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Benoît Hamon : "Ces formations politiques, ces nouveaux partis bâtis autour d'un seul homme sont une forme appauvrie de démocratie."
©Reuters/Charles Platiau

Entretien politique

Candidat à la primaire de la Belle Alliance Populaire, Benoît Hamon revient pour Atlantico sur cette élection cruciale pour l'avenir de la gauche. Entretien.

Benoît Hamon

Benoît Hamon

Benoît Hamon est un homme politique français. Ancien député européen, il est porte-parole du Parti socialiste de 2008 à 2012. 

Elu député de la onzième circonscription des Yvelines en 2012, il devient, du 16 mai 2012 au 25 août 2014, ministre délégué à l'Economie sociale et solidaire et à la consommation, puis ministre de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. 

Il est candidat à la primaire socialiste de 2017. Pour découvrir son projet : https://www.benoithamon2017.fr

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Atlantico: Comment avez-vous trouvé les derniers vœux de François Hollande aux Français ? Vous paraissent-ils refléter ce qu'a été son quinquennat ? Quelle image pensez-vous qu'il laisse ainsi au peuple qui l'a élu près de cinq ans auparavant ? 

Benoît Hamon : Le président de la République est apparu solennel, dense, concentré sur sa tâche. Chacun connaît mes désaccords avec lui sur la question sociale notamment. Il a cependant hérité il y a 5 ans d'un pays en situation dramatique. Son bilan est contrasté mais n'est pas globalement indéfendable comme je l'ai entendu dire. Je veux, en ce qui me concerne, instruit par cette expérience collective et précieuse du pouvoir, de ses réussites et de ses renoncements, tourner la page et regarder vers l'avenir et surtout vers le long terme. C'est le sens de mon projet qui propose aux Français une vision des transitions à mettre en œuvre en matière de travail, d'écologie ou de démocratie. 

La gauche se présentera à cette présidentielle en ordre dispersé, avec notamment Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot et Emmanuel Macron qui vont concourir en-dehors de la primaire de la Belle Alliance Populaire. Vous avez déclaré récemment sur LCI que si vous remportiez cette primaire, vous contacteriez immédiatement ces trois personnalités pour voir "quelles sont les passerelles possibles". Qu'entendez-vous concrètement par là ? Avez-vous l'espoir de présenter une candidature commune à la présidentielle, ou au moins avec l'un ou l'autre de ces candidats ?

Si l’on veut avoir une chance de voir la gauche gagner en 2017, je crois profondément qu’il faut aller au-delà des ego et des trajectoires individuelles et savoir reconnaître qu’il existe de nombreuses passerelles entre les projets des uns et des autres. Je pense notamment à l’exigence écologique, à la nécessité de rejeter le modèle consumériste et productiviste, nécessité qui a été mise en avant par Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon, et d'autres au Parti socialiste. 

Je ne crois pas aux gauches irréconciliables : il peut y avoir des divergences mais quand les valeurs de fond sont respectées, il devrait être possible de faire une alliance très large à gauche autour d’un projet de transformation de la société. 

Par ailleurs, s’agissant d’Emmanuel Macron, je ne trouve pas que son projet économique et social soit particulièrement moderne et de gauche mais je vois des convergences de fait sur les questions régaliennes. Nous partageons le constat qu’il est nécessaire de penser la révolution numérique et son impact sur le travail. Pour ma part, je pense qu’il faut renforcer la protection sociale et non pas la fragiliser. Je suis ouvert à un débat sur le fond avec Emmanuel Macron sur ces questions. 

Vous avez par ailleurs déclaré qu'Emmanuel Macron vous "compliquait considérablement la tâche" en se présentant en-dehors de cette primaire. Comprenez-vous l'engouement dont il semble bénéficier ? Comment comptez-vous vous adresser à ces Français qui semblent séduits par son discours rejetant le traditionnel clivage gauche-droite ?

