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Des employés de BMW sur une chaîne de montage et d'assemblage de voitures BMW lors de l'inauguration de la nouvelle usine de production de voitures à San Luis Potosi, au Mexique.
Des employés de BMW sur une chaîne de montage et d'assemblage de voitures BMW lors de l'inauguration de la nouvelle usine de production de voitures à San Luis Potosi, au Mexique.
©ALFREDO ESTRELLA / AFP

Nouvelle guerre froide (commerciale)

Alors que le Mexique vient de dépasser la Chine comme premier partenaire commercial des États-Unis, la politique de relocalisations vers des pays amis, souhaitée par la Maison Blanche, commence à produire ses effets.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Le Mexique apparaît comme le principal bénéficiaire des tensions entre la Chine et les Etats-Unis. Mexico s'est en effet placée comme le nouveau premier partenaire commercial de Washington. C’est la politique du friend-shoring.Expliquez-nous ce concept.

Michel Ruimy : Sujette à un mouvement de fragmentation et de polarisation, la mondialisation change de visage. De plus en plus, les considérations géopolitiques prennent le dessus pour redessiner la carte mondiale des chaînes de valeur. Un concept en particulier illustre le mieux cette tendance, celui de « friend-shoring ».

Contrairement au « near-shoring » qui est une délocalisation / rapatriement d’une activité économique dans un pays proche de ses marchés de consommation afin de limiter les risques liés aux coûts et délais d’approvisionnement, ou à l’« off-shoring » qui vise à délocaliser des activités de service ou de production de certaines entreprises vers des pays à bas salaire voire au « reshoring », qui est le retour d’une production ou d’une unité de production jusqu’alors délocalisée dans une autre zone géographique, dans le pays d’origine, le « friend-shoring », concept introduit par Janet Yellen, Secrétaire américaine au Trésor, fait de la fiabilité politique des partenaires, un critère essentiel dans la conception des chaînes d’approvisionnement et de logistique mondiales.

Pour autant, les signes d’un ralentissement économique actuel se multiplient. L’OMC a prévu que le volume du commerce mondial n'augmenterait que de 1,1% cette année. Le friend-shoring offrira-t-il un soutien politique au commerce transatlantique pour contrecarrer la morosité de l’économie mondiale, notamment dans les secteurs stratégiques ? Selon le Fonds monétaire international, les investissements directs à l’étranger (IDE) sont de plus en plus orientés vers des pays proches sur le plan géopolitique.

La Chine, c’est des micropuces etc...Pas vraiment la spécialité des mexicains. Qu’est-ce que le Mexique fait comme business avec les Américains ?

Le développement des échanges internationaux et l’intégration dans les chaînes de valeurs mondiales ont contribué à l’essor du commerce extérieur du Mexique reposant notamment sur les produits manufacturés. En effet, les industries automobile et aéronautique offrent de belles opportunités puisque ce pays est le 8ème producteur et 5ème exportateur de véhicules légers et le 13ème fabricant mondial de composants aéronautiques. A cet égard, compte tenu de sa croissance remarquable dans ce secteur au cours des deux dernières décennies, le Mexique est destiné à devenir l’un des principaux constructeurs aéronautiques du 21ème siècle.

Captant plus de 80% des exportations mexicaines, les Etats-Unis constituent le principal marché d’exportation du Mexique qui est ainsi fortement dépendant de la demande américaine. Au premier semestre 2023, les États-Unis ont importé pour 236 milliards USD de biens du Mexique. Un record qui place désormais le pays en tête des fournisseurs de la première économie mondiale, devant le Canada (210 milliards USD) et la Chine (203 milliards USD).

Le Mexique semble ainsi être le pays le mieux placé pour saisir l’opportunité d’accroître son commerce avec les Etats-Unis, qui, de son côté, doit gérer ses tensions avec la Chine. Depuis le début de l’année, les IDE ont augmenté de plus de 40% avant même que Tesla ne commence à construire, à Monterrey, une gigantesque usine qui devrait créer sur place environ 35 000 emplois.

Mais si les investissements américains affluent, le pays tente peu à peu de diversifier ses sources d’approvisionnement en augmentant ses importations en provenance d’Asie.

Inciter des entreprises à venir produire dans des pays alliés, on imagine que cela n'est possible que sous certaines conditions ? Lesquelles ?

La « relocalisation chez des amis » est un chemin semé d’embûches diplomatiques et économiques. La mise en œuvre de cette doctrine présente, à mon sens, trois risques. Le premier suppose que les Etats-Unis ne peuvent gagner que si ses rivaux commerciaux perdent. Le deuxième implique que ce qui est bon pour les Etats-Unis c’est-à-dire pour leurs entreprises, leurs investisseurs, leurs dirigeants et leurs financiers, est bon pour le reste du monde. Le troisième concerne la neutralité des dispositifs qui seront probablement utilisés pour encadrer son application.

Mais, dans la logique de fonctionnement de l’économie mondiale, les entreprises - ou du moins celles qui ont des stratégies internationales - ne répondent pas, sans réticence, aux injonctions des gouvernements politiques. L’époque est révolue où « tout ce qui est bon pour l’Amérique est bon pour General Motors et vice-versa ». Il est difficile de déconstruire ce qu’elles ont mis du temps à établir à force d’investissements et de conquêtes de parts de marchés. S’ils développent une telle doctrine, les Etats doivent mettre en place, à court terme, suffisamment d’incitations financières pour relocaliser les entreprises et se réapproprier la recherche technologique qui leur échappe.

Pourquoi Washington privilégie cette politique de relocalisation vers des pays amis ? Est-ce bon pour son économie ?

Les États-Unis défendent une nouvelle doctrine commerciale en ayant l’ambition (déclarée) de localiser des chaînes d’approvisionnement chez des partenaires commerciaux de confiance afin d’étendre en sécurité l’accès aux marchés et réduire les risques pour l’économie américaine. A travers le « friend-shoring », ils ne veulent plus dépendre de la Chine, veulent sanctionner la Russie et promouvoir un nouvel ordre mondial. Ainsi, cette doctrine cherche à réviser l’approche multilatérale de l’intégration commerciale en vue de parvenir à un commerce libre mais sûr.

Bien qu’il n’existe pas de définition officielle des « pays amis », les Etats-Unis incluent souvent ses alliés comme l’Union européenne, le Royaume-Uni, le Japon, la Corée du Sud…. Mais ce pays cherche également à élargir son cercle d’amis par le biais de nouvelles initiatives régionales, telles que le Cadre économique Indo-Pacifique, partenariat qu’ils ont initié avec le Japon et 11 autres nations, visant une meilleure intégration entre ses pays membres dans 4 domaines clé : l’économie numérique, les chaînes d’approvisionnement, les énergies vertes et la lutte contre la corruption, ou encore le sommet États-Unis-Afrique, qui entend remodeler les relations américano-africaines. Mais qui peut être considéré comme ami, dans un contexte géopolitique où les alliances sont mouvantes ?

En outre, la division du monde commercial en deux blocs – les amis et les non amis – aurait un coût économique non négligeable. Le commerce international serait pénalisé dans la mesure où les pays en développement risquent d’être exclus de l’orbite du « friend-shoring ».

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