C’est fou, tous ces gens voulant convaincre les Français que ce sont les étrangers qui ont fait l’histoire de France<!-- --> | Atlantico.fr
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Une toile représentant le roi Louis XIV. Le musée de l'histoire de l'immigration est au coeur d'une polémique suite à une campagne d'affichage avec le Roi Soleil.
Une toile représentant le roi Louis XIV. Le musée de l'histoire de l'immigration est au coeur d'une polémique suite à une campagne d'affichage avec le Roi Soleil.
©ALAIN JOCARD / AFP

Biais intellectuels et politiques

Pour inaugurer sa réouverture après trois années de travaux, le musée de l'histoire de l’immigration à Paris a dévoilé une affiche mettant en scène le roi Louis XIV avec la phrase suivante en légende : « c’est fou tous ces étrangers qui ont fait l’histoire de France ».

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Benoît Vaillot

Benoît Vaillot

Benoît Vaillot est Professeur agrégé et docteur en histoire. Historien et politologue.

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Atlantico : Le musée de l’immigration a dévoilé une affiche dans le métro parisien mettant en scène Louis XIV avec comme inscription "C’est fou tous ces étrangers qui ont fait l’histoire de France".  Cette publicité dit-elle la vérité à propos du Roi Soleil ? 

Benoît Vaillot : Assimiler Louis XIV à un étranger car sa mère serait espagnole et sa grand-mère autrichienne (alors qu’elle est en fait aussi espagnole) c’est une essentialisation des descendants d’immigrés comme étant éternellement étrangers en France. Effectivement, une partie des ancêtres du Roi Soleil peuvent être qualifiés d’immigrés car ils sont nés à l’étranger et venus en France. En revanche, le monarque est né en France, à Saint-Germain-en-Laye, de son père Louis XIII, lui-même né est à Fontainebleau, sur le territoire national. C’est un message très grave porté par le musée de l’histoire de l’immigration, car il sous-entend que lorsque l’on descend de parents immigrés, on reste et doit rester un étranger en France. À n’en pas douter, cette campagne publicitaire trahit le commissariat scientifique dont l’analyse historique est bien plus intelligente et intéréssante.

Quels sont les biais intellectuels et politiques dont est porteuse cette campagne ? 

Benoît Vaillot : Par volonté de combattre le discours raciste, ils adoptent eux-mêmes un discours raciste. Pour dénoncer les fantasmes identitaires de la droite, une certaine idéologie qui se revendique de gauche convoque des propos essentialisants et racialistes. Cette campagne publicitaire, qui ne représente dans doute pas l’avis des scientifiques travaillant avec le musée de l’histoire de l’immigration, témoigne de l’identitarisme ethnique que l’on retrouve chez une partie de la gauche française qui se revendique antiraciste. Très récemment, Carole Delga nous a offert un exemple parfait. Elle considère l’immigration comme une richesse pour la France, comme de bien entendu en ne nous épargnant aucune idée creuse,  et essentialise Kylian Mbappé en le réduisant à un immigré, alors qu’il est né en France, d’au moins un parent français. En réalité, cela témoigne d’une perte de repères. 

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Derrière cette essentialisation de Louis XIV, la volonté de faire le lien avec l’immigration de nos jours est évidente. Est-ce une erreur intellectuelle ? En quoi cela révèle-t-il une forme d’impensé de nos échecs en matière d’assimilation depuis des années ?

Jean-Sébastien Ferjou : Si les gens qui conçoivent ce genre de campagnes édifiantes étaient un peu plus au fait de la culture chrétienne qui a inspiré bon nombre de valeurs françaises, ils sauraient que tout être humain mérite le respect indépendamment de ses accomplissements ou de son statut social… L’histoire du pays, son droit, ses résultats électoraux montrent qu’il n’y a pas en France de majorité qui réduirait notre identité au sang. Que dire enfin de l’erreur intellectuelle associant Louis XIV à cette campagne ? En France, l’Etat a précédé, construit la nation. Et Louis XIV disait l’Etat, c’est moi. Les provinces étaient françaises parce qu’elles étaient siennes, pas par identité fut-elle crypto bi-nationale.

Cette campagne permet la stigmatisation facile de concitoyens qui seraient forcément racistes. Le point n’est pas de contester les influences étrangères qui ont contribué à façonner l’identité française. Mais de feindre de croire qu’une Anne d’Autriche, un Romain Gary, une Marie Curie auraient eu le même impact sur nos équilibres culturels que des flux migratoires massifs. Et les discours iréniques sur l’immigration depuis 40 ans sont largement responsables de notre échec à intégrer ces populations. Cette campagne révèle un inconscient (les Français, ces racistes ignorants à rééduquer) et un impensé (que faire de gens qui ne souhaitent pas s’intégrer ni accepter les codes et valeurs françaises ?). Croyez-vous vraiment que ces princesses étaient choyées dans leur identité étrangère ?