Je reconnais volontiers qu’il y a un intérêt autour de la candidature d’Emmanuel Macron. Il a le mérite de mettre des questions de fond sur la table : que devons-nous faire face à l’ubérisation ? Quelles sont les adaptations à faire face à la révolution numérique ? Comment adapter notre marché du travail ou notre protection sociale ? Il est vrai que ces questions sont essentielles. Pour autant, pour avoir regardé de près les quelques propositions qui ont été formulées, je considère ses réponses plutôt classiques : je vois des solutions d’hier remises au goût du jour (allongement du temps de travail, licenciement facilité…) et certaines propositions apparemment nouvelles mais qui participent de la même logique : je prends l’exemple de l’autorisation, pour le salarié qui fait un burn-out, de toucher le chômage lorsqu’il démissionne. On nous présente cela comme de la modernité, mieux, comme un progrès social : moi j’y vois une façon de dédouaner l’entreprise de sa responsabilité dans le choix d'une organisation du travail ou d'une politique managériale qui produisent de la souffrance psychique et des burn-out. On fait payer à la collectivité les pots cassés. 

Sur l'homme, je le respecte. Mais je mets en garde contre ces formations politiques, ces nouveaux partis bâtis autour d'un seul homme. Je crois en l'intelligence collective et me méfie du mythe de l'homme providentiel. J'y vois même une forme appauvrie de démocratie. 

Pour ce qui est du clivage droite-gauche, je ne trouve pas bénéfique mais au contraire dangereux de faire comme s’il n’existait pas et d’entretenir la confusion afin de gagner quelques voix de celles et ceux qui ne se reconnaissent plus dans les partis actuels. Pourquoi ? Je crois au clivage droite gauche, comme le clivage entre des solutions politiques alternatives fondées sur la repsentation d'intérêts différents. Nier l'existence de rapports de forces et de conflits d'intérêts dans la société est absurde. Je ne prétends pas parler au nom de la Verité et considérer par conséquent que ceux qui s'en détournent  ou le contestent seraient des menteurs. Quand le clivage cesse d'être politique pour devenir moral entre le bon et le mauvais, le vrai et le faux, l'adversaire se transforme aussi en ennemi. Francois Fillon n'est pas mon ennemi. Il porte une option que je combats mais n'en défend pas moins une vision conservatrice cohérente d'un avenir que les Français peuvent choisir. 

>>>> A lire aussi : Benoît Hamon : "Emmanuel Macron sait pertinemment qu'il défend à peu de choses près la même vision que François Hollande ou Manuel Valls"

Vous êtes souvent associé médiatiquement à Arnaud Montebourg dans cette primaire, en opposition notamment à la ligne plus "droitière" de Manuel Valls au sein du PS. Alors que l'ancien syndicaliste de Florange, Edouard Martin, longtemps proche d'Arnaud Montebourg, a décidé de vous soutenir, l'entourage d'Arnaud Montebourg a qualifié ce ralliement "d'épiphénomène". Comment l'interprétez-vous de votre côté ?

Je me réjouis bien évidemment de ce soutien. Je ne sais pas si c’est un épiphénomène, en tout cas c’est heureux et c’est un honneur que de pouvoir compter sur son soutien. Edouard Martin connaît bien la question du travail et notamment la beauté du métier d'ouvrier comme la précarité du travail et de l'emploi dans des usines dirigées par des actionnaires indifférents au sort des hommes pour y avoir exercé lui même. Aujourd'hui parlementaire européen, il est l'auteur d'un travail remarquable sur la régulation des échanges économiques aux frontières de l'Europe. Sa principale proposition consiste en effet à la mise en place d’un ajustement CO2 aux frontières de l’Europe sur les importations des métaux de base (acier, cuivre, zinc, aluminium) : les produits de l’industrie extra-européenne des métaux lourds verront ainsi leur prix automatiquement ajustés s’ils sont importés en Europe. Nous appliquerons ainsi les mêmes règles du jeu en faveur de la lutte contre la pollution et nous éviterons un dumping sauvage qui détruit les emplois. Si la Chine produit à moindre coût tout en polluant plus, alors nous ne devons pas être deux fois perdants, une fois socialement, une fois écologiquement. Je soutiens ces propositions. 

Alors que certains observateurs ont pu annoncer rapidement dans cette primaire un deuxième tour déjà bouclé entre Manuel Valls et Arnaud Montebourg, vous avez déclaré sentir "une vraie dynamique" autour de votre candidature, notamment après votre passage à L'Emission politique de France 2 où votre prestation a bien été jugée par les Français. Comment comptez-vous faire la différence dans les semaines qui restent pour vous hisser au second tour ?

