Ce que l’interview de Vladimir Poutine par Tucker Carlson nous révèle des obsessions du Kremlin comme de celles des droites nationalistes occidentales<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine, photo AFP
Vladimir Poutine, photo AFP
©ALEXEY NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP

Le journaliste américain Tucker Carlson a interviewé Vladimir Poutine à Moscou. Un entretien qui en dit long... sur le Kremlin, bien sûr, mais pas seulement.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Le journaliste Tucker Carlson a interviewé Vladimir Poutine à Moscou. Qu'est-ce que cela révèle des obsessions du Kremlin ? Quels sont les principaux enseignements sur les propos de Poutine dans cet entretien ? Qu’est-ce que cela nous dit sur Vladimir Poutine ? Aussi bien sur le fond que sur la forme ? 

Viatcheslav Avioutskii : Cet entretien peut être interprété comme un message envoyé à Donald Trump. Tucker Carlson faisait partie de Fox News et partageait la ligne de l’ancien président des Etats-Unis. Au regard de cet entretien, Vladimir Poutine est dans une sorte d’euphorie par rapport à la guerre en Ukraine. Il est plus que jamais convaincu que la Russie va triompher. Il pense que la guerre n'est pas seulement gagnée face à l'Ukraine mais aussi face à l'Occident. Les pays occidentaux sont plus que jamais divisés sur la question de la guerre en Ukraine. Vladimir Poutine a l’intention d’exploiter ces divisions pour imposer son agenda. Le chef du Kremlin a réutilisé les mêmes arguments et la même vision russo-soviétique pour parler du territoire ukrainien, de l’histoire de la Russie et de l’Ukraine et sur le fait que la Russie n’avait pas attaqué l'Ukraine.

A travers cet entretien, Vladimir Poutine a tenu à adresser un message à Donald Trump car il voit déjà en Trump son allié dans cette guerre avec l’Ukraine. L’aide financière américaine tarde à arriver et Trump pourrait y renoncer.

Cette interview sert à court-circuiter la stratégie et la campagne de Joe Biden. Le dirigeant russe, malgré une introduction historique confuse et assez longue sur la forme, a tenu à s'adresser déjà à Donald Trump.

L'interview de Vladimir Poutine par Tucker Carlon commence par une longue tirade de Vladimir Poutine sur l'histoire de la Russie. Il ne parle pas directement de sa stratégie de « dénazification » et de ses craintes vis-à-vis de l'OTAN. Qu'est-ce que cela nous dit, là aussi, sur Poutine ? N’est-il pas apparu totalement enfermé dans sa vision russo-soviétique et avec un message confus ?

Sur la forme, il n'y a rien d'original dans cette partie historique évoquée par le chef du Kremlin. Sur le fond, la décision de commencer cette guerre est basée sur une mauvaise lecture à la fois de la géopolitique et à la fois sur une sorte de déni des fondements historiques de l’Ukraine. Il y a une frange assez radicale parmi les élites politiques russes qui nie l'existence même de l'Ukraine.

Poutine confirme par cette interview sa vision complètement erronée de l'histoire et son rapport ambigu à l’Ukraine. Vladimir Poutine reste fidèle à lui-même dans cet entretien.

Au cours de cette interview, Vladimir Poutine explique que l’Ukraine constitue sa dernière demande territoriale en Europe. Est-ce une rhétorique de de Poutine qui disait qu’il ne s'attaquerait pas à l'Ukraine et qui finalement est entré en guerre ? La Pologne et les pays de l'OTAN doivent-ils toujours se sentir visés ? Faut-il y voir une menace ?

Avant le début de la guerre en Ukraine, Poutine affirmait qu'il était hors de question qu’il entre en guerre. Tel était le message officiel. Cela correspondait à la guerre hybride. L’adversaire est déstabilisé en étant dans un climat de confiance. Malgré tous les avertissements, beaucoup pensaient que la guerre ne pourrait pas avoir lieu, que c'était juste des manœuvres. La déclaration et la fausse promesse de Poutine sur les territoires s’apparente à la stratégie de Hitler ou Napoléon. Ils n’ont pas pu s’arrêter dans leur volonté de conquête territoriale. Vladimir Poutine avait promis à Emmanuel Macron qu’il n’attaquerait pas l’Ukraine. La menace persiste donc pour l'Union européenne et l'OTAN. Cela s’inscrit dans une série d'événements. Vladimir Poutine a profité du retrait des Etats-Unis d'Afghanistan, de la passivité des Occidentaux en Syrie. Cela a déjà été le cas par rapport à la guerre en Géorgie en 2008 et à la Crimée en 2014. Cette interview confirme que Vladimir Poutine est convaincu que l'Occident a cédé, que la mort de l'Occident est imminente. Emmanuel Todd vient d’ailleurs de publier « La défaite de l'Occident », cela participe à la thèse du déclin de l'Occident.

