Better Place jette l'éponge, ou le parcours du combattant de la voiture électrique <!-- --> | Atlantico.fr
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Carlos Ghosn, le PDG de Renault, a beaucoup investi dans ce projet.
Carlos Ghosn, le PDG de Renault, a beaucoup investi dans ce projet.
©Reuters

Panne de courant

Le projet "Better Place", station-service automatisée d’échange de batteries pour voitures électriques, a débranché ses accus. Lourdement déficitaire, l’entreprise israélienne partenaire de Renault vient de demander sa liquidation judiciaire. La voiture électrique grand public n'est-elle encore qu'une utopie en 2013 ?

Francis Demoz

Francis Demoz

Francis Demoz est journaliste spécialiste des questions d’environnement.

Il est l'auteur de Les défis du futur: Regards croisés sur nos mutations industrielles, paru aux éditions Nouveau Monde en 2013; ainsi que de La voiture de demain : La révolution automobile a commencé, paru aux Editions Nouveau Monde en 2010.

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Atlantico : Bien que le réseau Better Place permette à une voiture électrique de rouler sur l’ensemble du petit territoire de l’État hébreu (puisqu’une station est toujours relativement à proximité) l’engouement du public n’a pas été là. Est-ce là seulement l’échec du système d’échange de batterie de Better Place, ou alors plus largement le déboire de la voiture électrique à grande échelle ?

Francis Demoz : Quand Better Place avait proposé en 2007 son concept novateur d’échange de batteries, beaucoup de gens étaient en effet sceptiques. D’autres, comme Carlos Ghosn, le PDG de Renault qui développa ce partenariat avec Better Place, étaient plutôt séduits. Dès l’origine, l’idée était sans doute d’autant plus novatrice qu’elle suscitait déjà un certain nombre de critiques. L’abandon par Better Place signe plutôt l’échec d’une des pistes technologiques qui ont été envisagées pour recharger les véhicules électriques, à savoir son système d’échange de batteries.

En définitive, c’est bien tout un écosystème que l’on met en place autour du véhicule électrique. Cela implique de nouvelles habitudes, une nouvelle manière de penser la mobilité, un nouveau rapport à l’alimentation du véhicule (charge en électricité plutôt que carburant), sans oublier des infrastructures très lourdes qui permettent d’échanger la batterie. On arrive finalement à des solutions qui sur le papier peuvent être très séduisantes mais qui ensuite s’avèrent être des voies technologiques qui ne fonctionnent pas. Ces difficultés de départ peuvent d’ailleurs valoir pour n’importe quel process d’innovation. J’ai le souvenir qu’en 2007, lorsque Better Place proposait son système d’échange de batterie – jusqu’alors mis en œuvre sur des territoires adaptés comme en Israël ou au Danemark – pour la France, Renault a rapidement argué qu’un tel système n’était pas du tout adapté pour la France.

Nous voyons donc que le pari était risqué par rapport au poids de l’investissement initial. Je ne pense ainsi pas qu’il faille y voir les déboires d’un nouveau système de la mobilité, mais sans doute de celle d’une piste parmi d’autres. En 2007, la piste de Better Place paraissait totalement novatrice. On ne connaissait pas encore la charge par induction qui permet de recharger sans fil, alors que cela fait bien aujourd’hui partie des nouvelles panoplies d’outils. Cela me parait assez finalement normal que parmi plusieurs pistes que l’on essaie, certaines vont fonctionner et d’autres pas.

Vous venez d’évoquer une tentative d’exportation en France. Justement, le public français est-il vraiment prêt pour la voiture électrique ?

Concernant le public français, on peut relever certains chiffres qui seront peut-être parlants. Par exemple sur le mois d’avril 2013, les immatriculations de voitures électriques ont augmenté de 138% par rapport à l’année précédente. En revanche, il convient de rappeler que face à ce chiffre assez vertigineux, les quantités sont encore faibles (moins de 800 voitures électriques vendues pour le mois d’avril 2013).

D’une manière générale, je ne suis pas certain que le public soit prêt à une technologie. Soit la technologie arrive au bon moment et elle s’impose, ou on lui laisse le temps de s’imposer, et cette rencontre se fait entre le public et la technologie.

L’histoire de la voiture électrique est d’ailleurs une vieille histoire de près de cent ans de rendez-vous ratés. À chaque fois on a pensé que le véhicule électrique allait s’imposer et puis finalement ce ne fut pas le cas. Il me semble qu’aujourd’hui en revanche nous sommes dans une situation de contrainte à la fois environnementale et énergétique nous permettant d’envisager cette convergence entre le véhicule électrique et le public.

