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Ce que la radioscopie des Américains arrêtés après l’assaut sur le Capitole révèle des racines des nouvelles insurrections politiques
Ce que la radioscopie des Américains arrêtés après l’assaut sur le Capitole révèle des racines des nouvelles insurrections politiques
©ROBERTO SCHMIDT / AFP

Démocraties sous tension

Une étude de l’université de Chicago permet d'en apprendre plus sur le profil sociologique des manifestants ayant attaqué le Capitole à Washington le 6 janvier dernier. Les autorités américaines seront-elles en mesure de répondre aux exigences, à la détresse et aux attentes de ces citoyens ?

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Des chercheurs de l’université de Chicago ont analysé le profil sociologique de 377 manifestants qui ont attaqué le Capitole le 6 janvier. Quel est l’intérêt de cette étude et comment ont-ils procédé ?

Vincent Tournier : Il faut en effet insister sur l’intérêt de la démarche de ces chercheurs. Ces derniers proposent de comprendre les événements du 6 janvier au Capitole, non à partir de ce qui s’est passé, mais à partir des caractéristiques des participants. C’est une démarche qui peut évidemment être contestée : on peut faire valoir qu’un événement a une certaine indépendance par rapport à ceux qui le font, l’important étant de connaître l’idéologie des participants (comme dans le cas de la Révolution française).

Toutefois, on peut répondre que, au moins dans certains cas, un événement dépend étroitement de la nature de ses acteurs. Par exemple, il serait très difficile d’interpréter le mouvement poujadiste de 1956 ou le mouvement étudiant de mai 1968 sans étudier les origines des participants. De même, on voit mal comment comprendre la révolte des Gilets jaunes sans tenir compte de leur ancrage dans la France périphérique. 

C’est ce que proposent de faire ces chercheurs. Pour cela, ils ont analysé les dossiers de 377 personnes arrêtées par le FBI et la police. Ils ont donc créé une base de données en exploitant les informations fournies par les tribunaux et par les médias. Cette base de données n’est pas fixe : elle s’agrandit avec le temps et devrait donc encore évoluer. Mais les auteurs ont fait le choix de publier rapidement leurs informations en les mettant régulièrement à jour, et les tendances ne changent guère avec l’ajout de nouvelles données.

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Qui sont ces manifestants et d’où viennent-ils ? Sont-ils vraiment tous des militants d'extrême-droite suprémacistes blancs comme on a pu le dire au moment des faits ?

Pour mieux cerner le profil des « insurgés du Capitole », les auteurs ont fait une comparaison avec une autre source : 108 individus arrêtés par les forces de l’ordre entre 2015 et 2020 pour des faits de violence en lien avec l’extrême-droite. Les chercheurs disposent donc de deux groupes : l’extrême-droite traditionnelle et les insurgés du Capitole.

Que montre alors cette comparaison ? On relève d’abord qu’il existe des caractéristiques communes : dans les deux cas, il s’agit majoritairement d’hommes (94% pour l’extrême-droite, 84% pour les insurgés du Capitole) et de Blancs (94% à chaque fois). A côté de ces ressemblances, il y a cependant des différences fortes : d’abord pour l’âge (33% des insurgés du Capitole ont moins de 35 ans contre 61% des activistes d’extrême-droite), ensuite pour la vie active (85% des insurgés sont actifs contre 62% des activistes d’extrême-droite) et surtout pour les affiliations militantes puisque 89% des insurgés n’appartiennent à aucune milice ou groupe violent, contre la moitié (52%) des activistes d’extrême-droite.

Bref, il y a des convergences, mais les insurgés du Capitole correspondent à une population assez différente de l’extrême-droite classique : ce sont des individus moins jeunes, plus ancrés dans la vie professionnelle, moins militants. On aimerait évidemment en savoir plus, notamment sur les opinions politiques des uns et des autres.

Les chercheurs estiment qu’une grande partie de ces manifestants ont pour point commun de venir de comtés où la population blanche est en situation de déclin. Est-ce une piste d'explication intéressante ?

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C’est l’autre grand résultat de cette étude, sur lequel les chercheurs insistent beaucoup. Il s’agit d’un apport très intéressant parce qu’on a tendance, dans nos sociétés contemporaines qui vivent à l’heure des médias de masse et de la communication globalisée, à déterritorialiser les opinions politiques, à faire comme si le territoire ne comptait pas. Or, chacun de nous doit beaucoup à son environnement, à son terroir.