Je continuerai à porter mon projet, sur le fond, et à le proposer aux Français comme je le fais depuis quatre mois avec la même constance. Ce projet, nous l’avons mûri et nourri à partir de mes rencontres avec les Français depuis de longues semaines. Il n’a pas été écrit dans la précipitation, et mon objectif pour ces dernières semaines sera de parler de mes propositions : le revenu universel, le changement de notre rapport au travail, l’exigence écologique avec la sortie du diesel et l’interdiction des pesticides, la nécessité d’un renouveau démocratique avec la création d’un 49-3 citoyen. Je suis entré en campagne en disant que la question sociale avait été complètement négligée pendant ce quinquennat. Elle rejoint la question écologique car les premières victimes de la dégradation de notre environnement, ceux qui respirent l'air le plus pollué, vivent dans des passoires énergétiques, absorbent le plus de substances toxiques, ce sont les Français les plus modestes. C'est la raison pour laquelle j'ai notamment fait de la lutte contre les perturbateurs endocriniens et de la prévention des maladies chroniques une priorité de mon programme.

Surtout, si mon projet reçoit de l’enthousiasme, c’est parce que j’ai fait le choix d’aborder sans complaisance des sujets qui intéressent directement la vie des Français et qui sont pourtant les grands oubliés du débat présidentiel : qui parle de l’augmentation de l'inégalité scolaire, des addictions, de la souffrance au travail, des déserts ruraux, de la question des aidants ? Je me refuserai toujours à réduire le débat présidentiel à des questions budgétaires ou identitaires. 

Arnaud Montebourg a révélé cette semaine plusieurs mesures de son programme, avec un net coup de barre à gauche (abrogation de la loi Travail, interdiction des gaz de schiste, obligation pour les patrons d'augmenter les salaires de leurs employés s'ils veulent s'augmenter eux-mêmes…). Comment avez-vous accueilli ces propositions ?

Là aussi, de toute évidence, nous avons des passerelles qui seront très utiles pour faire l’union de la gauche face au programme de droite dure et totale de François Fillon. 

Je me suis concentré sur les transitions que vit notre pays : la révolution numérique, le changement de notre rapport au travail, l’impact de l’activité humaine sur l’environnement et notre santé. Je suis heureux d’avoir réussi à imposer ces thèmes concrets qui touchent les Français et qui sont au cœur de mon projet. Je pense que notre modèle de développement doit être transformé en profondeur si nous voulons être à la hauteur des défis écologiques et du réchauffement climatique. Sur le revenu universel, je suis convaincu qu’il s’agit d’un outil puissant pour éradiquer la pauvreté, faire reculer la précarité et accompagner les mutations de notre économie en limitant sa violence sociale. 

Nous conservons pourtant des divergences avec Arnaud Montebourg, notamment sur la question européenne. Il souhaite jouer la confrontation quand je pense qu’il nous faut construire des alliances avec la gauche européenne pour réformer l’Europe. Je reste un partisan farouche de la coopération. Je me refuse de prendre à mon compte la "stratégie de la vaisselle cassée". Nous devons construire ensemble : c’est avant tout cela l’idéal européen. Je crois aussi que le programme d’Arnaud Montebourg ne prend pas toute la pleine mesure de l’incroyable exigence écologique à laquelle nous devons répondre. Quant à moi, je l’ai dit : je ne serai jamais plus socialiste sans être écologiste. 

Les débats, encore une fois, seront l’occasion de faire le point sur ce qui nous rassemble et ces divergences de fond, et la primaire sera un moment qui permettra aux Français de trancher sur le projet qui doit être celui de la gauche en 2017 et à l’avenir. 

L'actualité politique a également été marquée cette semaine par les bons chiffres du chômage, qui baissent depuis trois mois. L'entourage de Manuel Valls a rapidement souligné sa responsabilité dans ses chiffres, lui qui était Premier ministre encore récemment. Alors qu'on peut s'attendre à voir ce sujet mis sur la table lors des trois débats télévisés de janvier, comment comptez-vous adapter votre discours à cette nouvelle donne ?