Dans ce contexte, il y a deux éléments très inquiétants. La division transatlantique est en train d’émerger. Joe Biden n'arrive pas à imposer l’Ukraine à son agenda. Et Poutine essaie de profiter des divisions en Occident. L'Ukraine doit être soutenue à tout prix par l'Europe. Il s’agit du dernier rempart face à la Russie qui est revancharde. L’autre élément inquiétant concerne la démilitarisation de l'Europe. Les pays européens ont profité du parapluie de l'OTAN et des dividendes de la paix en en réduisant la part et le poids du complexe militaro-industriel. Or, aujourd’hui, l’économie russe s’est militarisée. Plusieurs centaines de milliers d'hommes sont mobilisés sur le front en Ukraine. Poutine semble convaincu que face à cela l'armée américaine s'abstiendrait d'intervenir pour défendre les pays baltes. L’armée allemande n’est pas performante malgré un équipement de grande qualité. La France est le dernier bastion qui reste face à ce rouleau compresseur qui se rapproche de nos frontières. L’interview de Tucker Carlson met aussi en lumière la cécité de nos élites politiques. Cela rappelle beaucoup le contexte des années 30 en Europe.

Au regard de cette interview de Vladimir Poutine par Tucker Carlson, que doit-on penser des droites nationalistes occidentales qui sont à l’image de Tucker Carlson ? Ne sont-elles pas trop complaisantes avec le Kremlin ? Cet entretien n’était pas trop servile, sans véritables questions qui fâchent ? Tucker Carlson, le représentant d’une droite qui se bat pour les libertés, n’a pas été en mesure d’être incisif face à Vladimir Poutine. Qu’est-ce que cette interview dit des pulsions de cette droite et pourquoi est-elle fascinée par Vladimir Poutine et la Russie ? Et pourquoi en réalité elle ne comprend pas ce qu’est réellement la Russie ? 

Tucker Carlson incarne le courant de la droite nationaliste américaine. Il représente la partie la plus conservatrice, la plus radicale du parti républicain. Cela témoigne des divisions politiques aux Etats-Unis. Donald Trump va être obligé de réunir tout l'électorat, pas seulement la partie la plus radicale, mais aussi les républicains modérés. Il n’y a pas actuellement un autre candidat capable de se dégager pour le moment. Cette interview de Poutine est une tentative de déstabiliser la scène politique américaine et va participer à l’aveuglement des droites nationalistes occidentales vis-à-vis du chef du Kremlin. Même si elles ne partagent pas exactement l'agenda de Vladimir Poutine, ces droites nationalistes occidentales ont une certaine admiration envers Vladimir Poutine et ont certains points communs avec le chef du Kremlin, notamment le projet de la révolution conservatrice, une vision identitaire de l'histoire des relations internationales. La Fédération de Russie est très active pour infiltrer et avoir une réelle influence au sein des droites nationalistes occidentales. Certains partis de droite sont assez complaisants également. Cette interview participe à la stratégie de division de l’Occident par la Russie. Cette méthode ressemble beaucoup sur la forme au trumpisme en réalité. Cet entretien de Tucker Carlson fascine et mobilise la droite nationaliste conservatrice, à la fois américaine mais aussi en Occident.

Lors de l’entretien Vladimir Poutine a tourné en ridicule Tucker Carlson pour sa volonté, par le passé, d'intégrer la CIA et d’avoir échoué. Est-ce que, à travers cette séquence, il n'y a pas une volonté de Poutine de critiquer les figures de droites nationalistes occidentales ? N’est-ce pas encore une critique du chef du Kremlin contre l'Occident ?

Il s’agit d’un trait d'humour assez violent de Vladimir Poutine. Cette remarque est très personnelle car le chef du Kremlin vient lui-même des services spéciaux. En ridiculisant ainsi Tucker Carlson, Poutine assoit encore un peu plus son autorité et son image d’homme fort. Poutine en profite pour souligner les failles et la faiblesse des personnalités occidentales, qui pourtant l’admirent. Cela est très représentatif de l'humour des services spéciaux russes. Cela révèle que Vladimir Poutine n'a pas un autre système de valeurs que celui du KGB, du FSB, qui sont fondés sur la violence, sur le culte de la force et sur l’art de la manipulation et de l’infiltration. Cela met en lumière la propre personnalité de Poutine, un homme qui s’est toujours opposé à l’Occident. Cette interview démontre que les droites nationalistes ont été instrumentalisées depuis des années par la Russie et le Kremlin.

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