Baisse des prix du pétrole, hausse à la pompe : l’Etat, profiteur de guerre ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un automobiliste effectue un plein d'essence.
Un automobiliste effectue un plein d'essence.
©FRANCK FIFE / AFP

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Malgré la baisse du baril de pétrole brut, les prix à la pompe explosent en ce début d'année. Comment expliquer ce phénomène ?

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Alors que les prix du pétrole sont en baisse, on constate une hausse des prix à la pompe, comment l’expliquer ?

Damien Ernst : L'État, pour faire face à la crise énergétique en 2022, avait diminué les taxes sur l'essence. La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) a baissé, ce qui a entraîné une diminution du prix à la pompe. Total Energie aussi avait fait des gestes significatifs en baissant le litre d'essence jusqu'à 30 centimes, puis 10 centimes en décembre. A partir du 1ᵉʳ janvier, ces diminutions de prix ont disparu. Cela a provoqué une augmentation significative à la pompe. La baisse des prix du pétrole est largement annulée par cette augmentation de la TICPE et par la disparition de la ristourne offerte par Total Energie. Ce qu'il faut comprendre, c'est que le prix du pétrole, en plus, n'est pas si bas que ça. Avant la crise du Covid, le baril était à environ 60-70 dollars le baril. Maintenant, il est à 85-86 dollars. Les prix ne sont donc pas si bas que ça et les marges des raffineurs sont plus élevées qu'elles l'étaient avant la crise du Covid. On ne va pas saper le moral des lecteurs, mais arrive aussi, le 5 février, l'embargo sur les produits raffinés en provenance de Russie et notamment sur le diesel. On peut s'attendre à une diminution de l'envoi des produits pétroliers de la Russie vers le reste du monde, ce qui risque de provoquer une augmentation des prix. Les perspectives ne sont pas bonnes. 

Michel Ruimy : L’histoire se répète : le débat sur le décalage dans le temps entre la baisse des cours du baril de pétrole et celle du prix à la pompe refait surface.

La baisse du prix du pétrole est due à des perspectives économiques incertaines à court terme : le ralentissement de l’économie chinoise, premier importateur et deuxième pays le plus consommateur de pétrole au monde, pourrait faire diminuer la demande et tirer les prix vers le bas tandis que l’embargo européen sur le pétrole russe pourrait, de nouveau, tendre le marché (L’Union européenne se prive d’au moins 90% des volumes qu’elle importait avant la guerre en Ukraine). Il n’en demeure pas moins qu’en l’espace d’un an, le prix d’un litre d’essence « sans-plomb 95 » s’est stabilisé à la pompe autour de 1,80 EUR / litre… sauf que, sans l’aide gouvernementale, ce même tarif a, en réalité, progressé de 18 centimes et reste nettement supérieur à son niveau d’avant le début de la guerre.

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De plus, l’observation de la transmission des cours du baril montre que si une élévation conduit, de manière automatique, à la hausse des prix à la pompe, une diminution est, en proportion, moins répercutée en raison notamment de l’attitude des distributeurs. En effet, lors d’une hausse du prix du baril, ceux-ci ne peuvent pas maintenir durablement leurs prix inchangés du fait de la faiblesse de leurs marges (ils subiraient alors des pertes trop importantes) alors qu’à l’inverse, ils peuvent adopter un comportement stratégique en différant la répercussion de la baisse du prix du brut sur les prix à la pompe en jouant sur le manque d’information de la part des consommateurs. Ainsi, selon une étude de la Banque de France, près de 3 semaines sont nécessaires pour qu’une variation à la baisse des prix de gros se répercute à la pompe.

Comment se fixent exactement les prix du carburant à la pompe ? Quels sont les facteurs ? Et ceux de leur fluctuation ?

Damien Ernst : Différentes choses entrent en compte. Le prix du pétrole, le prix du raffinage, le prix du transport vers la pompe, le bénéfice du pompiste et la marge des raffineurs. Il ne faut pas considérer que la marge des raffineurs est quelque chose de négligeable, notamment sur des produits comme le diesel où nous sommes un peu courts en capacité de raffinage au niveau planétaire. On n'a plus vraiment de marge au niveau des raffineries : beaucoup d'entre elles tournent tout le temps à 100 % d'accord. 

Michel Ruimy : Au tarif de la matière première (pétrole brut) qui représente environ 30% du prix de l’essence à la pompe s’ajoutent les coûts de transport, d’assurance, de frais de déchargement, de distribution… pour près de 7%. Sont aussi à prendre en compte les frais liés au raffinage du pétrole brut - et donc la marge des raffineurs -, évaluée approximativement à 3%. Le prix du carburant dépend aussi grandement de trois taxes : la TVA, la Taxe intérieure de consommation des produits énergétiques - TICPE - et la TVA sur la TICPE (« taxe sur une taxe »). Au total, la part de la fiscalité avoisine 60% du prix total.

