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Ce que la médiation Blanquer-Taché dit vraiment de LREM
©AFP

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Quand une brouille entre deux membres du parti révèle des problèmes fondamentaux inhérents à LREM.

Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Afin d'apaiser le conflit au sein de LREM entre Jean-Michel Blanquer et Aurélien Taché sur la question du voile et de la laïcité, Stanislas Guérini a "saisi la cellule de médiation du mouvement". Qu'est-ce que cette information dit des divergences de vue au sein de LREM sur cette question ?

Maxime Tandonnet : Cette information nous apprend, ou plutôt nous confirme, la déchirure idéologique de LREM. En vérité, ce n’est pas vraiment un parti fondé sur un projet de nature politique ou idéologique. C’est un regroupement de personnalités d’horizons très divers qui se sont trouvées réunies dans l’opportunité de l’élection présidentielle de M. Macron. Il y a sans doute une forte proportion de transfuges du parti socialiste dans les rangs des parlementaires, de sensibilité multiculturelle et sans frontière. Mais il peut se trouver d’autres visions, en particulier l’approche républicaine qui privilégie l’unité nationale et l’autorité de l’Etat, à l’image de M. Blanquer. Pourtant, tous sont réunis dans un même opportunisme. La première question est de savoir ce qui l’emportera, de l’opportunisme – garder le mandat ou la fonction – aussi longtemps que possible, ou des convictions. Il est vraisemblable que la jouissance des attributs du pouvoir l’emportera quoi qu’il arrive et permettra dans l’immédiat de surmonter les divergences de fond. Par ailleurs, il est sidérant qu’une « cellule de médiation » soit saisie. Quoi, cela signifie-t-il que les deux dirigeants ne sont pas assez grands pour s’expliquer spontanément ? Cela signifie-t-il qu’un membre du gouvernement ne peut pas exprimer une opinion différente de celle d’un parlementaire sans que cela ne soulève un problème ? Qu’une pensée unique doit régner sur le mode de LREM ? Tout cela n’est pas signe d’une grande maturité ni d’une grande confiance en soi. 

Vincent Tournier : C’est le premier véritable clash que connaît le parti présidentiel. Si on regarde les exclusions déjà prononcées ou envisagées, on peut citer le député Joachim Son-Forget, personnage un peu excentrique, qui a préféré démissionner avant d’être exclu. Un problème plus important s’est posé avec Agnès Thill, député de l’Oise, qui s’était déclarée hostile à la PMA. La commission des conflits l’a exclue en juin 2019, mais son exclusion était assez facile : non seulement Agnès Still n’est pas très connue, mais en plus l’écrasante majorité des élus LREM approuve la PMA, suivant en cela la position très claire du président de la République.

Avec le voile, le problème est plus complexe. D’abord, les personnalités qui sont en jeu sont d’un autre calibre, ce qui rend plus délicate une éventuelle d’exclusion. On peut faire un rapprochement avec Cédric Villani : celui-ci aurait dû être exclu quand il a annoncé qu’il maintenait sa candidature à la mairie de Paris malgré sa défaite aux primaires, mais évidemment, une telle exclusion aurait été du plus mauvais effet pour l’image du parti. 

Ensuite, l’islam est un sujet beaucoup plus clivant au sein de la majorité présidentielle, et il l’est d’autant plus que le président de la République est resté très évasif. Ce silence présidentiel facilite les prises de parole. Aurélien Taché n’a ainsi cessé de multiplier les déclarations complaisantes et accommodantes sur le voile, sans doute parce qu’il vient du PS où il a fait une carrière d’apparatchik, et qu’il se sent tenu de faire ses preuves en exprimant son allégeance à l’égard du nouveau pouvoir. Manque de chance : il se retrouve face à une forte personnalité, Jean-Michel Blanquer, qui n’est pas un transfuge politique, et qui s’est positionné dès le départ sur une ligne critique envers l’islam et les signes religieux. Rappelons par exemple qu’il a nommé à la tête du Conseil supérieur des programmes une philosophe, Souâd Ayada, qui a dénoncé la façon d’enseigner l’islam dans les programmes scolaires (même si on attend toujours la nouvelle version). Lui-même s’est prononcé explicitement en faveur de l’interdiction des signes religieux dans le cadre des sorties scolaires : « mon approche personnelle, c’est que toute personne qui accompagne les élèves est en situation d'être un collaborateur bénévole du service public (…) qui doit se conformer à un certain nombre de devoirs » (Le Grand jury sur RTL, cité par Marianne, 10 décembre 2017). 

