier de la politique moyen-orientale américaine avec la Turquie et l’Iran avant 1979. Durant les années 1990, la Fédération de Russie a soupçonné l’Arabie saoudite de s’ingérer dans les conflits dans le Caucase, tout particulièrement en Tchétchénie. Mais les années 2000 ont constitué une détente entre les deux Etats.
Aujourd’hui, les motifs de différends entre Russie et Arabie sont bien identifiés : la Russie est alliée à l’Iran pour soutenir, en Syrie, le régime al-Assad. L’Arabie saoudite soutient, elle, les mouvements sunnites d’opposition au régime. En outre, la solidarité avec Téhéran a poussé la Russie à ne pas accréditer d’ambassadeur yéménite pour soutenir la rébellion houthiste.
En somme, cette visite historique intervient à un moment où les relations diplomatiques sont tendues sur le plan stratégique. Mais sur le plan économique, les deux Etats sont des « alliés objectifs » : pour soutenir les cours du pétrole, dans le format OPEP+ (la Russie n’étant pas membre de l’OPEP), les deux pays ont réussi à faire réduire le montant global de production de pétrole à 1,8 million de barils par jour.
Les enjeux sont clairs : sur le plan diplomatique préparer une solution politique prenant acte de la victoire militaire prochaine du régime al-Assad tout en préservant les intérêts des alliés syriens de l’Arabie Saoudite. Et, sur le plan économique, préparer la prochaine réunion du format OPEP+ pour reconduire la réduction de la production de pétrole au-delà de l’échéance prévue en mars 2018.
Florent ParmentierLes enjeux de cette rencontre concernent effectivement la coopération économique, et notamment l’encadrement du marché du pétrole, mais aussi le sort de l’équilibre des puissances au Moyen-Orient. Plus précisément, l’Arabie saoudite souhaite s’assurer que l’Iran ne sera pas la seule gagnante régionale de l’évolution du conflit syrien, et garder la face par la même occasion. 
Il faut souligner le caractère exceptionnel de la visite du roi Salmane, la première d’un souverain saoudien : si le pouvoir russe lui a déroulé le tapis rouge, il a tout de même emmené avec lui un millier de personnes, et a signé un contrat avec la Russie en matière d’armement – là-aussi une première. Les choses se présentent d’autant mieux pour la Russie que le prince héritier, Mohammad ben Salmane, a déjà servi d’intermédiaire entre les deux pays. Pour autant, parler de retournement d’alliance est très exagéré, surtout si l’on se souvient des contrats juteux signés par Donald Trump en mai dernier. L’Arabie saoudite prend seulement acte du fait qu’il faut compter avec la Russie au Moyen-Orient. 


Vladimir Poutine a rencontré mercredi son homologue du Venezuela, autre puissance du pétrole, Nicolas Maduro. Quelles sont les possibilités d'entente en termes d'accord sur la production pétrolière ?

Cyrille Bret : la Russie et l’Arabie Saoudite, principaux exportateurs et producteurs de pétrole au monde ont intérêt à soutenir les cours du pétrole autour du niveau actuel de 55 dollars le baril. En effet, l’économie saoudienne est en ralentissement et le plan Vision 2030 proposé par le dauphin du roi actuel, Mohamed Ben Salman, nécessite des investissements pour préparer l’après-pétrole. La Russie a elle aussi besoin d’entrée de devises car son économie est encore atone et frappée par les sanctions internationales consécutives à l’annexion de la Crimée et à la guerre en Ukraine orientale. L’accord entre Moscou et Riyad est probable. En revanche, les deux capitales auront à élaborer une stratégie pour rallier à cette réduction des volumes les pays producteurs qui ont besoin d’exporter pour se financer.
Florent Parmentierle rapprochement russo-saoudien est déjà en route, et paraît en mesure d’entraîner d’autres pays de l’OPEP. 
La question a d’ailleurs pu être posée directement au Président Maduro. Acculé face à des manifestations massives, un effondrement économique, le pouvoir vénézuélien se rangera très probablement de l’avis des autres membres de l’OPEP, afin de montrer qu’il n’est pas aussi isolé sur la scène internationale que ne le pensent les Américains et les Européens. 
Aussi, les relations entre la Russie et le Venezuela vont au-delà de la question des hydrocarbures déjà mentionnée, et incluent également un volet défense : le Président Chavez avait de son vivant œuvré à un rapprochement avec la Russie, et des manœuvres militaires navales avaient eu lieu en novembre 2008. Et aujourd’hui, il n’est pas exclu que la Russie établisse une base militaire en Amérique latine, soit à Cuba, au Nicaragua ou au Venezuela. 