Quand on voit aujourd’hui l’état du marché de l’automobile français et européen, on constate que le modèle actuel est à bout de souffle. Quant aux enquêtes d’opinion, elles indiquent que les Français se disent plutôt prêts à vouloir tester voire acquérir un véhicule électrique. En revanche, c’est vrai que pour l’instant dans les faits les choses se font très lentement. Cela sans doute beaucoup plus lentement que ce que les constructeurs ou les experts eux-mêmes le souhaiteraient. La crise économique actuelle n’arrange pas les choses : les acheteurs vont se rabattre sur des choses qu’ils connaissent tandis que les constructeurs ou les investisseurs sont plus fébriles pour engager des investissements.

Quels sont les principaux freins actuels (politiques, psychologiques, technologiques, économiques) au développement de la voiture électrique ?

Il y a d’abord un frein psychologique qui est la peur de rester en panne en rase campagne le soir : c’est la question centrale de l’autonomie des batteries qui se mue en crainte psychologique. Plusieurs réponses à ces craintes sont proposées, par des dispositifs d’auto-partage ou de libre-service, d’Autolib’, qui permettent à l’utilisateur de pouvoir tester un véhicule électrique, de se rendre compte par lui-même de ses atouts et de ses faiblesses et de pouvoir dépasser ce blocage.

Il y a également la question économique. Aujourd’hui les voitures électriques fonctionnent grâce à un système de location de batteries, car les batteries au lithium-ion sont encore assez chères à l’achat. Les constructeurs et les spécialistes expliquent cependant que de nouveaux bonds technologiques devraient pouvoir répondre à ces questions. Si le véhicule électrique est donc écologiquement intéressant – c’est d’ailleurs un des principaux motifs d’achat –, ce n’est pas une raison.

Il y a enfin des freins politiques. La mise en œuvre de telles mobilités nécessite des impulsions fortes de la part de l’État. Ce qu’il faut, c’est investir pour dessiner un avenir sur 10 à 20 ans. Il faut vraiment des politiques publiques très fortes qui permettent de dessiner des stratégies industrielles, de créer des écosystèmes, pour développer des filières industrielles, et effectivement cette volonté de la puissance publique est essentielle pour que ce nouveau type de mobilité puisse s’inscrire dans le paysage de tout un chacun.

Dans les causes politiques, peut-on aussi évoquer des pressions de groupes ou lobbys du pétrole ?

Ces causes embrassent l’histoire de la voiture électrique. Celle-ci est émaillée d’actions de lobbying fortes – pas seulement des pétroliers mais aussi de la part des constructeurs eux-mêmes – pour tuer la voiture électrique.

Face aux enjeux climatiques et environnementaux, ce lobbying est sans doute aujourd’hui beaucoup moins important, d’autant que le pétrole est une ressource finie. D’ailleurs de nombreuses compagnies pétrolières elles-mêmes diversifient totalement leurs propres activité vers de l’énergie renouvelable. Le véritable frein politique réside dans la crainte d’engager une réelle politique d’investissement, avec une vision stratégique sur le long terme. Ce n’est que de cette manière que les industriels, les constructeurs ainsi que tous les acteurs de cet écosystème pourront se sentir en confiance pour  pouvoir développer ce genre de mobilité.

De quelle(s) façon(s) pourrait-on à l’heure d’aujourd’hui promouvoir une voiture électrique compétitive en termes de prix et d’autonomie ?

A mon avis nous sommes encore aujourd’hui dans une phase d’expérimentation qui devrait durer jusqu’en 2015-2016. Le paysage commence à évoluer : dans les villes, on voit des voitures électriques circuler et des bornes de recharge. Le public peut tester par lui-même en louant une voiture, certains employés roulent dans les véhicules électriques de leurs entreprises. De nouvelles questions apparaissent également, comme le "droit à la prise" à l’intérieur des garages individuels des immeubles neufs.

Certains experts estiment également que dans trois ou quatre ans, tous ces véhicules neufs qui sont aujourd’hui mis sur le marché vont créer un nouveau marché de l’occasion. C’est peut être aussi ce marché nouveau de l’occasion qui sera un point d’entrée pour le grand public.

Quoi qu’il en soit, et la fin de Better Place le montre, en plein temps économique de crise et de frilosité à investir, le moment est au contraire plus que jamais à la création des marchés de demain, en soutenant cette forme de mobilité.

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