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Brexit : comment les menaces de David Cameron parviennent à mettre la Commision européenne à genoux
©Reuters

Délit de faiblesse

Alors que le référendum « Brexit » devrait se tenir le 23 juin prochain, les négociations entre Commission européenne et Royaume-Uni semblent tourner en faveur des demandes formulées par David Cameron.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : En quoi est-il possible de considérer que la menace du « Brexit » met la Commission européenne à genoux ?

Christophe Bouillaud : La situation reste fluide, parce que, si vous regardez ce que disent les eurosceptiques britanniques à la suite de la lettre de David Tusk, le Président du Conseil européen, ils ne sont pas du tout contents, et c’est peu dire. Par contre, du point de vue continental, ce sont d’assez grosses couleuvres qu’il a fallu avaler. En particulier, les Britanniques obtiendraient à la fois un droit de ne pas payer les dépenses liées à toute solidarité au sein de la zone Euro et en même temps un droit de regard sur ce que font les pays de la zone Euro pourvu que cela ne gêne pas cette dernière. La lettre est très ambiguë, mais elle traduit tout de même la faiblesse du camp continental qui se sent obligé de plier aux demandes britanniques, qui, seraient-elles réalisées à plein, sont exorbitantes, ou carrément mesquines, comme cette volonté de ne pas payer d’allocations familiales pour les enfants des européens installés au Royaume-Uni si ces derniers n’y résident pas et sont laissés à la garde par exemple de leurs grands-parents en Pologne ou en Lettonie. 

En quoi le principe du carton rouge, rendant possible un renvoi d’un projet de législation européenne par 55% du total des sièges, répond-il aux demandes de David Cameron ? S’agit-il d’une réelle victoire des Britanniques ou celle-ci n’est-elle qu’apparente au regard de la complexité du dispositif ?

Là encore, tout n’est pas acté, et le diable est vraiment dans les détails. La formulation de la lettre de D. Tusk n’est pas si claire que cela. En fait, il existe déjà annexé au Traité de Lisbonne un « Protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité »  qui permet aux Parlements nationaux d’entraver le processus législatif européen lancé par la Commission européenne, et cette entrave est prévue comme d’autant plus forte qu’ils sont plus nombreux à se plaindre d’une proposition de législation européenne qui serait trop intrusive au regard des objectifs poursuivis. De fait, la victoire ou la défaite de D. Cameron dépendra entièrement des détails de la nouvelle procédure proposée, mais aussi de l’esprit qui préside à cette procédure. S’agira-t-il d’un nouveau « compromis du Luxembourg » qui change beaucoup de choses pour longtemps ou d’un simple gadget procédural qui ne change rien en pratique ? Nul ne peut le savoir à ce stade. 

En raison de la faiblesse apparente, et actuelle, des institutions européennes. Quels risques prennent aujourd’hui ces institutions de donner l’impression d’offrir une « Europe à la carte » à ses membres ? Quelle en est la logique ?

La logique est indiquée au début de la lettre de D.Tusk. Il faut absolument que l’Union européenne ne perde pas un de ses membres les plus importants, sinon aux yeux du monde entier, cela signifiera que l’Union européenne va vers sa fin prochaine. Les dirigeants continentaux sont donc prêts à offrir beaucoup de choses pour garder le Royaume-Uni à bord du navire européen. De fait, si l’on se plonge dans le détail des politiques publiques européennes et des Traités et de leurs protocoles, l’Union européenne est déjà largement « à la carte », et il existe en plus des Etats non-membres intriqués à l’Union européenne, comme la Norvège, l’Islande et la Suisse, qui compliquent encore le panorama, et bien sûr les pays candidats en plus. Ce qui est proposé au Royaume-Uni n’est donc pas si choquant,  mais c’est plus l’esprit dans lequel ces demandes britanniques ont été faites qui va à l’encontre du projet européen. Je pense en particulier à tout ce dispositif censé décourager les travailleurs européens de venir travailler au Royaume-Uni. Le seul élément positif pour l’Union européenne, c’est que cela peut contribuer à clarifier les choses sur certains points, en particulier sur le fait que l’Euro ne sera jamais la monnaie unique de tous les pays de l’Union européenne, et qu’il faut s’organiser pour faire coexister plusieurs monnaies dans un marché unique – ce qui ne va pas de soi du tout. Les offres faites à D. Cameron ont toutefois une limite : tout se fera par du bricolage, à savoir des propositions de la Commission et une déclaration des Etats européens ayant valeur d’engagement entre eux, parce que, pour l’instant, il est hors de question de changer les Traités européens en vigueur. En effet, aucun dirigeant européen ne veut rouvrir officiellement la question des Traités, parce qu’ils savent que c’est là une boîte de Pandore : les opinions publiques des autres pays auront toutes leurs revendications si l’on renégocie les Traités, et l’on arrivera juste à un constat de blocage complet de la dynamique européenne. 

De telles concessions sont-elles réellement susceptibles de voir la campagne en faveur du maintien dans l’UE l’emporter ? Politiquement parlant, David Cameron a-t-il réellement intérêt à se diriger en ce sens ?

Tout indique que D. Cameron veut aller au référendum en soutenant le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Il finira donc bien par se contenter de ces concessions, surtout si, dans les détails, elles paraissent donner un poids crucial à son pays dans les mécanismes décisionnels européens. Par contre, je doute que cela change quoi que ce soit à la dynamique de la campagne du « oui » ou du « non ». Les électeurs jugent rarement les choses en fonction des textes précis qui leur sont soumis. En l’occurrence, c’est plus un choix identitaire auquel vont être appelés les Britanniques s’ils votent effectivement en juin 2016, largement lié par ailleurs au contexte européen tel qu’il se développera d’ici là. 

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