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Ce que leurs slogans présidentiels nous disent des candidats
©Thomas SAMSON / AFP

Paroles, paroles...

"Une volonté pour la France" : tel est le slogan de campagne choisi par François Fillon lui-même, en vue du premier tour de la présidentielle qui aura lieu dans un peu plus d'un mois.

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Benoît de Valicourt

Benoît de Valicourt s’inscrit dans la tradition du verbe et de l'image. Il travaille sur le sens des mots et y associe l'image réelle ou virtuelle qui les illustre. Il accompagne les acteurs du monde économique et politique en travaillant leur stratégie et leur story-telling et en les invitant à engager leur probité et leurs valeurs sur tous les territoires. 
 
Observateur de la vie politique, non aligné et esprit libre, parfois provocateur mais profondément respectueux, il décrypte la singularité de la classe politique pour atlantico.fr et est éditorialiste à lyonmag.fr
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Alda Mari

Alda Mari

Alda Mari est linguiste, directrice de recherche au CNRS, spécialisée en sémantique. 

Plus d'informations sur https://sites.google.com/site/ensaldamari/home/

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Pour chacun des slogans des cinq principaux candidats à la présidentielle 2017, nous avons demandé à Alda Mari, linguiste et directrice de recherche au CNRS spécialisée en sémantique, ainsi qu'à Benoît de Valicourt, chargé de cours en communication politique à l'Efap et à l'Iseg, une analyse sémantique et politique à des fins de comparaison. 

Alda MariDes traits sémantiques récurrents pour les cinq candidats le plus vraisemblablement éligibles à la présidence de la République: des marqueurs de dé-personnification des candidats et de la campagne qu’ils mènent, des usages bien calibrés des marqueurs de ce que l’on appelle la "généricité" (la France, les Français, le peuple), une personnification de la collectivité ("cœur", "insoumission") et un emploi maîtrisé de la sous-spécification (technique permettant de reconstruire plusieurs interprétations en contexte). Telles sont les stratégies sémantiques que l’on retrouve, à différents degrés, dans tous les slogans où l’action et les intentions du candidat sont évoquées de manière indirecte. 

Benoît de ValicourtLes slogans des principaux candidats à l’élection présidentielle expriment des visions et des conceptions de la France très différentes mais pour quatre d’entre eux avec un socle commun : la France en tant que Nation. Mais ce n’est pas le tournoi des Cinq Nations, le FN ayant choisi un slogan disruptif par rapport à ses concurrents, n’utilisant pas le mot France sans soute trop évident quand on entend incarner la Nation au nom du peuple.

Cinq slogans, cinq conceptions de la France pour les prochaines années avec en filigrane l’absence d’un avenir européen comme si la France n’était pas la colonne vertébrale de l’Europe. Cette absence en dit long sur la projection de ces cinq candidats dans un monde inspirationnel où la mobilité, la découverte, l’enrichissement culturel sont les atouts indéniables pour lutter contre l’obscurantisme dans une France volontaire, libre, protectrice, juste, aimante, insoumise et profondément populaire en Europe et dans le monde.

François Fillon : "Une volonté pour la France"

Alda Mari : L’indéfini "une" est suffisamment sous-spécifié dans le contexte pour évoquer des lectures diverses. Tout d’abord,  “une volonté” versus “une seule volonté”. Ce sera vers la lecture la plus forte “une seule volonté” que l’interlocuteur penchera au premier abord, car il maximisera l’information en choisissant l’interprétation la plus précise. Il devra cependant résoudre la question de la source de cette volonté. Il aura trois possibilités: 1.  la seule volonté du candidat (qui se pose ainsi en personnalité forte), 2. la seule volonté du peuple (le peuple est ainsi l’élément pivot du redressement), 3. la seule volonté du candidat avec le peuple (candidat et peuple sont ainsi coauteurs de la construction d’un destin commun).

La lecture plus faible reste présente, en s’opposant à “manque de volonté”. L’indéfini introduit une nouvelle entité dans le discours, en suggérant l’absence de volonté dans le contexte de la campagne au sens large. 