Lorsque les auteurs examinent la provenance géographique des insurgés, ils constatent que certains facteurs ne fonctionnent pas. En particulier, il n’y a pas de lien évident avec les comtés qui ont le plus voté pour Trump ou qui sont les plus frappés par le chômage. En revanche, un autre facteur s’impose fortement : le déclin de la population blanche. Ils le montrent très bien avec toute une série de cartes des Etats américains. Par exemple, au Texas, ils constatent que les 36 individus qui ont été arrêtés lors de l’invasion du Capitole ne se répartissent pas au hasard dans les 253 comtés de l’Etat : ils ne proviennent pas des comtés qui sont les plus favorables à Trump, mais bien des comtés où la population blanche a diminué.

Ce résultat est cohérent avec une autre partie de leur étude, qui a consisté à réaliser un sondage auprès de 1000 Américains les 13 et 14 mars derniers. Les auteurs s’intéressent alors à une partie spécifique de cet échantillon : les individus qui estiment que les élections présidentielles ont été volées et qui se déclarent prêts à s’engager dans une action violente. Ces deux conditions permettent d’isoler 4% des répondants, ce qui représente environ 10 millions de personnes à l’échelle des Etats-Unis. Or, cette petite minorité présente deux particularités : d’une part ce sont de gros consommateurs de médias sociaux, d’autre part ce sont des personnes qui adhèrent très fortement à la thèse du « Grand remplacement ». On voit donc qu’il existe une convergence entre les deux sources, que ce soit l’étude des profils des insurgés et l’étude du segment de l’opinion publique qui forme le terreau de ce groupe. On retrouve ici une constante des processus de radicalisation, même si la situation n’est pas comparable avec la radicalisation islamiste : les plus actifs sont toujours l’émanation d’un groupe plus large qui partage les mêmes préoccupations.

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Une meilleure connaissance des profils sociologiques de ces manifestants pourrait-elle permettre de répondre à leurs angoisses ?

La connaissance d’un phénomène n’aide guère à le résoudre. Cela vaut pour les acteurs comme pour les dirigeants politiques. Du côté des insurgés du Capitole, ils n’ont pas grand-chose à apprendre sur eux-mêmes. Ils connaissent leurs difficultés et savent identifier leurs intérêts, même s’ils ne parviennent pas toujours à les verbaliser parce qu’ils ne sont pas des professionnels de la parole. Une enquête sociologique ne va rien leur apporter ; tout au plus peut-elle les conforter dans leurs idées ou leur faire réaliser qu’ils ne sont pas les seuls à se retrouver dans cette situation. Elle peut aussi les aider dans leur communication externe en dévoilant au grand public ce qu’eux-mêmes ressentent mais qu’ils ne peuvent pas toujours transmettre, surtout face à des médias qui leur sont largement hostiles.

Concernant la réponse politique, on voit mal quelle peut être la solution. Les évolutions démographiques aux Etats-Unis peuvent difficilement être interrompues, quand bien même tous les partis seraient d’accord pour aller dans ce sens, ce qui est loin d’être évident puisque Biden et le parti démocrate sont plutôt désireux de poursuivre l’immigration. Le déclin de la population blanche est donc inéluctable, et il sera plus marqué dans certains secteurs, ce qui va certainement alimenter le ressentiment.

Le caractère inéluctable de ces évolutions explique pourquoi les chercheurs de Chicago terminent leur rapport par des remarques sur les risques de durcissement. Ils tentent d’abord d’évaluer les réserves potentielles d’un éventuel mouvement insurrectionnel. En partant de ce socle de 10 millions de personnes (celles qui pensent que les élections ont été volées et qui sont prêtes à s’engager dans l’action violente), ils estiment qu’environ 360.000 correspondent à un profil à risque en cumulant plusieurs caractéristiques : le fait d’être un homme, d’être blanc, de possédé une arme à feu ou encore d’avoir une expérience militaire. Ils ajoutent que trois ingrédients sont réunis pour que le mouvement prenne de l’importance : un leader qui bénéficie d’une certaine légitimité et qui manifeste un certain soutien aux actions illégales ; des griefs et des peurs partagés par une grande masse de gens ; un événement fondateur (le 6 janvier).

Ce scénario sombre reste cependant assez théorique. Il ne tient pas compte de la relative stabilité du système politique américain, notamment de ses contre-pouvoirs, ni des capacités de rebondissements de l’économie, laquelle va probablement être fortement dopée par les plans de relance et d’investissement. Pour autant, on ne doit pas être aveugle sur les fortes tensions politiques qui existent aux Etats-Unis : la contestation de la dernière élection présidentielle ainsi que la crise du Capitole ne sont pas des événements anodins dans l’histoire de ce pays. Il faudra donc suivre attentivement les élections intermédiaires de 2022 pour savoir comment évolue la situation.

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