Je n’ai pas à adapter mon discours et encore moins mon projet aux événements, et aux chiffres affichés d’un recul réel mais si tardif du chômage. Bien évidemment que c’est une bonne nouvelle. Moi, ce que je constate en tout cas, c’est que ces embauches relèvent surtout de l’intérim et des CDD de courte durée, qu’il y a donc toujours autant de précarité en France, que des milliers de personnes dorment dans la rue cet hiver et que la pauvreté touche 8,8 millions de Français. C’est tout le sens de ma proposition de créer un revenu universel d’existence, qui permettrait de soulager ces millions de Français qui souffrent de la situation économique et sociale de notre pays, et aussi de nous préparer à un phénomène mal anticipé jusqu’ici, à savoir la raréfaction du travail.  

D’autre part, regardons le prix de cette baisse. Un CICE et un pacte de responsabilité qui coûtent chaque année plus de 40 milliards aux finances publiques, et une révision grave de nos droits sociaux et de notre code du travail par la loi travail. Quand reconnaîtra-t-on qu'il s'agit d'un immense gâchis pour les finances publiques ? France Stratégie évoque un impact en emplois ridicule. Moins de 100 000 emplois créés ou sauvegardes grace au CICE. Ce sont les emplois les plus "aidés" depuis très longtemps. 

L'une de vos mesures emblématiques dans cette campagne est le revenu universel. Le député Christian Paul a déclaré récemment que cette mesure visait à "accepter le chômage de masse". Dans une interview à Atlantico en novembre dernier, vous nous disiez que le travail allait se raréfier à l'avenir. Que répondez-vous à ceux qui pointent du doigt le fait que votre programme vise à "accompagner" la crise économique que nous traversons, plutôt que de la "combattre" ?

Dire que ma volonté de mettre en place un revenu universel est une "acceptation du chômage de masse" est un non-sens. Quand je parle de raréfaction du travail, je ne parle pas d’une crise économique à venir, je parle d’une mutation profonde et structurelle de notre économie. C’est refuser de voir et d’anticiper cette mutation profonde qui entrainera une crise sociale de grande ampleur. Je me refuse donc à être dans le déni. Pensez donc qu’aux États-Unis en trente ans, on a produit une fois et demie de plus d’acier avec quatre fois moins de travailleurs. Mais ce mouvement de raréfaction du travail touche aujourd’hui l’ensemble de l’économie. La révolution numérique est une immense opportunité. À condition d'en maîtriser les conséquences et le sens. 

Non seulement, ces tâches répétitives continueront d’être automatisées, mais des tâches complexes, qui étaient considérées comme non automatisables récemment encore, sont désormais concernées. C’est ainsi qu’entre 2000 et 2010, rien qu’aux Etats-Unis, 2/3 des opérateurs téléphoniques ont disparu, la moitié des agents de voyages, 1/4 des comptables... En Europe, dans la même période, 7,6 millions d’emplois ont disparu sous l’impact direct des nouvelles techniques. Toutes les études confirment qu’entre 10 et 40% des emplois pourraient être détruits dans les vingt prochaines années. On peut se réfugier derrière la théorie de Schumpeter de la "destruction créatrice". Je crois le contexte radicalement nouveau. 

Nous pouvons fermer les yeux et attendre que notre protection sociale, assise je le rappelle sur le travail, soit déconstruite et disparaisse, ou décider de prendre la pleine mesure de cette transformation à venir et anticiper. 

A ce titre, je rappelle que plus un individu est formé, moins son travail est automatisable. Or, cette formation nécessite de desserrer la contrainte financière sur l’individu, notamment sur les jeunes. Le revenu universel permettra donc d’allonger les cycles de formation et garantira une plus grande flexibilité pour des carrières de moins en moins linéaires. 

Le revenu universel ne signe donc pas un constat d’échec. C’est bien, au contraire, un formidable outil de redistribution qui permettra de limiter tout à la fois le phénomène de la raréfaction du travail, mais empêchera également que celui-ci entraine une crise sociale majeure. 

Propos recueillis par Benjamin Jeanjean.

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