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Il n’y a pas de démocratie sans frontières, pas de société sans identité, pas d'État-providence sans solidarité. Il est facile de se lamenter sur la radicalisation, beaucoup moins de mener une réflexion sur ce qui nous a fait basculer dans une société à faible confiance interpersonnelle.

Benoît Vaillot : On ne parle jamais autant du passé que lorsque l’on veut parler du présent ! Le musée de l’histoire de l’immigration évoque l’immigration d’hier pour décrire celle d’aujourd’hui. La France est l’un des pays européens qui a été le plus concerné par l’immigration au cours de son histoire. Certes, la France est un pays d’immigration ancien, mais c’est aussi un pays peuplé de paysans enracinés. Le second étant la condition permettant le premier. À partir du XIXe siècle, l’immigration vient pallier notre démographie moribonde, ce qui n’était pas le cas auparavant. La France était jusqu’au XVIIIe siècle le pays le plus peuplé d’Europe. Il est important de préciser que, dans le temps long, cette immigration s’est toujours faite de façon anarchique, car nous n’avons jamais eu de politique migratoire définie, y compris sous la IIIe République qui fait office de modèle d’assimilation. L’assimilation se faisait progressivement grâce à l’intégration économique et le développement de sociabilités au sein de la société, plus rarement pour des raisons idéologiques, même s’il ne faut pas sous-estimer l’attractivité qu’a représenté la Grande nation depuis la Révolution française, sous la République tout particulièrement. Le musée est dans son rôle en parlant de l’immigration au regard du présent, mais attention à une communication calamiteuse qui pourrait s’assimiler à de la manipulation historique avec cette publicité de Louis XIV. 

Quelles que soient ses « bonnes intentions », ce type de campagne n’aggrave-t-il pas la dégradation de la confiance interpersonnelle qui est un critère clé du fonctionnement de la démocratie au quotidien ?

Benoît Vaillot : Mettons-nous à la place d’un Français issu de l’immigration et né en France qui a des doutes sur sa place dans la société française et s’interroge sur la nation. Si même le plus illustre des rois de France n’appartient pas à la communauté nationale, si même on retire la qualité de Français à Louis XIV en l’assimilant à un étranger, moi avec « mes origines, mes traditions et mes souvenirs », je me dis que jamais je ne serais Français. Selon moi, cette affiche révèle la confusion sur ce qu’est l’identité nationale aujourd’hui en France, et c’est pour cette raison qu’il faudrait la retirer. 

Cette publicité est-elle le reflet de notre perte d'identité nationale ? Si tous les Français viennent de partout, existe-t-il un risque que plus personne ne se considère de quelque part. C’est-à-dire de France ?

Benoît Vaillot : Soyons clair, si Louis XIV n’est pas Français, alors personne ne l’est, mieux encore, personne n’a le droit de l’être. Il y a un relativisme insidieux dans cette communication qui nie la possibilité même d’être Français à tout descendant d’immigré, ce qui est une négation de l’histoire de France et de la conception française de l’identité nationale.

Si vous pouviez modifier l'affiche, que changeriez-vous ? 

Benoît Vaillot : J’aurais gardé le même slogan, puisque que la communication se veut percutante, mais j’aurais enlevé Louis XIV pour mettre par exemple le cardinal Mazarin, un étranger né en Italie, venu en France pour servir l’État royal. C’est un personnage fondamental de l’histoire de France et pourtant, lui, sans aucun doute, il n’est pas né Français. Mieux encore, j’aurais pris Missak Manouchian qui voulait qu’on l’appelle Michel. Un immigré arménien, venu en France, et qui s’est engagé dans la Résistance (Francs-tireurs et partisans – Main-d'œuvre immigrée), tant et si bien qu’il a été assassiné par l’occupant allemand en 1944. Il n’a jamais été Français, et pourtant, il se considérait tellement Français, que ses derniers mots furent « Vive la France ! ».

Plus  largement que penser de l’idée véhiculée que les étrangers ont fait l’histoire de France. Quelle est la part de réalité et la part de fantasme ? 

Benoît Vaillot : Les immigrés ont beaucoup apporté à l’histoire de France, bien sûr, et précisément c’est ce que le musée de l’histoire de l’immigration s’efforce d’exposer. On regrette seulement que la communication soit si médiocre, si polémique et si perméable à la confusion qui règne dans notre société au sujet de cette question. On attend mieux d’un musée de l’histoire de l’immigration.

En France à quel point, l’Etat a précédé, construit la nation et l'identité, notamment avec Louis XIV ?

Benoît Vaillot : Pour aller vite, la France est le fruit du travail d’unification pluriséculaire, parfois violent, d’un État de plus en plus puissant sur un territoire et une population. La France s’est réalisée à coup d’épées. La Révolution française a érigé ce territoire et cette population en nation. Sous Louis XIV, on ne peut pas parler de nation comme on l’entend aujourd’hui, et être Français, c’est avant tout être un sujet soumis à la puissance souveraine d’un roi qui se confondait avec l’État, et qui a cherché à étendre plus loin les limites de la France.

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