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Lorsque le prix du produit pétrolier et/ou les coûts de transport et de distribution… fluctuent, la seule taxe dont la valeur fluctue est la TVA qui en est dérivée (La TICPE et la « TVA sur la TICPE » s’appliquant sur des valeurs fixes, les évolutions du prix du pétrole n’affectent pas ces taxes). Plus les prix du pétrole et de l’acheminement augmentent, plus sa part dans le prix total (et la TVA associée) augmente.

Dans quelle mesure l’Etat est-il, sur l’essence et le diesel, un « profiteur de guerre » ?

Damien Ernst : Il n'est pas profiteur de guerre. Et certainement pas au travers de la TICPE qui est fixe. Mais il est vrai qu’avec la TVA, qui s’applique d’ailleurs aussi sur la TICPE, l'État bénéficie des augmentations du prix du baril. Quand le pétrole augmente, il y a plus de TVA et donc plus d'argent dans les caisses de l'État. Mais la TVA sur les produits pétroliers n'est même plus quelque chose sur lequel le gouvernement français a la main puisque c'est devenu une obligation européenne, avec un minimum de 20%. 

Michel Ruimy : On pourrait penser qu’avec l’élévation du prix de l’essence à la pompe, l’Etat soit un « profiteur de guerre » du fait que la part de la fiscalité dans le prix à la pompe est fixe. Or, les taxes sur chaque litre d’essence intègrent une part fixe (TICPE) et une part variable proportionnelle au prix du carburant (TVA), qui s’applique à hauteur de 20% sur le total hors taxes ainsi que sur la TICPE.

Cette dernière taxe représente la quatrième recette fiscale de l’Etat derrière la TVA, les impôts sur le revenu et sur les sociétés. Elle bénéficie à l’Etat mais pas uniquement : elle représente un peu moins de 10% des recettes des départements, et près de 20% de celles des régions. Or, principal impôt applicable aux carburants, elle ne dépend pas des prix du marché du carburant mais du nombre de litres consommés. Lorsque le prix du baril monte - ce qui n’est pas impensable -, seule la TVA peut donc entraîner des recettes fiscales supplémentaires.

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Quelle est l’élasticité du prix des carburants ?

Damien Ernst : Il y en a une, mais elle reste quand même très faible. Par contre, un facteur qui est favorable aux consommateurs est l'éclosion des véhicules électriques. Beaucoup arrivent sur le marché, en Chine, en Europe et aux Etats-Unis, et c'est vraiment un facteur qui tire les prix du pétrole et des carburants à la baisse. Si on n’avait pas eu l'éclosion des véhicules électriques, nous serions à 2 à 3 millions de barils en plus consommés par jour. Cela mettrait beaucoup de tension sur le secteur des produits pétroliers et les prix s'en ressentiraient.

Michel Ruimy : L’élasticité-prix mesure la réaction de la demande émanant des entreprises et/ou des consommateurs face à une variation du prix d’un service / produit. Selon la loi de la demande (La rareté d’un bien accroît son prix, ce qui en réduit sa consommation), cet indicateur est, en règle générale, de signe négatif. Il est dit « élastique » i.e. sensible au prix lorsque la variation de la quantité demandée (en %) est supérieure à la variation du prix (en %).

A court terme, les ménages ne peuvent pas, tous, ajuster significativement leur consommation au gré des évolutions des prix car, dans un laps de temps aussi limité, les possibilités d’adapter ses dépenses de carburant à la hausse des prix sont limitées. Les solutions consisteraient notamment, si cela est possible, à moins utiliser sa voiture, ne serait-ce qu’en limitant les déplacements de loisir, à « chaîner » davantage ses déplacements, à recourir au covoiturage, à réduire la consommation en diminuant sa vitesse…

A plus long terme, sous réserve que les évolutions de consommation consécutives aux évolutions de prix observées sur le passé soient reproductibles, les capacités d’adaptation sont fortes. La hausse des prix à la pompe influe profondément sur les comportements. Anticipant une croissance des prix à long terme, les automobilistes ajustent leur consommation avec notamment des véhicules moins énergivores.

Ce constat cache toutefois de fortes disparités selon le niveau de vie. Disposant d’un revenu élevé, la part relative des dépenses de carburant dans leur consommation totale est, par construction, pour les ménages les plus aisés, plus faible. Ils réagissent donc moins au prix du carburant que les ménages modestes (ouvriers et employés, ruraux et périurbains, jeunes et célibataires…), pour qui ces frais sont des dépenses contraintes. Ainsi, face à la récente flambée des prix du carburant, ces derniers n’ont pas réduit leur consommation d’essence et ont dû rogner sur certaines dépenses pour remplir le réservoir. Leur élasticité-prix serait donc très faible pour ces ménages en ce qui concerne les carburants i.e. ils n’ont pas la possibilité de se passer de leur voiture, quel que soit le prix du carburant.

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