C'est la première fois que la Russie reçoit officiellement un Roi saoudien. Moscou et Riyad sont-ils en train de trouver un terrain d'entente sur le conflit syrien ? 

Cyrille Bret : les buts de la rencontre sont plus subtils et plus modestes. Du côté de l’Arabie saoudite, on prend acte de la progression militaire du régime al-Assad épaulé par des troupes russes, iraniennes et Hezbollah. Toutefois, l’objectif de Riyad est désormais de ne pas laisser la voie ouverte à un axe Moscou-Téhéran dominateur. Du point de vue de Riyad il est de la plus haute urgence de ne pas faire partie du camp des vaincus en Syrie, au Yémen et sur la scène régionale. Il est également indispensable, après la réactivation de l’alliance américaine avec la visite de Donald Trump et les commandes pour 110 milliards de dollars d’équipements militaires, de ne pas se placer de nouveau dans une relation de dépendance géopolitique exclusive à l’égard de Washington. Mais, du point de vue russe, il est également nécessaire de diversifier ses alliances : l’axe Moscou-Damas-Téhéran peut se transformer en piège chiite. La Russie a une communauté de 20 millions de musulmans sunnites ; elle commerce avec l’Algérie, l’Egypte et la Turquie notamment en matière militaire ; et elle est habituée à construire des alliances diversifiées. Là encore, les intérêts peuvent graduellement converger. 
Florent Parmentier : Effectivement, l’objectif n’est pas de se mettre d’accord sur le conflit syrien entre les protagonistes, mais plutôt de borner l’ampleur des désaccords et de tirer le meilleur parti de la nouvelle situation de part et d’autre. Moscou signe de nouveaux contrats, tandis que l’Arabie saoudite cherche à limiter ses pertes, après la défaite sur le terrain des groupes qu’elle a soutenus. L’Arabie saoudite ne fait plus du départ de Bachar el-Assad le préalable à toute solution politique.

Chaque côté a ses propres motivations secondaires pour cette visite spectaculaire. Moscou se positionne de plus en plus souvent comme une « Eurasie du Nord » plutôt que comme l’Est de l’Europe. La venue du roi Salmane s’inscrit incontestablement dans cette perspective ; et côté saoudien, le message est également à destination des Etats-Unis, qui ont considéré depuis les années 1930 comme une chasse gardée américaine. 

L'Arabie Saoudite semble être la chasse gardée des Etats-Unis : la Russie est-elle en train d'emporter le grand jeu géopolitique du Moyen-Orient ?

Cyrille Bret : en deux ans, la Russie a effectivement réussi à reconstruire une politique étrangère active en Méditerranée orientale et au Moyen-Orient. Au prix d’un engagement militaire maîtrisé dans son ampleur et ses conséquences financières, la Russie a opéré un rétablissement spectaculaire de son statut géopolitique après les revers des années passées. Toutefois, le grand gagnant actuel dans la région est plutôt l’Iran qui a réussi à donner le la en Syrie, en Irak, au Yemen… jusqu’à inquiéter l’Arabie Saoudite sur son propre territoire.
Florent Parmentier  : le jeu au Moyen-Orient reste extrêmement compliqué, il n’y aura pas de remplacement de la puissance américaine par la puissance russe, mais plutôt une reconfiguration des alliances vers quelque chose de plus souple. L’axe Russie – Iran – Syrie constitue le cœur de la politique russe, mais cela n’empêchera pas la Russie de travailler avec l’ensemble des acteurs. Puissance protectrice des Chrétiens d’Orient – une position partagée historiquement avec la France – la Russie doit aussi travailler avec les Etats du Golfe, ce qu’elle ne fait que commencer. Le rapprochement avec la Turquie était également un autre moment important pour la politique moyen-orientale. Au-delà de la Russie, la puissance économique chinoise contribue également à modifier le jeu, sa politique de la « nouvelle route de la soie » bousculant les équilibres économiques internationaux. Dans la perspective de la résolution du conflit en Syrie, l’Iran a également des velléités de leadership régional. La Russie prend donc un avantage momentané, mais la situation reste fluide et encore non consolidée.

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