Benoît de Valicourt : Pour François Fillon, son combat est volontaire, il s’inscrit dans une démarche pugnace nécessaire pour prendre les décisions qui s’imposent dans un contexte particulier de crise politique, sans faiblir et en surmontant les obstacles. Ce slogan ne pouvait être que celui de Fillon et il traduit incontestablement la situation personnelle de l’ancien Premier ministre qui doit se battre et conduire à son terme cette campagne électorale sans faiblesse en forçant un parcours semé d’embuches. Et inconsciemment, ce slogan dénote l’incapacité pour le candidat des Républicains à dissocier sa personne de l’Etat, de la chose publique. Il est au service de l’Etat - ou inversement, l’avenir judiciaire de François Fillon nous le dira – et à ce titre, sa personne se mélange avec l’Etat ne faisant plus qu’un, mélangeant la volonté qu’il a à se maintenir avec la volonté qu’il doit incarner pour conduire les réformes qu’il juge nécessaire. Au début de la campagne, il avait le courage de dire la vérité mais pris dans un flagrant délit de mensonge, Fillon estime que la France n’a pas forcément besoin de connaître la vérité, l’intérêt supérieur de la Nation est ailleurs : il est celui de partir au combat sauver la France comme en 1792 quand l’Assemblée législative a demandé à tous les volontaires de rejoindre Paris pour défendre la patrie en danger.

Marine Le Pen : "Au nom du peuple"

Alda Mari : Un slogan au ton religieux ("au nom du père"), sacrificiel (le sacrifice de la candidate pour le peuple et mandatée par lui), nationaliste (les peuples des nations) et résolument tourné vers les classes populaires. Le terme "peuple" est bien évidemment ambigu. Le peuple dans son ensemble, le peuple comme partie de la nation. La France est évoquée par association (le peuple de France). La collectivité est doublement interpellée, en tant  qu’unité culturelle et religieuse, et métonymiquement (une partie pour le tout), par l’une de ses parties (les couches populaires). La phrase est averbale, permettant toute reconstruction de l’action (de la candidate, bien évidemment) au bénéficie du peuple. 

Benoît de ValicourtAu Front national, le peuple c’est la France. Il est donc inutile de rappeler dans son slogan le nom France qui est induit dans le nom du parti puisque la Nation est incarnée par le peuple de France. Le FN a toujours voulu représenter le peuple ; le peuple contre les élites, le peuple contre l’establishment, le peuple contre l’Europe. On se souvient des affiches Le Pen – Le peuple montrant un Jean-Marie Le Pen s’adressant à une foule. Il y a eu aussi, lors des grandes messes en l’honneur de Jeanne d’Arc, le slogan "Le peuple d’abord" avec toujours la même mise en scène, celle d’un leader qui conduit le peuple. Cette référence au peuple est pourtant totalement éculée, voire synonyme de tous les régimes qui ont annihilé la volonté du peuple. Toutes les démocraties populaires ont agi au nom du peuple – contre le peuple ! – pour lui imposer ce que la nomenklatura avait décidé. Marine Le Pen ne change pas fondamentalement l’ADN du parti créé par son père pour qui le peuple a besoin d’un guide. D’ailleurs, ne dit-on pas que l’élection présidentielle est la rencontre d’un homme avec le peuple ?

Emmanuel Macron : "Libérer la France, protéger les Français"

Alda Mari : Voici deux infinitifs décrivant deux actions brutes, sans localisation dans le temps, sans acteur spécifié, sans intention évoquée. Deux actions qui se posent donc comme deux nécessités aléthiques, c’est-à-dire sans acteur.  La notion de généricité est manipulée explicitement, la France est une collectivité, les Français sont les singularités la composant. Parce que l’interlocuteur connaît l’esprit de ce que le candidat prône (libéralisme économique et justice sociale), on voudrait faire coïncider ces deux notions aux deux infinitifs. Les deux modes d’appréhension de la collectivité mènent cependant à détecter un message conservateur (plus que libéral au sens propre). La complémentaire de ce qui est asserté est en effet immédiatement reconstruite: la liberté n’est pas celle des individus, mais celle de la nation (libérer la France de qui ? de quoi ?) ; la protection n’est pas celle de la collectivité (et donc de son équilibre), mais celle de ses membres. Deux possibilités de spécification sont immédiatement évoquées pour le terme "protection", celle des droits de chacun, mais aussi et surtout, la protection physique dans le contexte d’interprétation actuel. 