Il est impossible de savoir si Aurélien Taché et Jean-Michel Blanquer défendent leurs positions respectives par conviction ou par calcul, mais il est certain que ces deux personnalités se trouvent désormais tenues par leur posture : chacune dans leur registre, elles sont amenées à préciser voire à durcir leurs positions lorsque l’islam revient dans l’actualité. A moins de se renier publiquement, aucun des deux ne peut faire marche arrière, surtout en l’absence d’un positionnement clair d’Emmanuel Macron. A ce stade, la question est de savoir jusqu’à quel point ce type de clivages est bénéfique ou nuisible au parti et au président. La diversité des points de vue peut certes permettre aux différentes sensibilités de se reconnaître dans le mouvement, mais au-delà d’un certain seuil, les clivages peuvent devenir irréversibles. C’est finalement l’attitude d’Emmanuel Macron qui permettra de savoir où on en est : si celui-ci ne tranche pas entre les deux personnalités, ce sera le signe que le conflit est considéré comme supportable et que le point de rupture n’a pas encore été atteint.

Le Président de la République n'a visiblement pas tranché dans ce conflit. En quoi cela démontre qu'il n'a lui-même pas fait un choix de ligne ? 

Maxime Tandonnet : D’abord, il n’est pas du rôle du chef de l’Etat d’arbitrer entre un député et un ministre qui affichent leurs divergences. Son rôle est de donner un cap et non de se mêler de toutes les bisbilles d’une majorité. Pourtant, il est clair que son silence inhabituel exprime un malaise sur cette question. Il est probable qu’en son for intérieur, le président de la République, qui vient du parti socialiste, est proche de la sensibilité multiculturelle et post frontière. Nombre de ses déclarations passées tendraient à le prouver, en particulier son approbation chaleureuse de la politique d’accueil en Allemagne d’un million de réfugiés et de migrants de la chancelière Merkel en 2015 – contrairement à Manuel Valls. Pourtant, le président de la République sait que l’opinion, dans sa grande majorité, n’est pas sur cette ligne. Sa réélection de 2022 qui est, selon tous les témoignages, l’objectif suprême, passe forcément par des concessions à cette opinion publique. C’est pourquoi il y aura toujours un décalage entre d’une part le discours prônant une fermeté prudente et nuancée sur l’immigration, la Nation et la laïcité, et d’autre part les actes, la politique réelle, plutôt tournée vers l’ouverture et le respect du multiculturalisme. Cette ambiguïté fondatrice a encore de beaux jours devant elle.

Vincent Tournier : Effectivement, le président n’a rien tranché sur le voile, comme d’ailleurs sur l’islam en général. On ne sait toujours pas vers qui son cœur balance, ni quelles sont ses préférences, s’il en a. Son projet de réforme de la loi de 1905 a disparu de l’agenda, et on ne sait pas s’il y reviendra un jour. Ses déclarations ont été contradictoires : il a parfois vertement critiqué le voile islamique, le jugeant contradictoire avec la « civilité française », soutenant même les positions de Jean-Michel Blanquer sur l’interdiction du voile pendant les sorties scolaires. Mais à chaque fois, il a ensuite fait machine arrière. Son dernier grand discours, prononcé à l’occasion de la cérémonie d’hommage aux victimes de la préfecture de police, ajoute une couche à ce flou artistique : d’un côté, il pointe les dangers de « l’hydre islamiste », mais de l’autre il renvoie la lutte contre l’islamisme aux citoyens en vantant le principe d’une « société de vigilance ». Donc, d’un côté il dit qu’il a pris la mesure de la menace (peut-il toutefois faire autrement ?) mais de l’autre il précise qu’il n’a pas l’intention de lancer une politique active de lutte contre l’islamisme, ce qui est une manière de dire tout et son contraire. 

Cela dit, on peut comprendre la difficulté dans laquelle se trouve le président. Son parti est relativement homogène sur certains sujets (comme l’Europe ou le néolibéralisme) mais il est aussi très divisé sur d’autres, notamment sur la laïcité et l’islam. On le vérifie par exemple en comparant les déclarations d’Aurélien Taché et celles d’Aurore Bergé. Le premier, issu de la gauche socialiste, est référent laïcité au sein de LREM et tient des propos particulièrement accommodants sur l’islam, alors que la seconde, issue de la droite, a approuvé la proposition d’Eric Ciotti sur l’interdiction du voile pendant les sorties scolaires. Dans un tel contexte, on peut penser que le flou artistique du président est nécessaire pour satisfaire tout le monde. En même temps, ce flou peut atteindre ses limites. D’ailleurs, le fait que Jean-Michel Blanquer demande au parti de convoquer la commission des conflits pour exclure Aurélien Taché peut être interprété comme une manière de forcer le président à prendre ses responsabilités. Mais la direction du parti n’a visiblement pas l’intention de le suivre : Stanislas Guérini a déclaré qu’il va convoquer une « commission de médiation », instance qui n’a pas d’existence dans les statuts de LREM (contrairement à la commission des conflits), ce qui montre qu’il entend surtout gagner du temps, soit pour attendre que le président daigne dire quelle ligne a sa préférence, soit (et c’est plus vraisemblable) pour jouer la montre et laisser retomber les passions.