Benoît de Valicourt : Pour Emmanuel Macron, la France est occupée ! Non pas par un ennemi lourdement armé mais par une administration et des syndicats qui entravent la liberté de travailler. Une fois la France libérée du carcan administratif kafkaïen, les Français retrouveront les conditions nécessaires à leur épanouissement en respectant la liberté tout en préservant le principe d’égalité. Alors Macron se devra de les protéger dans un élan de fraternité. C’est la difficile synthèse du candidat d’En Marche ! qui ne veut pas renier ses idéaux de jeunesse et qui sait que la richesse est créée par ceux qui se mettent à risque en entreprenant. Il y a dans ce slogan un côté terriblement enfantin qui rappelle les héros des dessins animés des années 1980 qui devaient sauver leur planète, leur cité et protéger ceux qui y vivaient. Macron veut être le sauveur de la France et le protecteur de son peuple, il n’incarne pas le guide mais celui qu’on attend pour nous sortir d’une mauvaise situation … mais le genre humain est oublieux ! 

Benoît Hamon : " Faire battre le coeur des Français"

Alda Mari : A nouveau, nous retrouvons un infinitif, une action nécessaire, sans mention explicite d’un acteur. Le terme "cœur " est le lieu principal de la sous-spécification. Le cœur peut être compris comme "noyau dur" et donc faire appel aux Français qui construisent la France, par leur travail. Le cœur est aussi, littéralement, le cœur des Français. On inférera tantôt que le cœur des Français ne bat plus (le candidat sera ainsi le sauveur), ou que les qualités de cœur des Français, bien réelles, s’exprimeront (en évoquant l’altruisme de la nation). Le slogan appelle à la classe des travailleurs (le noyau dur), aux classes plus aisées (qui savent aussi être altruistes) et à tous les Français dont le cœur battra en concertation, en tant que cœur de la nation France. Les cœurs des Français, par un glissement des singularités à la collectivité qu’ils forment, deviennent un seul, le cœur de la France. 

Benoît de Valicourt Comme tout le monde le sait, le cœur est à gauche et le cœur est le symbole de l’amour. La France est le pays de l’amour, les Français seraient les meilleurs amants du monde et l’amour s’exprime par le baiser mais pas n’importe quel baiser, le French Kiss !

De là à imaginer que pour redresser la France il faut savoir aimer, il n’y a qu’un pas. Mais le cœur de la France, c’est aussi son économie, son industrie, ses idéaux, son agriculture, son histoire, son innovation, sa culture. Pour Hamon, la France c’est aussi la justice sociale, le partage, les droits de l’homme et le cœur de cette France-là s’est arrêté de battre. Mais Benoît Hamon s’est-il posé la question de savoir pourquoi il s’est arrêté de battre ? Un cœur, c’est fragile ; lorsqu’il est trop sollicité, il se fatigue et il lâche. Le cœur de la France d’Hamon est fatigué de donner, de dépenser, de courir après les injustices du monde ; il a sans doute davantage besoin d’une pause que d’un défibrillateur cardiaque.

Jean-Luc Mélenchon : "La France insoumise"

Alda Mari : La France est femme, la France est une femme insoumise. La personnification est explicite. Mais encore une fois, il subsiste de nombreux lieux permettant différentes reconstructions contextuelles. Tout d’abord, la phrase averbale peut exprimer un but ("que la France soit insoumise") ou décrire un fait ("la France est insoumise", historiquement ?). "France" peut tantôt renvoyer à la nation (toute la France) ou, par la restriction de l’adjectif, à une partie de celle-ci ("la France qui est insoumise"). Qu’il s’agisse d’un collectif (la France entière) ou d’une métonymie (une partie de la France), d’un déontique (ou impératif) ou d’un aléthique (un fait), on accommodera que l’on refuse la soumission du tout ou d’une partie. La figure du candidat n’émerge aucunement au fil du slogan, ni par son action, ni par son intention. Il est le représentant de l’entité que l’on aura voulu voir dans le groupe nominal : une partie des Français, ou la France tout simplement.   

Benoît de Valicourt : Il n’est pas le Che mais le digne héritier de Castro qui n’entend pas se soumettre aux diktats de l’argent, de l’Europe, des Américains. La France est libre, la France n’est pas soumise, la France est rebelle et dans son histoire, elle a toujours fait preuve de courage, de Jeanne d’Arc à de Gaulle, en passant par Napoléon Bonaparte. Mais la France insoumise qu’entend incarner Mélenchon serait celle de la Révolution qui lutte contre l’oppression et l’injustice ; seulement cette France de 1789 n’a pas réellement lutté, elle a été manipulée par une bande de propriétaires fonciers et de notables qui entendaient renverser les rôles du pouvoir. La France insoumise, c’est celle du cœur, pas celle de la revanche.

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