Quels risques est-ce que ce type de situation fait courir à la majorité présidentielle ?

Maxime Tandonnet : A court terme, pas grand chose je pense. La crise du foulard à l’école a duré une semaine. Comme dans toute polémique hebdomadaire, on s’est entre-tué sur les plateaux de télévision et sur les réseaux sociaux. Comme rarement, le débat s’est réduit à des aboiements, de violents et grotesques échanges d’insultes en particulier celles qui renvoient à Hitler et au nazisme. Ces derniers temps, le point Godwin a franchi le mur du son ! Et, puis l’effet de mode est passé et une crise d’hystérie en chasse une autre. La majorité présidentielle ne va pas exploser sur le voile à l’école. Le lien d’opportunisme qui soude les troupes LREM devrait l’emporter sur les divergences de fond et étouffer ces dernières. En revanche, à plus long terme, la fragmentation de cette étrange majorité devrait s’aggraver. A l’approche des présidentielles de 2022, on peut supposer que le noyau présidentiel, l’Elysée et son environnement ministériel va tendre de plus en plus sur des options populaires, pour ne pas dire populistes, au moins dans le discours. La majorité d’origine socialiste multiculturelle n’acceptera pas de voir sa vertu et respectabilité idéologique compromise dans l’opération électoraliste.  Le navire LREM risque alors de sérieusement tanguer… On peut supposer que la perspective de la réélection et de la préservation du siège de député l’emportera et que la solidarité d’intérêt finira par prévaloir. Cependant, les dégâts dus à ses batailles intestines, pourraient être considérables, et ne pas faciliter le processus de réélection. 

Vincent Tournier : Le parti du président est un parti jeune, construit à partir de l’union de personnalités du centre-gauche et du centre-droit, dont les membres de base n’ont pas toujours une forte culture partisane. L’attachement au parti doit beaucoup à la personnalité de son leader et à la croyance que celui-ci est capable de diriger ou de réformer le pays. C’est donc un attachement assez fragile, et d’autant plus fragile que le parti n’a pas mis en place des mécanismes de démocratie interne destinés à réguler les éventuels désaccords (les dirigeants ne sont pas élus, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour un parti qui se vante d’être à la pointe de la modernité). 

Pour toutes ces raisons, LREM est dans un équilibre instable ; c’est un parti qui n’est pas à l’abri d’une scission soudaine ou du départ massif de ses adhérents. Le défi d’Emmanuel Macron est donc de parvenir à entretenir l’élan initial et à satisfaire les différentes composantes tout en préservant une certaine cohérence idéologique. 

Dans ce cadre, l’islam est quasiment le seul sujet qui est susceptible de faire capoter ce projet car c’est un sujet qui, non seulement peut diviser, mais aussi peut amener le pouvoir à prendre des mesures (notamment sécuritaires et régulatrices) très éloignées du programme initial. 

Idéalement, le mieux serait donc que l’islam disparaisse des écrans radars. C’est le type de souhait qui n’est évidemment pas spécifique à LREM : tous les partis redoutent que l’actualité fasse surgir des sujets ou des informations qui raniment les clivages internes et contredisent la doctrine. Songeons par exemple au Parti communiste français qui redoutait tout particulièrement que les médias parlent des camps de concentration et de la répression à l’est. Le problème est aujourd’hui exactement le même avec l’islam : toute nouvelle polémique ou tout nouvel attentat est susceptible de revivifier les tensions, ce qui va ensuite nécessiter des efforts titanesques sur le plan rhétorique pour nier les problèmes et minimiser les désaccords internes. Mais la rhétorique a ses limites : les contradictions deviennent parfois trop fortes et les exclusions sont inéluctables. Une telle issue serait cependant redoutable pour un parti qui se veut progressiste et tolérant, et elle aurait en outre pour effet de modifier les déséquilibres internes, amenant le parti soit à se droitiser, soit à se gauchiser. 

Bref, l’islam est un sujet à hauts risques pour la majorité. Avec des sujets comme le voile, le parti du président marche sur des œufs car toute polémique a pour inconvénient de réactiver les tensions, mais aussi de pointer les contradictions entre un discours qui se veut optimiste et une réalité qui l’est beaucoup moins. 

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